mercredi 11 juin 2014

Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 4 : Le malaise de Ronaldo

Cet article fait partie d'une série de textes consacrés à onze moments mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Les autres sont accessibles sur cette page.

L'homme qui rétrécit

La Coupe du Monde 1998, organisée en France, s’est déroulée, à la surprise générale, selon un scénario très prévisible : match clin d'oeil (USA - Iran), équipes surprise (Croatie, Danemark), grosses déceptions (Espagne), vedettes aux destins opposés (Bergkamp, Del Piero, Owen, Batistuta), duels acharnés (France - Italie, Pays-Bas - Argentine). Surtout, s’est tenue, en finale, l’affiche idéale, celle dont tout le monde rêvait : le Brésil, alors quadruple vainqueur du tournoi et tenant du titre, face à la France, le pays organisateur. La rencontre permettait aussi l’opposition de deux hommes : le Brésilien Ronaldo et le Français Zidane, c’est-à-dire le meilleur joueur du monde et son dauphin officiel. Si, un peu plus tôt dans l'année, Zidane avait remporté un premier succès en étant sacré champion d’Italie, avec le Juventus, au détriment de l’Inter de Ronaldo, le vrai rendez-vous, tout le monde le savait, était prévu pour la finale du Mondial, où l’on allait enfin voir si vraiment le Français était en mesure de contester la suprématie du Brésilien.

Ronaldo, alors âgé de vingt-deux ans et déjà considéré comme l’un des plus grands joueurs de l’histoire, avait fanfaronné avant le tournoi, s’estimant capable de battre le mythique record de Just Fontaine (treize buts en une seule Coupe du Monde, en 1958). La réalité avait été plus rude, mais le Fenomeno n’avait pas démérité en étant l’auteur de quatre buts et de trois passes décisives - il avait également répondu présent en réussissant son penalty lors de la séance de tirs aux buts de l'intense demi-finale face aux pays-Bas. La finale allait lui permettre de mettre les choses au point - du moins le croyait-on.

Mais une heure avant le début du match, la rumeur se répand comme une traînée de poudre parmi les journalistes et s’étend vite à l’ensemble de la planète : Ronaldo ne jouera pas la finale, il ne sera que remplaçant, et Edmundo le suppléera à la pointe de l’attaque brésilienne. Panique mondiale pendant un quart d'heure, puis circule une seconde feuille de match, où Ronaldo est annoncé comme aligné à la pointe de l'attaque brésilienne. Bluff ? Couac ? Personne ne sait trop, et très vite, trop vite arrive l'heure du match. Ronaldo est bel et bien là, titulaire aux côtés de Bebeto et Rivaldo. Lors des hymnes nationaux, il arbore un air légèrement absent. Lorsque le match commence, il lui faut presque un quart d'heure avant de toucher pour la première fois le ballon. Muselé par la défense française, impuissant face à Barthez qui le mettra même littéralement KO après une sortie aérienne autoritaire, il traverse tout le match comme un fantôme, observant de loin son rival Zidane marquer deux buts et offrir la Coupe du Monde à la France.

Footballeurs à la sortie de l'hibernation.

Dès le lendemain, le bruit commencera à courir et le scandale à enfler : Ronaldo aurait été victime d’un malaise quelques heures seulement avant la finale, alors qu’il jouait aux jeux vidéos avec Roberto Carlos. Celui-ci serait sorti de leur chambre en criant « Il est en train de mourir ! » et tous les Brésiliens se seraient précipité auprès de Ronaldo, l’empêchant de s’étouffer avec sa langue avant de le conduire  l’hôpital où les examens ne révèleront rien. Diverses théories ont surgi, parlant de crise d’épilepsie, de malaise vagal ou de dystonie neurovégétative. Certains, même, évoqueront les effets secondaires du dopage, s’appuyant sur l’impressionnante augmentation de la musculature de Ronaldo durant les deux années qui avaient précédé et sur les bruits de couloirs qui faisaient du championnat italien l’antichambre de la recherche pharmaceutique et de l’optimisation de performance. On dira également qu’il n’était pas en état de jouer la finale, mais que c’est Nike, sponsor du joueur et de l’équipe du Brésil, qui avait insisté pour qu’il soit aligné.

Les versions contradictoires se succèderont, allant jusqu’à provoquer une large enquête au sein de la Fédération brésilienne de football, minée par la corruption et les pots-de-vin. Aujourd’hui encore, personne n’est en mesure de dire ce qui s’est vraiment passé dans la chambre de Ronaldo, quelques heures avant la finale contre la France. Ce qui s’est passé ensuite, en revanche, est connu. Après la défaite, Ronaldo connaîtra quatre ans de galère, quatre ans durant lesquels il ne jouera qu’une poignée de matches, enchaînant blessure sur blessure, étant même déclaré mort pour le football après une rechute de son genou, en 2000, six minutes seulement après avoir fait son retour sur un terrain. Depuis ses différents lits d’hôpital, réduit à l’impuissance, il regardera Zidane le déposséder de son titre honorifique de meilleur joueur du monde et remporter la Coupe du Monde, le Championnat d’Europe, la Ligue des Champions.

