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lundi 27 juillet 2015

Tour de France 2015 : Bilan après la troisième et dernière semaine de course.

La première semaine de ce 102ème Tour de France, avec le contre-la-montre d’Utrecht, les bordures de Zélande, les pavés du Nord et les arrivées pour puncheur à Huy, au Havre et  Mûr-de-Bretagne avait fait ici l’objet d’un précédent compte-rendu. La deuxième, qui voyait le peloton s’attaquer au Pyrénées puis traverser le Sud du Massif Central en passant par Rodez, Mende et Valence avait été détaillée . Le Tour 2015 est maintenant fini, et l’heure est à un nouveau bilan, celui de cette troisième et dernière semaine, principalement ambiancée par quatre étapes alpines.



Contador, Nibali, Quintana, Froome, Valverde et Thomas. Ouais, Thomas. La blague n'a pas duré longtemps, d'ailleurs.

1)      Le triomphe de Froome

Il était en jaune depuis le début, ou presque, et il l’est resté jusqu’au bout. En tête du classement général dès la troisième étape et l’arrivée en haut du mur de Huy, Christopher Froome n’a abandonné la précieuse tunique que le temps de quelques étapes, le temps de laisser l’Allemand Tony Martin placer une attaque saillante vers Cambrai, prendre le leadership de la course et abandonner deux jours plus tard, au Havre, une épaule en vrac. Depuis, le paletot jaune n’a plus quitté les épaules de Froome. Mieux, même : le Rhino s’est également adjugé le maillot à pois de meilleur grimpeur, pour la première fois de sa carrière, étant le premier coureur à triompher dans ces deux classements la même année depuis Carlos Sastre, en 2008 - l'Espagnol avant forgé son succès avec une attaque spectaculaire lors de la dernière étape de montagne, à l'Alpe d'Huez, soit les circonstances précises où Froome, l'espace d'un instant, à semblé en mesure de tout perdre cette année.

Impressionnant vainqueur à la Pierre-Saint-Martin pour la première arrivée en altitude de ce Tour de France, le Britannique n’a pas eu besoin de récidiver pour s’adjuger son deuxième Tour de France, après 2013, complétant de belle manière un palmarès qui commence à devenir conséquent : sa forme a même été déclinante tout au long de cette troisième semaine. En effet, celui que l’on appelait autrefois le Kenyan Blanc (natif de Nairobi, il n’a la nationalité britannique que depuis 2009) a opté pour une stratégie inattendue : alors que l’ensemble des favoris, sans doute effrayés par l’orgie de montagne de la troisième semaine, avait programmé son pic de forme le plus tard possible, Froome a lui choisi d’arriver en forme tôt, de creuser des écarts dès qu’il en aurait l’occasion et de se contenter ensuite de défendre, quitte à passer des moments difficiles en fin de course. Appliquant à la lettre l’adage ce qui est pris n’est plus à prendre, Froome a fait la course en tête très tôt, frappant un grand coup à la Pierre-Saint-Martin, tant sur le plan comptable (son premier poursuivant au général, l’Américain Van Garderen, avait alors été repoussé à presque trois minutes) que psychologique (le souvenir du Froome surpuissant de 2013 était ressurgi immédiatement, et avec lui les débats houleux que la Sky se traîne depuis les années Wiggins).

Froome, plus intéressé par le maillot jaune que par les hôtesses. A raison.

























Or, et c'est peut-être assez inattendu pour ceux qui n’ont suivi que de loin ce Tour de France, Chris Froome était largement prenable dans les Alpes. Son équipe, la Sky, qui avait brillamment cadenassé la course dans les Pyrénées, est passée à la trappe dès que la route a commencé à se cabrer (Geraint Thomas, quatrième du classement général avant l’entame des Alpes, a perdu plus de vingt minutes sur la seule étape de La Toussuire), abandonnant le maillot jaune à la merci de ses adversaires à de nombreuses reprises. Lors de l’arrivée de la Toussuire, ce dernier a craqué une première fois, concédant du temps à Nibali et surtout à Quintana, et le  lendemain, à l’Alpe d’Huez, quasiment à la dérive, il s’est retrouvé littéralement tracté jusqu’à l’arrivée ou presque par Richie Porte et Wout Poels, deux de ses coéquipiers revenus du diable vauvert, qui lui ont permis de sauver son maillot jaune pour un petit peu plus d’une minute.

