Cet article est le dernier d'une série de onze textes consacrés aux moments les plus cultes que nous a offerts la Coupe de Monde de football. Le reste du dossier est consultable sur cette page.
L'Histoire du football est émaillée de mains célèbres : on se souvient de celle de Maradona contre l'Angleterre, de celle de Vata contre Marseille ou encore de celles de Thierry Henry contre l'Irlande. Toutes ces mains ont deux points comuns : elles sont restées impunies et ont permis un but. C'est en cela que la main qui nous intéresse cette fois-ci, oeuvre de l'Uruguayen Luis Suarez, se différencie.
Nous sommes en 2010, la Coupe du Monde se dispute cette année en Afrique du Sud. Le monde entier découvre le vuvuzela, sorte de trompette en plastique qui produit une sorte de vrombissement dont le bruit, étouffant, sera la bande sonore de tout le Mondial. Cette édition, la 19ème, est surtout la première à se dérouler en Afrique. Les représentants du continent, pourtant surmotivés, se sont presque tous effondré dès le premier tour : Afrique du Sud, Nigeria, Algérie, Cameroun et Côte d’Ivoire ont été éliminés, laissant le Ghana seul représentant du continent noir aux huitièmes de finale. Opposés aux Etats-Unis, les Black Stars s’imposent après prolongation.
L'Uruguay monte au filet. |
Nous sommes en 2010, la Coupe du Monde se dispute cette année en Afrique du Sud. Le monde entier découvre le vuvuzela, sorte de trompette en plastique qui produit une sorte de vrombissement dont le bruit, étouffant, sera la bande sonore de tout le Mondial. Cette édition, la 19ème, est surtout la première à se dérouler en Afrique. Les représentants du continent, pourtant surmotivés, se sont presque tous effondré dès le premier tour : Afrique du Sud, Nigeria, Algérie, Cameroun et Côte d’Ivoire ont été éliminés, laissant le Ghana seul représentant du continent noir aux huitièmes de finale. Opposés aux Etats-Unis, les Black Stars s’imposent après prolongation.
Soutenus par tout un continent, les Ghanéens voient
maintenant se dresser face à eux l’Uruguay. En cas de victoire, ils
deviendraient la première équipe africaine à atteindre le dernier carré d’un
Mondial, dépassant du même coup de Cameroun et le Sénégal, tous deux éliminés
en quarts de finale (respectivement en 1990 et en 2002). L’Uruguay, après avoir
été l’équipe phare de la première moitié du vingtième siècle (vainqueur de la
Coupe du Monde en 1930 et 1950, double champion olympique en 1924 et 1928), est
progressivement rentré dans le rang, à tel point que sa dernière demi-finale
remonte à 1970. Sur le papier, il n’y a pas véritablement de favori, même si
toute la planète espère secrètement que le Ghana se qualifiera.
Suarez, quelques minutes avant d'entrer dans la légende. |
Le match est animé. Juste avant la mi-temps, Muntari ouvre le
score pour le Ghana. Forlan lui répond en deuxième période. Chaque équipe vit
des temps forts, obtient des occasions, mais sans réussir à marquer un second but. Commencent les
prolongations, et le Ghana se met à pousser de plus en plus fort. Dans les
ultimes secondes de la partie, la défense uruguayenne ne parvient plus à
dégager le ballon, et les Ghanéens frappent plusieurs fois au but. Quand ce
n’est pas le gardien, Muslera, qui s’interpose, ce sont des joueurs uruguayens
postés sur la ligne de but qui sauvent leur camp. Jusqu’au coup de sifflet de
l’arbitre : sur une dernière tête qui avait trompé Muslera, le jeune attaquant Luis Suarez
avait arrêté le ballon sur la ligne en s’aidant de la main. La double sanction
est immédiate : carton rouge pour Suarez, et penalty pour le Ghana.
L’arbitre a appliqué le règlement à la lettre, et la Ghana
obtient une occasion en or : le penalty sera la dernière action de la
rencontre, c’est une balle de match pour les Black Stars. Si Gyan Asamoah le
marque, l’équipe sera qualifiée. Gyan s’élance, frappe… et le ballon heurte la
barre. L’arbitre siffle la fin du match. Un partout, il faudra donc en passer par
les tirs au but, et malgré le courage de Gyan, qui, quelques instants après son
raté si lourd de conséquence, trouvera la force de réussir son nouveau tir et de mettre
son équipe sur la bonne voie, l’Uruguay, dopé par ce final chanceux, s’imposera
et se qualifiera en demi-finales.
Suarez, lui, devint un héros et un paria à la fois. S’il
n’avait pas mis la main, le Ghana aurait marqué et aurait été qualifié. Il a
préféré se sacrifier et sauver les siens de façon irrégulière, en se disant
qu’il valait mieux un carton rouge et un penalty qu’un but à la dernière
seconde. L’arbitre l’a sanctionné, et si Gyan avait réussi son tir, tout le
monde aurait vite oublié l’incident. Mais Gyan a raté, et l’Uruguay s’est
qualifié, et si l’Histoire a donné raison à Suarez, la morale l’a largement
accablé – toute la bien-pensance footballistique se rejoignant pour fustiger,
sur les plateaux de télévision, les images d’un Suarez tout juste expulsé mais
déjà exultant au bord du terrain après l’échec de Gyan. On trouva même des
directeurs de consciences assez hardis pour avancer que plutôt qu’un penalty,
le Ghana aurait dû bénéficier d’un but – alors même que le ballon n’avait pas
franchi la ligne. Il y eut aussi des exégètes assez inspirés pour comparer
l’interdit de la main au football à celui de la masturbation dans la religion.
Le résultat ne changea pas : le Ghana était éliminé, à la déception
générale, et l’Uruguay, parfait dans le costume du méchant, se qualifia pour
une demi-finale où il perdit contre les Pays-Bas.
Le triomphe du héros. |
L’issue de ce coup de sort (que Suarez lui-même qualifia de
« plus bel arrêt de la Coupe du Monde ») est un pied de nez
formidable au règlement et aux avantages que sont supposées apporter diverses situations.
On imaginait mal, avant ce match, qu’une équipe sanctionnée d’un penalty et
d’un carton rouge à la dernière minute de prolongations, puisse réussir à
renverser le cours des évènements et s’imposer au finish.
Plus encore, cette action, et la controverse sans fin qu'elle engendra, montra une fois de plus que le football était un immense réceptacle à fantasmes et un vaste prétexte à débat. Ne croyez pas les amateurs de football quand ils vous disent que ce qu'ils recherchent, c'est le beau jeu. Le beau jeu, ils l'aiment, oui, mais ce n'est pas ce qu'ils préfèrent. Ce que veulent vraiment les spectateurs de football, c'est la dramaturgie, et son incroyable richesse. Qu'il ait fallu attendre 2010 pour assister à une situation telle que le final de cet Uruguay - Ghana montre bien que les situations potentielles que peut offrir un match de football sont sans fin, amplifiées et multipliées par la circonstance exceptionnelle que constitue une Coupe du Monde.
Le délit et sa sanction :
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