Quatre ans plus tard, Ronaldo réalise le plus grand retour de l'histoire du football, et, surtout,
dévoile au monde la coupe de cheveux dite de la "vulvette".


Et puis viendra la renaissance, en 2002, lors du Mondial asiatique. Ronaldo n’a quasiment pas joué depuis la précédente Coupe du Monde. S’il figure dans la sélection brésilienne, c’est presque une surprise. Son état de forme est incertain, et personne ne s’attend à grand-chose de sa part – après tout ce qu’il a traversé, c’est déjà bien qu’il soit là, se dit-on. Un mois et huit buts plus tard, Ronaldo, meilleur buteur du tournoi avec huit buts et vainqueur de la compétition, signera sa résurrection et refermera la parenthèse de ces quatre années de galère. Le malaise de 1998 était oublié, définitivement, et le Fenomeno était de retour, signature ultra-médiatique au Real Galactique à la clé. Mieux, encore : en 2006, un Ronaldo désormais trentenaire et largement bedonnant insrivait trois nouveaux buts, améliorant d'une unité le total de buts inscrits en Coupe du Monde (le précédent record, détenu par l'Allemand Gerd Müller, était de quatorze réalisations).

Le record : (qui sera peut-être battu par l'Allemand Klose dans les prochains jours...)



Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 5 : Le fiasco de Knysna

Cet article fait partie d'un dossier consacré à onze moments mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Les autres sont accessibles sur cette page.


Sans commentaire.

En 2010, tout était très mal parti, dès le début, pour l’équipe de France. 

La qualification avait été laborieuse : deuxième de leur groupe derrière la Serbie, les Bleus avaient dû passer par les barrages pour rejoindre l’Afrique du Sud, et ils n’avaient alors dû leur salut qu’à un but de William Gallas entaché d’une main grossière de Thierry Henry vue par tout le monde sauf l'arbitre, au cours de la prolongation du match retour face à l’Irlande. Le sélectionneur, Raymond Domenech, devenu la risée du pays après sa demande en mariage à Estelle Denis à l’issue de l’élimination de l’Euro 2008, disputait à Sarkozy le titre d’homme le plus détesté de France, le jeu pratiqué était médiocre, l’un des meilleurs joueurs de l’équipe, Lassana Diarra, devait déclarer forfait pour le Mondial (pour cause de coliques à répétitions), et quelques semaines avant le début de la compétition avait éclaté l’affaire Zahia : une call girl avait révélé avoir eu des relations tarifées avec plusieurs joueurs cadres des Bleus, dont Ribéry et Benzema, et ce alors qu’elle était encore mineure. Pour ne rien arranger, la campagne de matches amicaux qui avait servi à préparer l'épreuve durant les semaines qui avaient précédé la Coupe du Monde s'était achevée sur une défaîte honteuse concédée contre... la Chine, même pas qualifiée pour le Mondial sud-africain.


Je vous ai compris.

C’est donc dans un climat déjà très lourd que les Français étaient partis en Afrique du Sud, pour disputer le Mondial - sans Lassana Diarra, forfait, donc, mais également sans Karim Benzema, ni Samir Nasri, jugés fauteurs de troubles en puissance, et donc écartés par Raymond Domenech. Les attendaient Knysna, où ils avaient décidé d’établir leur camp de base, et six semaine de huis clos et de réclusion, avec pour seul contact avec l’extérieur la présence, massive et sauvage, de hordes de journalistes prêts à tout pour mettre à feu et à sang le groupe et vendre leur papier.

Le premier match s’était soldé par un nul, zéro zéro, face à l’Uruguay, et la presse avait fait ses choux gras de l’absence de jeu des Tricolores. La seconde rencontre, face au Mexique, avait vu la défaite des Bleus, 2 – 0. La faillite collective avait été encore plus criante : les joueurs ne jouaient pas bien, pas ensemble, voire pas du tout. Alors que les médias commençaient à se faire l’écho des dissensions au sein du groupe (Ribéry, Gallas, Anelka et quelques autres auraient fait de Gourcuff leur bouc émissaire), L’Equipe frappe un grand coup, en titrant « Va te faire enculer, sale fils de pute », propos attribués à Nicolas Anelka à l’encontre de Domenech. L’affaire provoquera un tollé en France, et la Fédération décidera, à la suite de cette révélation, d’exclure Anelka de l’équipe.

L'objet du délit.
La suite a fait le tour du monde : après des piteuses explications de Domenech et Ribéry (en tongs) sur le plateau de Téléfoot, dans une séquence à la tension palpable, les Bleus refuseront de descendre du bus pour s’entraîner, pour protester contre l’exclusion de leur coéquipier, forçant leur sélectionneur à lire lui-même à la presse le communiqué expliquant que les joueurs de l'équipe de France étaient grévistes. Le scandale deviendra national, les ministres présents sur place, Roselyne Bachelot et Rama Yade, condamneront l’évènement, et l’Assemblée Nationale consacrera un débat animé à la gestion du « fiasco de Knysna ».