Si le déchaînement médiatique de la seconde semaine avait tenté de nous vendre un Froome invulnérable, fer de lance d’une équipe indestructible, la vérité était toute autre : sa victoire, acquise en deux temps (l’étape des bordures, en Zélande, puis celle de la Pierre-Saint-Martin), n’a finalement tenu qu’à un fil, et le Britannique la doit autant à son travail, à son sang-froid et au choix stratégique de son équipe de tout miser sur la première arrivée en altitude qu’à la nullité tactique de ses adversaires, incapables de s’entendre pour l’attaquer.


2)      La Movistar, cette négation de la tactique et de l'audace

Car derrière Froome, on retrouve deux coureurs de la même équipe : le Colombien Nairo Quintana et l’Espagnol Alejandro Valverde, de la Movistar. S’il s’agit, pour cette formation, d’une splendide performance, on ne peut pas occulter le fait que durant toute cette troisième semaine, les Movistar sont passés pour des cons, voire pire : des sales cons antipathiques. Après les Pyrénées, ils s’étaient retrouvés les mieux classés des poursuivants de Christopher Froome et, pensait-on naïvement, les mieux placés pour l’attaquer. De plus, avec deux coureurs susceptibles d’inquiéter un maillot jaune qu’on commençait à soupçonner d’être faillible, l’équipe dirigée par Eusebio Unzué disposait a priori de plusieurs possibilités tactiques.


Quintana et Valverde en train de ne pas renverser le Tour.























Finalement, Quintana et Valverde ont préféré faire office d’équipiers de luxe de Christopher Froome, préférant manifestement terminer deuxième et troisième plutôt que premier et quatrième, tentant d’annihiler chacune des offensive de leurs rivaux Vicenzo Nibali et Alberto Contador sans jamais vraiment passer à l’attaque eux-mêmes - à part quelques pétards mouillés ici où, et dans lesquels il n'était visiblement pas envisageable de laisser les coudées franches à Quintana. Alors que la course aurait pu s’emballer et devenir complètement folle si les Movistar avaient collaboré avec les autres outsiders pour tenter de renverser Froome, elle s’est transformée dans les Alpes en succession de pétards mouillés, au point que ressurgisse le surnom moqueur de Vomi-star, utilisé par les amateurs de cyclisme pour critiquer les tactiques ultra-défensives des coureurs de la formation espagnol.

Pour Valverde, c’est évidemment un triomphe : à 35 ans, et après de nombreux échecs depuis dix ans, le Murcian monte enfin sur le podium d’un Tour de France. Pour Quintana également, le bilan est apparemment bon : comme en 2013, le Colombien termine dauphin de Christopher Froome, et comme 2013, il remporte le classement du meilleur jeune. Mais pour les spectateurs, les regrets sont réels : dans les Alpes, Quintana a repris une trentaine de secondes à Froome dans la montée vers La Toussuire après avoir attaqué bien trop tard, et plus d’une minute dans l’ascension de l’Alpe d’Huez, pour finalement venir échouer à soixante-douze minuscules secondes de la victoire finale, soit l’écart le plus mince entre un vainqueur et un deuxième de la Grande Boucle depuis cinq ans et le succès teinté de scandale de Contador devant Andy Schleck. Avec une stratégie moins frileuse (pourquoi a-t-il systématiquement attendu la dernière ascension de l’étape pour tenter de distancer Froome au lieu de relayer Contador et Nibali dans leurs offensives lointaines ?) et un coéquipier moins encombrant (en raison de son palmarès long comme le bras, Valverde est le véritable patron de l’équipe, et il est vraisemblable que le réel objectif de la Movistar, plus que d’aider Quintana à gagner le Tour, ait été de hisser enfin Valverde sur le podium, l'un n'attaquant jamais sans l'autre jusqu'aux dernières étapes), on peut vraisemblablement avancer que le Colombien aurait remporté hier son premier Tour de France, tant il était clairement au-dessus de tous ses adversaires, Froome compris, durant la traversée des Alpes (quatre étapes, dont trois arrivées au sommet, ça aurait dû suffire).