Pour ne rien arranger, la France perdra son dernier match, contre l’Afrique du Sud et sera éliminée. Thierry Henry sera personnellement convoqué à l’Elysée par un Sarkozy avide d'explications, et tous les joueurs présents dans le bus seront sanctionné d’un match de suspension, voire plus pour certains d’entre eux (Evra, Anelka, Toulalan, Gallas). Tout touriste français parti à l’étranger durant l’été 2010 s’en souvient : il a fallu, cette année-là, affronter nombre de "so you're French ? what happened in this bus ?", il a fallu assumer cet évènement catastrophique face à l’incompréhension du monde entier. Et la question reste entière. What happened in this bus ? Quatre ans plus tard, on ne sait toujours pas.

Jean-Pierre Escalettes, le président de la Fédé, et Patrice Evra, visiblement pas
sur la même longueur d'onde.

On sait que les tensions dans le groupe étaient exacerbées, qu’une guerre des clans faisait rage. On sait que Ribéry était jaloux de Gourcuff et le traitait en souffre-douleur. On sait que Gallas était vexé qu’Evra lui ait été préféré pour le poste de capitaine. On sait que Thierry Henry, devenu remplaçant, s’était mis en retrait du groupe. On sait que Toulalan, traumatisé, ne révèlera jamais ce qu’il a vu à Knysna. On sait que Robert Duverne, le préparateur physique, excédé, faillit en venir aux mains avec Patrice Evra et, de rage, lança son chronomètre au loin. On sait que Domenech ne contrôlait plus rien depuis longtemps mais faisait semblant du contraire. On sait qu’Evra, devenu paranoïaque, était persuadé qu’une taupe sévissait dans le vestiaire des Bleus. On sait que la phrase exacte d’Anelka, de laquelle tout était parti, était en fait « Va te faire enculer avec ton système de merde ». On sait que des vingt-trois français, aucun ne descendit du bus pour s’entraîner, et que c’est Domenech qui dût lire le communiqué rédigé par l’agent de Toulalan et qui expliquait que les joueurs refusaient de s’entraîner.

"Voici la liste des prochains morts de Game of Thrones. Si vous commencez à m'emmerder, je balance tout."

Pourquoi, donc ? Parce que l’autarcie dans laquelle vivait le groupe, retranché dans un hôtel de luxe et cerné par les journalistes, avait transformé les Bleus en Lofteurs, et qu’il était insupportable, pour eux, de voir les faits secrets d’un vestiaire étalés à la Une de la presse. Parce qu’il y avait effectivement une Cabbale contre l’équipe, à ce moment-là, orchestrée par la presse. Parce que personne, à part Domenech, n’était en droit de demander l’exclusion d’Anelka, et que la Fédération, lâchant son équipe, avait outrepassé ses droits sous la pression populaire. Parce que tout était déjà vérolé, depuis le début.





Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 6 : Le bijou de l'Albiceleste

Cet article fait partie d'un dossier consacré à onze moments mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Vous pouvez découvrir les autres textes sur cette page.

Crespo, Tevez, Riquelme et Messi. Une sacrée ligne d'attaque, quand même.


Au début, il y en a une. Puis une deuxième. Une troisième, une quatrième. Une cinquième, une sixième, une septième, une huitième… Une dixième, une quinzième. Vingt-cinq, au total, vingt-cinq passes, ponctuées par un but, splendide, d’Esteban Cambiasso, lors du match de poules Argentine – Serbie-Monténégro de la Coupe du Monde 2006, dans ce qui restera comme la plus impressionnante séquence collective vue en Mondial depuis le Brésil de 1982.

C’est une habitude, chez l’Argentine, de se présenter au début d’une coupe du monde avec le statut de grand favori, généralement dû à d’impressionnants empilages de stars offensives (de 1994 avec Maradona, Batistuta, Caniggia et Redondo, à 2010 avec Messi, Tevez, Aguëro et Di Maria). C’est également une habitude que de se faire éliminer en quarts de finale : en 1998, par les Pays-Bas, en 2006 et 2010 par l’Allemagne.

En 2006, l’Albiceleste est moins crainte qu’en d’autres occasions. Son buteur, Crespo, est vieillissant, et ses suppléants, les jeunes Messi et Tevez, encore peu connus du grand public, sont remplaçants. Appelés pour compléter le nombre, Saviola ou Maxi Rodriguez n’ont rien de terreurs. Mais, à la baguette, il y a un génie méconnu, un vrai de vrai : Juan Roman Riquelme, le joueur le plus incroyable et mésestimé des années 2000. Idole à Boca Juniors où il est même préféré à Maradona, il a connu, au cours de ses épisodiques aventures européennes, des fortunes diverses. Recruté en grande pompe par le Barça certain de tenir la grande star de demain, en 2002, il s’y effondre littéralement, ne convainc personne, et est finalement refourgué à Villareal, club de milieu de classement du championnat d’Espagne. Durant quatre saisons, Riquelme va s’y imposer comme un des meilleurs joueurs d’Espagne et mener le club jusqu’en demi-finale de Ligue des Champions, en 2006 (il ratera le penalty décisif face à Arsenal, dans les arrêts de jeu du match retour), promenant avec brio sa carcasse nonchalante sur tous les terrains d'Europe. Alors qu’il n’avait pas été sélectionné en 2002, il est pour cette Coupe du Monde intronisé meneur de jeu par son entraîneur, José Pekerman, qui en fait l’homme de base de son système.

Juan Roman Riquelme. Synonyme : Dieu.

Avec Riquelme à la baguette, l’Argentine impressionne dès le premier tour. Placée pour la deuxième édition consécutive dans le traditionnel « groupe de la mort » avec la Serbie-Monténégro, la Côte d’Ivoire et surtout les Pays-Bas (en 2002, c'était l'Angleterre, le Nigéria et la Suède, et les Argentins avaient été éliminés dès la phase de groupes), l’Albiceleste a marqué son territoire d’entrée de jeu en dominant les Ivoiriens 2 – 1, grâce à des buts de Crespo et Saviola. Le second match, contre la Serbie, peut permettre, en cas de victoire suffisamment nette, de valider la qualification pour les huitièmes de finale avant même la dernière affiche face aux Hollandais, et d'effacer l'échec de 2002. En face, les Serbes ont perdu leur premier match, contre les Pays-Bas, et seront éliminés en cas de second revers : l'enjeu est maximum.

C’est un festival. Maxi Rodriguez ouvre le score dès la sixième minute, mettant les siens sur de bons rails dès l’entame du match. La Serbie-Monténégro tente bien de faire illusion, mais à la trente-et-unième minute, lorsque la défense argentine récupère un ballon, au niveau de ses trente mètres, les malheureux Serbes ne peuvent plus que regarder, regarder Mascherano, Saviola, Sorin, Cambiasso, Maxi Rodriguez et leurs coéquipiers faire tourner le ballon, sous la houlette de Riquelme, jusqu’à ce qu’une faille apparaisse. La séquence est limpide : Riquelme étire le bloc serbe, les milieux font tourner jusqu’à ce que Sorin accélère sur son côté gauche, avant de remettre à Saviola, une-deux avec Riquelme, centre pour Cambiasso qui donne à Crespo, lequel lui remet en pleine course, d’une talonnade. Seul devant le but, Cambiasso n’a plus qu’à parachever l’œuvre de son équipe, d’un missile en pleine lucarne. Pendant longtemps, on a eu l’impression que la séquence ne présente aucun danger, que les Argentins faisait tourner le ballon par manque d’inspiration, et puis tout d’un coup, tout s’est accélèré, en deux appels de balles et trois remises, et alors que personne ne s’était encore rendu compte le rien, la balle s'est retrouvée dans le but.

Cambiasso à la conclusion.

Au final, et face à une équipe Serbe techniquement dépassée et très vite démoralisée, l’Argentine l’emportera 6 – 0, avec un autre but de Maxi Rodriguez, un de Crespo, un de Tevez et un de Messi, et gagnera le statut de grand favori de la compétition. Un nul contre les Pays-Bas en troisième match de poules et une victoire contre le Mexque en huitièmes de finale plus tard, l’Albiceleste butera finalement sur l'Allemagne, le pays organisateur, en quarts de finales et après une séance de tirs au but épique. Pour son chef d’orchestre, Riquelme, la fin sera également amère : alors que son entraîneur avait encore déclaré, la veille, qu’il était le joueur le plus important de son dispositif, il le fera remplacer, inexplicablement, au bout de soixante-dix minutes seulement lors du quart de finale perdu contre l’Allemagne. Au moment où Riquelme sortit du terrain, l’Argentine menait un à zéro ; l’Allemagne égalisa huit minutes plus tard. Juan Roman Riquelme ne gagnera jamais la Coupe du Monde.

Le but de Cambiasso contre la Serbie (la vidéo annonce 26 passes et non 25, mais comme vous pourrez le constater, elle comptabilise le but comme une passe, alors qu'il s'agit évidemment d'un tir) :




lundi 9 juin 2014

Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 7 : Le doublé de Lilian Thuram contre la Croatie

Cet article est le cinquième d'une série de onze textes consacrés au moments les plus mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Les autres sont consultables sur cette page.

Malcolm X se demandant où il a bien pu mettre ses lunettes.


« Vous avez peur ? De quoi ? Vous avez peur de qui ? Peur ? Vous allez perdre, les gars. Je vous le dis : vous allez perdre. Vous n’avez pas de souci à vous faire ». Immortalisée par la caméra de Stéphane Meunier dans le documentaire culte Les Yeux dans les Bleus, qui retrace, de l’intérieur, l’épopée victorieuse de l‘équipe de France au Mondial 98, la tirade, aussi mythique que celle de l'instructeur dans Full Metal Jacket, est d’Aimé Jacquet, sélectionneur de l'équipe de France durant cet été inoubliable. 



On est le 8 juillet 1998, nous sommes dans le vestiaire français, au Stade de France, pendant la mi-temps de la demi-finale opposant les Bleus à la Croatie, et le score est de zéro partout. La France s’est qualifiée en éliminant l’Italie au tour précedent, aux tirs aux buts, elle fait figure de favori, mais déjoue depuis le début de la rencontre : ses joueurs semblent tétanisés par l’enjeu. En face, la Croatie, l’équipe surprise de la compétition, qui a éliminé la Roumanie en huitièmes de finale, et surtout l'Allemagne, en quarts, humiliée trois buts à rien. Sur les épaules des Français, la pression est terrible : personne n’imagine sérieusement les Bleus, qui évoluent à domicile, perdre contre les Croates. Contre l’Italie, en quarts, c’était possible, cela n’aurait pas été honteux. Contre l’Allemagne, si celle-ci s’était qualifiée, pareil. Mais contre la Croatie… Impensable.