Pour l'heure, on se dit qu’à vingt-cinq ans, il représente l’avenir et a bien le temps d'en gagner d’autres. Qu’on se souvienne d’Andy Schleck, autre grimpeur de génie auquel on prédisait un avenir doré, qui avait stupidement perdu le Tour en 2010 derrière Alberto Contador pour à peine plus que Quintana contre Froome cette année, en s'étant montré le plus fort : ce n’est pas grave, disait-on, il a toute sa carrière devant lui. Cinq ans plus tard, le cadet des frères Schleck est déjà à la retraite et n’a jamais remporté la Grande Boucle autrement que sur tapis vert. Il ne reste plus qu’à espérer un destin plus enviable pour Quintana.

Froome isolé par les Movistar. Forcément, c'est lui qui mène dans la descente.


3)      Un top 10 de haute volée

Au départ du Tour, il y avait Froome, il y avait Quintana, mais il y avait également Contador et Nibali, les deux derniers Fantastiques. Clairement en dedans dans les Pyrénées, ils avaient promis d’attaquer dans les Alpes, pour tenter de renverser une course bien mal embarquée. Ils ont tenu parole. L’Espagnol a tenté de prendre le large lors de presque toutes les étapes, sans jamais trouver l’ouverture : à chaque fois, Valverde, craignant de perdre sa bonne place au général, venait le rechercher. Fatigué par un Tour d’Italie éreintant qu’il est le seul des quatre grands favoris à avoir disputé, Contador a de plus été victime d’une chute dans la descente du col d’Allos, qui lui a fait perdre plus de deux minutes sur les autres favoris. Il termine ce Tour à la cinquième place, exactement comme en 2011, la première fois qu’il s’était attaqué au doublé Giro-Tour – même si la déception est grande de ne pas l’avoir emporté sur cette Grande Boucle, cette performance reste le meilleur enchaînement des deux premiers Grands Tours de l’année depuis 1998 et Marco Pantani.

Nibali, lui, est monté tranquillement en régime sur ce Tour de France. Littéralement à la rue dans les Pyrénées (après l’étape de Cauterets, il ne pointait qu’à la onzième place du classement général), il a attaqué tous les jours par la suite, ne laissant aucun répit au maillot jaune (et aux Movistar, toujours prompts à bondir sur tout ce qui pourrait ressembler à un coup de panache). Au fur et à mesure des étapes, le Sicilien a réussi une splendide remontée et se classe finalement quatrième de l’épreuve, avec en prime, une prestigieuse victoire d’étape, à La Toussuire, dans ce qui était l’étape-reine de ce Tour de France. Profitant d’un incident mécanique de Christopher Froome pour attaquer le groupe maillot jaune dans les derniers kilomètres du col du Mollard (ce qui lui sera vigoureusement reproché par Froome à l’arrivée et qui donnera lieu à une explication tendue entre les deux hommes, la deuxième sur ce Tour de France après celle du Havre, suite à une chute collective les ayant impliqués tous les deux), le requin de Messine était revenu sur Pierre Rolland puis l’avait déposé pour s’adjuger l’étape, avec une avance confortable sur les autres favoris.


Le requin de Messine.

Dans le reste du classement, une surprise de taille : l’absence de Van Garderen. Le coureur américain, deuxième en juin du Dauphiné derrière Froome, paraissait dans la forme de sa vie, et à l’entame de cette dernière semaine, il pointait au troisième rang du classement, en passe de réussir le meilleur résultat de sa carrière sur le Tour. Mais dès mercredi et l’étape de Pra-Loup, il déchantait : malade, il se faisait lâcher par le peloton dès les premières pentes, avant d’abandonner rapidement - son éviction brutale laissa présager, dès mercredi midi, une fin de Tour complètement folle, promesse seulement à moitié tenue. Deux habitués du top 10 des Grands Tours ont donc profité de la disparition de l’Américain pour faire leur petit trou : les Hollandais Robert Gesink et Bauke Mollema terminent sixième et septième. Derrière eux, le Suisse Mathias Frank, huitième, réalise la meilleure prestation de sa carrière sur une course de trois semaines.

Et pas n’importe laquelle : l’une des plus difficiles de ces dernières années. En effet, entre une première semaine qui avait déjà fait un ménage considérable dans le classement, une arrivée à la Pierre-Saint-Martin qui a fait l’effet d’une bombe au niveau des écarts entre favoris, et une séquence alpine ultra-montagneuse, c’est à un véritable Tour pour costauds qu’on a assisté cette année. Au général final, et malgré le faible écart entre Froome et Quintana, l'amplitude du classement est impressionnante : seuls quinze coureurs ont terminé cette Grande Boucle à moins d’une heure de Christopher Froome (chose qu’on avait pas vue depuis des années et des années, sachant que vingt-quatre minutes séparent Pinot, seizième à trente-huit minutes, de Kreuziger, dix-septième à une heure et deux minutes), et le vingtième du général (Jan Bakelants) n’avait pas été aussi loin du maillot jaune depuis 1969 et la première victoire d'Eddy Merckx.


4)      Les Français in fine

Les lacets de Montvernier. Un lieu Français, désormais cher à l'ex-ministre Montebourg.

Au départ de ce Tour de France, deux coureurs français cristallisaient les espoirs de leurs compatriotes en vue d’obtenir un beau classement général : Romain Bardet (6ème l’année dernière) et Thibaut Pinot (3ème l’an passé). Leur jeune âge (ils concouraient tous les deux également dans la catégorie du meilleur jeune) et leurs jolis débuts de saisons respectifs (une étape de montagne sur le Tour de Romandie et une autre sur le Tour de Suisse pour Pinot, une étape sur le Dauphiné pour Bardet) semblaient autant de raisons d’espérer, surtout que ce Tour marquait exactement les trente ans du dernier triomphe français sur la Grande Boucle (c'était en 1985, et c'était évidemment l'oeuvre de Bernard Hinault).

Mais dès la première arrivée en altitude à la Pierre-Saint-Martin, il apparaissait que les deux Français, qui avaient déjà perdu beaucoup de temps bêtement en première semaine, étaient hors de forme et en crise de confiance : lâchés très tôt par le peloton, ils terminaient loin de Christopher Froome et abandonnaient leurs derniers espoirs de podium. Quelques jours plus tard, dans ce qui avait semblé être une tentative de sursaut, ils s’étaient ridiculisés à Mende : incapable de s’entendre après s’être retrouvés tous les deux seuls en tête au sommet de la montée Laurent-Jalabert, ils avaient vu le Britannique Stephen Cummings revenir sur eux et les aligner en bonne et due forme pour leur chiper la victoire d’étape – et ils étaient devenus la risée de tout ce que la planète compte d’amateurs de vélos, principalement en France, ce beau pays si disposé à moquer ses ressortissants dès qu’ils échouent dans quoi que ce soit.

Il allait donc leur falloir une sacrée force de caractère pour surmonter ces échecs et ne pas traverser les Alpes comme des fantômes. On a vu. A l’attaque quasiment tous les jours l’un comme l’autre, ils se sont employés à sauver ce qui pouvait encore l’être de leur Tour de France. Bardet a été le premier à dégainer : vainqueur en solitaire de la 18ème étape à Saint-Jean-de-Maurienne après avoir distancé tous ses poursuivants dans le col du Glandon, creusé l’écart dans la descente et résisté dans l’ascension ultra-télégénique des lacets de Montvernier, le jeune grimpeur de l’équipe AG2R a ce jour-là sauvé son Tour de France. Mieux, même : ses multiples échappées lui ont permis de se glisser, de justesse, dans le top 10 du classement final (9ème devant un autre Français, Pierre Rolland), de terminer deuxième du classement de la montagne et de récolter le prix honorifique de Coureur le plus combatif du Tour 2015.


Pinot pin up.