C’est pourtant ce qui est en train de se produire. Les Croates, emmenés par Davor Suker, du Real Madrid, ou Zvonimir Boban, du Milan AC, sont en train d’endormir l’équipe de France, et ça, Aimé Jacquet s’en rend bien compte, depuis son banc de touche. Même : il s’en rend compte, et il n’aime pas du tout ça. Alors il recadre ses troupes, profite de la mi-temps pour pousser une gueulante, pour parler aux tripes de ses hommes, à leurs couilles, pour en appeler à toutes ces valeurs guerrières, tradis et machos qui font l'ordinaire d’un vestiaire de footballeurs.

Les Bleux pris dans l'étau croate.

Dès le retour des vestiaires, pourtant, il semble qu’il a échoué à convaincre ses joueurs. A peine les Français ont-ils le temps de se replonger dans leur match, que la Croatie surprend l’arrière-garde française, et que Suker trompe Barthez. Suker aurait dû être hors-jeu. Il ne l’était pas, la faute à un placement hasardeux de Lilian Thuram, l’arrière droit des Bleus, qui a beau tenter de revenir, mais arrive trop tard. Ça fait un à zéro pour la Croatie. La suite appartient à la légende.

Le réalisateur n’a même pas fini de repasser les ralentis du but croate que Thuram combine avec Djorkaeff et se retrouve seul face à Ladic, le portier croate, qu’il trompe d’un plat du pied, à bout portant. Un un. Vingt minutes plus tard, Thuram, sur son côté droit, reçoit l’appui de Zidane, qui lui remet dans la course. Le Français semble en retard, mais réussit à reprendre le ballon à son vis-à-vis. Sans hésiter, il frappe, du gauche, et trouve le petit filet opposé. Deux un, score final. En trente-six matches avec l’équipe de France, Lilian Thuram n’avait jamais marqué. A la fin de sa carrière, il totalisera cent quarante-deux sélections avec les Bleus. Mais aucun autre but. Plus jamais.

On comprend mieux sa stupeur, immortalisée par cette main posée devant la bouche, dans une posture tant songeuse qu’interrogatrice, de celui dont le sélectionneur, Aimé Jacquet, avait déclaré le matin même qu’il avait les pieds carrés. Pour parfaire la légende, le joueur affirme ne se souvenir de rien, et avoir joué toute la deuxième mi-temps dans un état second, semi-conscient.


La légende en marche.
Lors de son discours à la mi-temps, Aimé Jacquet espérait la révolte de ses hommes, et le public attendait un héros. On pensait à Zidane, bien sûr, à Djorkaeff, au jeune Thierry Henry, pourquoi pas à Guivarc’h ou Trezeguet. Ce fut Thuram, un défenseur, et pour ça, il fallut d’abord qu’il se rende coupable d’une erreur de débutant. Le suite, c’est ce doublé synonyme de qualification pour la finale. Après trois éliminations en demi-finales (1958, 1982 et 1986), la France accédait enfin au sommet du foot mondial : se profilait alors le Brésil, et il fut temps pour Zidane de se mettre enfin en évidence. Mais c’est une autre histoire.

Les buts :





Perdus dans l'espace 2 : L'homme et l'homme - Solaris (Tarkovski, 1972)


[ceci est le deuxième volet d’une série de quatre articles traitant plus ou moins librement de la représentation de l’homme dans l’espace au cinéma – le premier est disponible ici, le troisième et le quatrième est en cours d'écriture]

Le Dr Kelvin.

Beaucoup de gens ont leur film préféré. Certains, parmi eux (une part non négligeable, bien que volontairement discrète, presque honteuse), ont leur top 5, voire leur top 10 (leur top 100, pour les plus extrémistes). Ces gens sont à la recherche de certitudes, ils sont attachés à l’idée de hiérarchie, ils aiment l’ordre ; on imagine leur affolement quand, sans qu’il ne l’aient prévu, déboule un film inattendu, qui dès les premières secondes de son premier visionnage s’impose comme un prétendant sérieux aux premières places du classement, voire même au Trône.

C’est ce qui m’est arrivé. Bien que je n’ai jamais poussé jusqu’au top 100, j’ai eu un certain nombre de tops 10 (j’en ai même un par décennie, ce qui fera peut-être plus tard l’objet d’un, voire de plusieurs articles). Péchant par jeunesse, par arrogance, je pensais mon classement indéboulonnable, je pensais avoir vu tout ce qu’il fallait voir, je pensais que je n‘apprendrais plus rien. 