Pinot a eu un petit peu plus de mal à mettre la machine en route : offensif dès l’étape de Pra-Loup, une chute dans la dernière descente alors qu’il menait la chasse derrière Simon Geschke lui avait littéralement coupé les ailes, le contraignant à laisser le coureur Allemand s’envoler vers la victoire. Il avait à nouveau tenté sa chance les jours suivants, mais sans succès, et il a fallu attendre la dernière étape des Alpes pour le voir ressortir de sa boîte, et de quelle manière : pas loin derrière les favoris au sommet de la Croix-de-Fer, il avait recollé dans la descente, avant de sortir, avec un groupe de costauds, dans le replat. Accompagné du Canadien Ryder Hesjedal, il avait ensuite retrouvé son coéquipier Alexandre Geniez dans la montée de l’Alpe d’Huez, pris le large et résisté au retour désespéré de Nairo Quintana pour s’adjuger l’étape, en patron. Après les victoires de Pierre Rolland en 2011 et de Christophe Riblon en 2013, c’est la troisième fois d’affilée que les 21 lacets de l’Alpe d’Huez sourient à un coureur français. De quoi redonner le sourire à un Pinot qui termine finalement seizième du classement général.

Derrière ces deux coureurs, on retiendra des Français, sur ce Tour 2015, la belle victoire d'étape d'Alexis Vuillermoz à Mûr-de-Bretagne lors de la huitième étape, et la formidable constance de Pierre Rolland en montagne, qui accroche la dizième place du classement général en étant celui des outsiders qui a le mieux réussi à rester au contact des favoris dès que la route s'est élevée. Tony Gallopin, bien classé après les Pyrénées, s'est littéralement effondré dans les Alpes et termine finalement trente-et-unième, et le jeune Warren Barguil, un temps à la lutte pour le top 10, s'est surtout fait connaître du public français (quatorzième après s'être battu comme un beau diable et avoir provoqué le KO le plus spectaculaire de la course en envoyant Geraint Thomas dans le ravin, heureusement sans gravité). Meurtri par une chute cruelle, Jean-Christophe Péraud, qui avait créé la surprise l'année dernière en terminant second derrière Nibali, a terminé soixante-et-unième. Les jeunes pousses du sprint français ont échoué à remporter une étape, mais Bryan Coquard s'est classé deuxième sur les Champs-Elysées, frôlant de très près ce qui aurait été un exploit retentissant.


5)      André Greipel, l’autre costaud du Tour

Sur ce Tour de France, rayon sprinteurs justement, on attendait surtout Mark Cavendish, déjà vainqueur de vingt-six étapes sur la Grande Boucle depuis le début de sa carrière, et qu’on voyait bien ajouter quelques nouveaux bouquets à sa collection, surtout en l’absence du nouvel ogre Marcel Kittel, vainqueur à quatre reprises en 2013 puis à nouveau en 2014. Mais le Cav’ a dû se contenter d’une seule victoire, à Fougères, en fin de première semaine. Le reste, tout le reste, il a dû l’abandonner à l’Allemand André Greipel, archi dominateur dès que le peloton s’est présenté groupé à la flamme rouge - ce qui, parcours piégeux oblige, est arrivé de façon exceptionnellement rare. Déjà victorieux à six reprises sur les routes du Tour depuis le début de sa carrière, Greipel avait bien lancé son année 2015 en remportant entre autres une étape au Tour d’Algarve, une autre à Paris-Nice, puis encore une au Tour de Turquie, et surtout, une autre sur le Tour d’Italie.


Pour le dernier Grand Prix de l'Arc de Triomphe, il fallait préférer le Gorille aux chevaux.

Mais il faut croire qu’il n’était pas rassasié. Déjà vainqueur lors des deux premières semaines des deuxième, cinquième et quinzième étapes de la course, celui que l’on appelle le Gorille de Rostock a ajouté, prestigieux point d’orgue de ce Tour de France maîtrisé de bout en bout, une victoire lors de l’ultime étape, celle des Champs-Elysées, couramment considérée comme l’Alpe d’Huez des sprinters (Kittel avait remporté les deux dernières, interrompant une série de quatre succès consécutifs de Cavendish sur la plus belle avenue du monde), disputée cette année sous la pluie après le traditionnel défilé champagne, et qui a vu l'irruption, dans le dernier virages des pavés trempés de l'Est parisien, d'un fou suicidaire en travers de la route, heureusement évité par l'ensemble des coureurs. Ancien coéquipier de Mark Cavendish, Greipel s’est émancipé depuis plusieurs saisons, et avait pris l’habitude, depuis 2011, de remporter chaque mois de juillet au moins une étape sur la Grande Boucle. Avec ses quatre succès, dont celui sur les Champs, il vient tout simplement de livrer, à 33 ans, le meilleur Tour de France de sa carrière.

Cela n’a néanmoins pas suffi pour remporter le maillot vert du classement par point. L’irrésistible Peter Sagan, que l’on a encore vu s’échapper en tête de la course dans les Alpes, s'est adjugé le titre pour la quatrième année consécutive, sans gagner la moindre étape mais grâce à une impressionnante collection de places dans le top 5 (onze fois sans compter le contre-la-montre par équipes, et encore cinquième sur les Champs-Elysées) et à un quasi-carton plein sur les sprints intermédiaires, y compris dans les étapes de montagne. A eux deux, Sagan et Greipel ont éclipsé l’ensemble des autres sprinters présents sur le Tour : une seule victoire pour Cavendish, donc, et rien pour Alexander Kristoff, rien pour Arnaud Démare, rien pour Tyler Farrar, rien pour John Degenkolb, un abandon précoce pour Nacer Bouhanni et trois semaines passées à errer en queue de peloton pour un Michael Matthiews meurtri par les chutes. 


Au terme de ces trois semaines de courses, reste, à chaud, le sentiment d'un Tour souvent agréable en terme de spectacle, mais frustrant. Agréable, car les numéros de Rodriguez, Froome ou Sagan ont permis de vivre des émotions fortes, tout comme les barouds de Pinot ou Nibali. Frustrant, car malgré les banderilles plantées ici et là par Nibali et Contador, et, bien trop tard, par Quintana, la lutte pour la victoire finale n'a véritablement livré que 50% de son potentiel. En juillet prochain, le Tour 2016 s'élancera du Mont-Saint-Michel, pour trois nouvelles semaines irrationnelles, et ça promet d'être dur d'attendre la revanche pendant aussi longtemps. 


mardi 21 juillet 2015

Tour de France 2015 : Que retenir de la deuxième semaine ?

Après un bilan sur les étapes une à neuf lors de la première journée de repos, ce second jour de relâche est l’occasion d’un petit retour, à nouveau en cinq points, sur cette deuxième semaine de course. Si la première semaine, riche de nombre de pièges en tous genres, avait déjà commencé à décanter le classement général, cette suite de Tour dans les Pyrénées, avec  notamment les arrivées à la Pierre Saint-Martin ou au Plateau de Beille, mais aussi l’entre-deux massifs, à Rodez, Mende ou Gap, était censée signifier le début des choses très sérieuses. On a pu le constater. 


Nous habitons quand même un pays pas dégueu.

1)      Les héros de 2014 en souffrance

C’était l’image du Tour 2014 : deux Français sur le podium, Jean-Christophe Péraud deuxième et Thibaut Pinot troisième, alors que la dernière présence d’un représentant tricolore sur la boite à Paris remontait à Richard Virenque, deuxième derrière Ullrich en 1997. En grattant un peu plus loin, on trouvait également Romain Bardet, sixième et Pierre Rolland, onzième. C’est donc avec quelque légitimité que le public avait attendu avec attention les coureurs français cette année, évaluant fébrilement les chances qu’ils avaient de rééditer leur performance de l’an passé, voire de faire encore mieux dans le cas de Pinot que beaucoup imaginaient tenir la dragée haute aux Froome, Quintana et autres Contador.