Et, un soir, j'ai découvert Solaris. Le contexte était particulier : c’était une sortie ciné qui avait pour but de distraire deux types particulièrement mal en point, l’un en pleine rupture, l’autre qui venait de rater d’un demi-chouia le concours le plus difficile de France, en y ayant cru jusqu’au bout. Vu qu’il fallait changer les idées de ces deux estropiés (qui, bien que ne se connaissant presque pas, avaient, étrange hasard, tous les deux leur soirée réservée avec moi cette fois-là), je m’étais dit qu’il allait falloir taper dans le ciné haut de gamme. J’avais jeté un coup d'oeil rapide sur les sorties (c’était en avril 2013, il n’y avait rien de mirobolant), avant de me rabattre rapidement sur les cinémas du quartier latin, ceux qui repassent tout le temps des classiques, et j’avais vu que la Filmothèque du Quartier Latin donnait Solaris.

De Solaris, je ne savais pas grand-chose. Je savais que c’était un film d’Andreï Tarkovski, le mec qui avait réalisé Andreï Roublev, un film que j’adore par dessus tout, l'un des trois ou quatre films qui ont eu la plus grande influence sur mon rapport au cinéma. Je savais aussi qu’il y avait eu un remake signé Soderbergh il y a une dizaine d’années, avec George Clooney, qui avait reçu un accueil assez mitigé. Je savais encore que c’était un film de science-fiction russe des années 70, précédé un peu partout de la réputation (flatteuse ou non) de réponse soviétique à 2001, l’Odyssée de l’espace. Je savais enfin que ça risquait fort d’être austère, aride, même, mais que ça serait sûrement vachement intelligent. Et c’était à peu près tout.

Quand le film a commencé, la salle était pleine à craquer (j’avais obtenu une place au premier rang, sur la gauche, l’avant-dernier siège sur la gauche, à côté de la place réservée à l’universitaire qui devait animer le débat prévu après le film et auquel je n'ai pas pu parce qu’après avoir vu Solaris, je n’avais envie que d’une bière et d’une clope). Très vite, j’ai compris qu’il se passait quelque chose.

La plus belle maison, sur la plus belle planète...

Solaris n’est pas un film de science-fiction comme les autres. Solaris commence sur terre, mais pas dans une mégalopole ultra-moderne, ni dans un désert post-apocalyptique. Solaris commence en pleine campagne. Il y a une maison, au milieu de la nature, et c’est la plus belle maison dans la pleine belle nature du monde. Car sous ses dehors de « film de SF qui se passe dans l’espace », Solaris se pose d’abord comme tel : comme un hymne à notre de planète, un chant de la Terre à la puissance mahlerienne.

Ensuite arrive l’argument de science-fiction. Ceux que l’on a identifié comme les protagonistes (surtout l’un, en fait), regardent une cassette vidéo de vingt-cinq minutes, ou presque, en noir et blanc (alors que le reste du film est en couleur), oùo il est question de l'audition d'un astronaute par une commission d'enquête, suite à une vol qui aurait connu un incident. On comprend un peu mieux les enjeux, mais l’accent est mis sur le ressenti des personnages – l’un d’entre eux est à la fois présent parmi les acteurs de la cassette et parmi les spectateurs qui la regardent, et le face-à-face avec cette image de lui-même le trouble au plus haut point.

Il paraît que lorsque, préparant Solaris, Tarkovski a vu 2001, il a dit « mouais, pas mal », et qu’il a immédiatement regretté que Kubrick se soit trop intéressé à la machine par rapport à l’humain. Car Tarkovski, lui, à travers le prisme de la science-fiction, ne s’intéresse qu’à l’homme. Envoyé dans le cosmos, dans une station spatiale en compagnie de deux autres scientifiques (le troisième qui les accompagnait s’est suicidé), le héros du film, le docteur Kelvin, constate très vite que comme chez Sartre, l’enfer, c’est les autres : ses deux camarades de vols semblent avoir sombré chacun dans une forme de folie très différente, mais virulente. Et, bien sûr, le docteur Kelvin en tarde pas à se faire happer à son tour. Dans Solaris, Tarkovski profite du huis-clos galactique pour mettre l’homme (en l’occurrence Kelvin) face à l’homme (en l’occurrence d’abord face à son impossibilité à communiquer avec ses compagnons d’expédition, puis face à lui-même, face à ses souvenirs, face à la nostalgie de la terre, à la nostalgie de la femme, à celle de sa jeunesse).

Pénurie de lingettes Skip sur la station.

L’étude des possibilités commerciales ou technologique de la planète Solaris, qui motive l’expédition que rejoint Kelvin, n’est jamais vraiment abordée : Tarkovski nous parle de ses effets sur le psychisme humain, de son pouvoir de fascination. Et dès son arrivée en orbite, Kelvin est confronté au pire : sa femme (qui, on le comprend assez vite, est morte depuis plusieurs années) apparaît à ses côtés, aimante, comme si rien ne s’était passé, et Kelvin se retrouve face au spectre de sa folie, face à sa certitude que la femme qu’il a en face de lui n’est pas la sienne, mais une copie, et face au bonheur qu’il éprouve à s’abandonner au regard (et dans les bras) de cette image de l’être aimé et perdu – où comment 2001 rencontre Vertigo

L’argument de science-fiction est à moitié éludé au fur et à mesure du récit – je n’ai pas lu le roman de Stanislas Lem dont est tiré le film, peut-être est-il moins avare en explications. L’espace devient un théâtre, où se joue une tragédie, et à l’archaïsme de la tragédie répond l’hypermodernité du lieu où elle éclate. Il y a la fumée, les tuyaux, les couloirs, et tout est beaucoup moins propre que dans 2001, mais l’abstraction qui en naît est aussi forte : pas un seul moment on ne doute qu’on est dans une navette, simplement la navette elle-même respire la fin du monde. C’est l’enfer (et cet enfer contraste avec l’idée du paradis terrestre évoqué par l’ouverture du film, où même la pluie semble une bénédiction). Mais de cet enfer naît des moments sublimes : ceux, évidemment, de la tentation.

L'Île de la tentation...

Par rapport à 2001, si Solaris est un film infiniment plus tourné vers l’homme, c’est également par qu’il admet l’existence de l’homme en tant que corps dans l’espace. Les trois naufragés de la station, dans Solaris, sont trois corps (il y a Snaut, petit, chétif et maladif, il y a Sartorius, plus grand, plus trappu mais boiteux, blond à lunettes, et il y a Kelvin, lourd, presque animal, tout empreint de pesanteur), et face à eux, il y a le corps rêvé de la femme. Dans 2001, les astronautes sont affûtés, ils sont grands, musclés, de parfaits WASP, ils sont assortis à leurs scaphandres de robots – ils sont déshumanisés. Leur corps n’intéresse pas Kubrick, qui préfère se servir des possibilités de l’apesanteur (et du corps privé de gravité) de manière ironique (les hôtesses dans les vaisseaux) ou dramatiques (un astronaute doit réparer une partie du vaisseau, il est en apesanteur, c’est plus compliqué, paf paf paf c’est mécanique). Pas Tarkovski. Quand Tarkovski utilise l’apesanteur, il est lyrique, mélancolique, et d’une infinie douceur.

C’est la plus belle séquence de l’histoire du cinéma. Il n’y a rien au-dessus. Si vous trouvez quelque chose de plus fort, signalez-le-moi. La séquence en apesanteur de Solaris. C’est annoncé, on nous dit qu’il va y avoir de l’apesanteur, on s’en fiche un peu (à vrai dire, le film est jusqu’alors si passionnant qu’on a autre chose à foutre), et puis, sur fond de Ich ruf zu dir, Herr Jesu Christ de Bach, le couple improbable formé par Kelvin et le fantôme malade de son épouse lévite, dans une danse immobile, flottant dans le salon XIXème d’une navette spatiale perdue dans le cosmos. Quand c’est arrivé, la première fois, dans ce cinéma du quartier latin, ma bouche s’est ouverte toute seule. Lentement. Longtemps. J’avais les dents serrées, au début, en raison de l’atmosphère crispante de certaines scènes du film (je le vivais intensément). Et petit à petit, au fur et à mesure des trente secondes, peut-être quarante, que compte cette courte scène, ma mâchoire inférieure s’est baissée, imperceptiblement d’abord, puis de plus en plus largement : à la fin, croyez-le ou non, mais j’avais la bouche grande ouverte. C’est évidemment la seule fois que cela m’est arrivé au cinéma, et cette réaction spontanée (la mienne) suffit à ce que rien au monde ne puisse se comparer avec la séquence en apesanteur de Solaris.

Le film, en lui-même, je le place très très haut dans mon Panthéon personnel – à vrai dire, s’il n’est que deuxième, ce n’est que parce que les Parrain s’y sont mis à trois pour conserver leur couronne. Et cette séquence, encore plus : ce sont des moments comme celui-ci, des moments de souveraine beauté, de contemplation du sublime (et d’un sublime très simple, absolument pas ampoulé) qui font la liqueur du cinéma. C’est l’image qui reste, dans Solaris. Il y en a d’autre, bien sûr : la pluie, sur terre. Le trajet en voiture, interminable confrontation avec la modernité qui sert de décollage vers l’espace. Les visions de la planète Solaris et de ses sortes de tentacules. La peinture de Brueghel. Le moite labyrinthe de tôle ondulée grossièrement peinte que constitue le vaisseau. Et cette séquence en apesanteur, donc : la séquence de la tentation.

On le sait, on le comprend dès le début : il ne faut pas que le docteur Kelvin cède aux soupirs de ses souvenirs, il ne faut pas qu’il se laisse embobiner par le fantôme de sa femme. Mais comme lui, petit à petit, on se fait plus indécis. Comme lui, on tergiverse. On est confronté à sa liberté, et à ses tentations, on vit un dilemme. On a parlé de tragédie, plus haut, et en effet, les racines sont grecques : et jusqu’au bout, Kelvin semble ne pas choisir, entre être un Ulysse attaché au mat du navire pour écouter les Sirènes sans se jeter à l’eau pour les rejoindre, et être un Orphée prêt à tout pour arracher Eurydice des griffes de la mort. 

L'océan de Solaris.