Malheureusement pour le public français, il n’en a rien été. Pinot, malchanceux et mal épaulé, avait abandonné toutes ses chances de victoire dès la première semaine. La traversée des Pyrénées a sonné le glas de ses ambitions de top 5, et vraisemblablement même de top 10, sauf exploit retentissant dans les Alpes. Hors de forme, le grimpeur de la FDJ a constamment figuré parmi les premiers favoris lâchés dès que la route s’est élevée, et s’il est apparu en forme ascendante, il lui sera difficile, compte tenu du niveau des favoris, de jouer la gagne ne serait-ce que sur une étape, sans parler du maillot à pois. Sa chance de remporter une étape, il l’a sans doute laissée passer dans l’ascension de la Montée Laurent-Jalabert, à Mende, lorsqu’il revient sur Romain Bardet, rescapé comme lui d’une échappée, au sommet de la côte et que les deux coureurs français ne collaborent pas et laissent revenir de l'arrière le Britannique Stephen Cummings qui les coiffe au poteau.

2015, l'année de la confirmation pour les Français.
Jean-Christophe Péraud a connu le même lot de déconvenues. Si malgré sa deuxième place de l’an passé, il ne figurait pas dans le premier cercle des favoris (la faute à un début de saison en demi-teinte et à un âge déjà avancé), ses performances restaient néanmoins scrutées avec attention. Pas à son aise dans les Pyrénées, où il concède beaucoup de temps aux autres leaders, il connait les affres d’une chute lors de l’étape qui mène les coureurs à Rodez. Ensanglanté, le cuissard largement déchiré, il décide de continuer la course, s’attirant par son courage les louanges du Patron en personne, François Hollande en visite sur le Tour et désireux de faire l’éloge de ceux qui en bavent. Depuis, le coureur d’AG2R, recouvert de pansements à tel point qu’il paraît parfois momifié, traîne en queue de peloton, grimaçant. Désormais cinquantième du général, il se contentera de rallier Paris, et compte tenu de son état, ce sera aussi méritoire que sa deuxième place en 2014.

De façon plus inattendue, le vainqueur de l’an passé, le Sicilien Vicenzo Nibali, a lui aussi vécu une semaine difficile. Alors qu’on l’attendait grand gagnant de la première semaine, il avait déjà déçu, concédant du temps à ses rivaux sur un parcours que l’on pensait taillé pour lui, et abordant les Pyrénées avec un débours de déjà plus de deux minutes sur Christopher Froome. Il a totalement craqué dès la première arrivée au sommet, à la Pierre-Saint-Martin, perdant a priori toutes ses chances de podium. Mais le Requin de Messine a de la ressource, et s’est accroché les jours suivants. Mieux, même : il s’est permis d’attaquer, au Plateau de Beille et à Mende, à chaque fois sans résultat, avant de parvenir à reprendre une trentaine de secondes à ses concurrents lors de l’étape arrivant à Gap. Onzième après l’arrivée à Cauterets, il pointe désormais à la huitième place, à sept minutes et quarante-neuf secondes de Christopher Froome. C’est encore très loin, c’est vrai.


2)      Froome : haters gonna hate

Car Christopher Froome a véritablement assommé la concurrence, dès mardi après-midi, lors de l’étape qui menait le peloton de Tarbes jusqu’à la Pierre-Saint-Martin. Lors de l’ascension finale, longue de quinze kilomètres, le Britannique a fait rouler ses hommes, faisant craquer successivement Nibali et Contador. Son attaque, à un peu plus de six kilomètres de l’arrivée, lui a permis de décramponner le dernier de ses adversaires à s’être encore accroché, Nairo Quintana et de s’adjuger l’étape avec une marge plus que confortales. A l’arrivée, les écarts ont été considérables : derrière Froome, solide maillot jaune, l’Américain Tejay Van Garderen pointe à deux minutes cinquante-deux, Quintana, troisième, à environ trois minutes, Valverde et Contador à plus de quatre minutes, et Nibali encore plus loin.


Froom' froom' !
Dans son style si particulier (assis sur son vélo, avec une cadence de pédalage frénétique rappelant parfois un enfant sur son tricycle, ses grands bras de mante religieuse littéralement aggrippés au guidon, coudes sortis et sa tête baissée), Froome, qui brigue désormais le surnom de Rhino, a reproduit à la Pierre-Saint-Martin un numéro de la dimension de ce qu’il avait déjà réalisé en 2013 à Ax 3-Domaines ou au Mont Ventoux. Déjà assez peu appréciée par la majorité du public français (en raison, pêle-mêle, de ses nombreuses victoires, de sa capacité à faire éclore au plus haut niveau des coureurs sur lesquels personne n’aurait misé un kopeck ou encore du vieil l’antagonisme franco-anglais), son équipe, la  toute-puissante Sky, n’arrangeait pas son cas : en plus de la démonstration de Froome, son équipier Richie Porte se classait deuxième, coiffait Quintana dans les derniers hectomètres, et un troisième larron, Geraint Thomas, accrochait le top 10.