Alors qu’on lui donne l’hyperespace, le tout-technologique, peut-être Dieu ou au moins les extra-terrestres, Tarkovski en revient donc à la mythologie grecque, à l’Odyssée (celle d'Homère), aux Argonautes : parce que ce qu’il l’intéresse, où qu’il soit, c’est l’homme, et que sur l’homme, tout, ou presque, a été dit dès les Grecs, qu’on en revient toujours à eux, et que quiconque le nie passe pour un mauvais coucheur. Tarkovski exporte les plus vieux combats, les démons ancestraux du genre humain dans un cadre ultra-galactique. Il touche à la grâce.


dimanche 8 juin 2014

Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 8 : Le coup-franc de Ronaldinho

Cet article est le quatrième d'une série consacrée à onze moments mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Le reste du dossier est consultable sur cette page


La solitude.


En 2002, Ronaldinho n’est pas encore le plus grand gâchis du foot mondial, qu’il est devenu suite à son départ du Barça, alors qu’il n’avait que vingt-huit ans. Ce n’est même pas encore le meilleur joueur du monde, statut qui sera le sien grosso modo entre 2004 et 2007, durant son firmament barcelonais. En 2002, Ronaldinho est un jeune Brésilien très prometteur, qui s’est déjà signalé lors de la Copa America remportée en 1999 par les Auriverde, alors qu’il n’avait que dix-neuf ans, mais qui ne joue en Europe que depuis un an, au sein d’un PSG qui n’impressionne pas grand monde, et au sein de ce PSG quatrième de D1 (derrière Lyon, Lens et Auxerre), Ronaldinho, auteur de seulement neuf buts en championnat, ne brille que par intermittence.

Titulaire au sein de l’attaque de la Seleçao pendant le mondial 2002, il n’en est pas l’atout majeur, devant s’effacer derrière ses coéquipiers Rivaldo, ballon d’or en 1999, et surtout Ronaldo, qui signera lors de la compétition son grand retour en inscrivant huit buts et en s’adjugeant le titre de meilleur buteur. Mais Ronaldinho ne démérite pas, tenant dignement sa place dans le trident offensif d’une équipe du Brésil surtout solide en défense et au milieu du terrain.

Apocalypto II.

Lors du quart de finale qui oppose la Seleçao à l’Angleterre, le Brésilien rencontre David Seaman, trente-huit ans, gardien de but de la sélection anglaise et d’Arsenal avec lequel il vient d’être champion d’Angleterre, célèbre pour sa moustache et pour un but encaissé en finale de la Coupe des coupes 1995, face à Saragosse : un lob totalement impossible, réalisé par l’Hispano-Marocain Nayim, à la dernière minute des prolongations, venant donner la victoire à Saragosse :



Lorsque le Brésil obtient un coup franc excentré, côté droit, en début de la deuxième mi-temps, Seaman ne pense à Nayim. Il est vigilant. Parmi les Brésiliens, certains sont réputés bons joueurs de tête, comme les défenseurs Lucio ou Roque Junior, montés pour l’occasion, tandis que Ronaldo, déjà auteur de cinq buts dans le tournoi, rôde, à l’affût. Pour ne rien arranger, Ronaldinho, qui se prépare à tirer le coup-franc, est réputé bon centreur – Seaman n’a pas eu beaucoup d’occasions de le constater, mais il le sait. Il est sur ses gardes, il va falloir se lancer le plus vite possible vers le ballon, voler dans les airs pour essayer de s’en saisir avant les têtes brésiliennes.

L’arbitre siffle. Ronaldinho s’élance. Seaman fait quelques pas en avant, pour anticiper le centre. Le ballon part. Dès que le Brésilien l’a frappé, il s’est passé quelque chose d’étrange : le ballon est parti fort. Fort, et haut. A priori trop haut pour que quiconque puisse l’atteindre de la tête – d’ailleurs, attaquants et défenseurs, Brésiliens et Anglais stoppent leur effort. C’est le genre de centres trop longs qui terminent en sortie de but. C’est une occasion de gâchée pour le Brésil, alors que le score est toujours d’un partout. Sauf que…

Sauf que Seaman se souvient de Nayim. Il voit le ballon passer au-dessus de lui, puis redescendre très vite. Le premier, il comprend ce qui est en train de se passer. Il recule, à la hâte, puis saute, tente du bout des doigts de claquer le cuir au-dessus de la transversale. Peine perdue. Il est lobé, et le ballon entre dans le but. L’action est improbable : tout le monde s’attendait à un centre, d’ailleurs, ça ressemblait à un centre, à un centre raté, même, et c’est devenu un but, sans que personne ne touche la balle. Tandis que Seaman, vaincu, humilié, même, se débat avec le fantôme de Nayim, tandis que le Brésil se qualifie en remportant le match, une seule question est sur toutes les lèvres : Ronaldinho l’a-t-il fait exprès ?


Seman réconforté par David Beckham après la défaîte.

Tout et son contraire sera dit à ce sujet, chacun donnera son avis, coéquipiers, adversaires, commentateurs, et le joueur lui-même donnera des versions contradictoires, affirmant tantôt avoir juste raté son centre et été chanceux, prétendant plus tard avoir remarqué la position trop avancée de Seaman. Personne ne saura vraisemblablement jamais la vérité à ce sujet. 

Le coup franc :