Dans ce petit monde très agité qu’est le Tour de France, cette performance suffit à faire grimper la température d’une dizaine de degrés. En cause, bien sûr, les soupçons de dopage pesant sur la formation britannique. L’ensemble de la presse française a fait part de son scepticisme, au lendemain du numéro de Froome à la Pierre-Saint-Martin, au point que ce dernier réplique en tançant vertement Laurent Jalabert et Cédric Vasseur, deux anciens coureurs français au passé controversé qui officient désormais en tant que commentateurs sur France Télévisions. La pression continua à monter lorsque Froome, après l’arrivée à Mende, se plaignit d’avoir été aspergé d’urine par un spectateur qui l’aurait traité de dopé puis lorsque son lieutenant Richie Porte affirma avoir été frappé par un autre supporter quelques jours plus tôt. Suffisant pour que l’équipe demande une protection policière – et on vit, au matin de la quinzième étape, un groupe de flics entourer le bus de la Sky au départ de la course. Pour ne rien arranger, la Sky annonça avoir été victime d’un piratage informatique et déplora le vol de nombreuses données confidentielles liées à plusieurs de ses coureurs, dont Froome. Sans qu’on sache qui ait dirigé le hack de l’équipe, dans la foulée, plusieurs vidéos se mirent à fleurir sur Youtube, montrant Christopher Froome, en 2013 dans le Ventoux, avec, en incrustation, toutes ses données en terme de puissance, de respiration, de fréquence cardiaque – et évidemment, l’absence de changement du rythme de son cœur, après une attaque, relança l’éternelle polémique sur l’usage de vélos électriques dans le peloton.


3)      Le trolling permanent 

Voldemort a une jolie paire de lunettes.
Mais ce n’était pas tout, et dans la canicule du mois de juillet, tout semblait concorder pour accentuer l’atmosphère peu à peu irrespirable de ce Tour de France. D’abord, il y eut le retour du seul baron de la drogue a avoir remporté sept Tours de France, l’Américain Lance Armstrong, dit le Boss, vainqueur de l’épreuve entre 1999 à 2005 et depuis déclassé pour dopage en cartel organisé. Le retraité banni avait fait part il y a de longs mois de sa volonté de disputer la course, seul, en faisait route avec une journée d’avance sur le peloton, pour récolter des fonds au profit de la lutte contre le cancer (la seule voie dont il puisse rêver pour sa réhabilitation). Les organisateurs comme la Fédération internationale s’étaient montrés très sceptiques à cette perspective, ne cachant pas leur désir de voir le Texan renoncer à son projet, tant son nom reste aujourd’hui associé aux désormais traditionnelles zeures-les-plus-sombres de la Grande Boucle.

Finalement et façon assez prévisible, se sentant assez peu en odeur de sainteté, Armstrong décida de ne parcourir que deux étapes. Mais son arrivée ne pouvait pas plus mal tomber : juste après la démonstration de Christopher Froome. Invité à se prononcer sur son lointain successeur et à détailler leurs similitudes (deux coureurs qui ont connu à la fois une maladie et une transformation profonde, deux coureurs aux équipes surpuissantes en montagne, deux coureurs à la fréquence de pédalage très importante, deux coureurs qui ont en leur temps gagné le Tour en l’écrasant), il se contenta de botter en touche, s’affirmant incapable d’émettre une opinion sur le supposé dopage de Froome et des Sky, réponse de normand qui s’avéra, aux yeux de la presse, valoir une accusation - et quoi qu'il en soit, par sa seule présence, Armstrong fait encore figure de menace réelle pour l'image médiatique de la course, surtout quand il égratigne à son tour le passé de gloires du cyclisme français (Hinault et Jalabert) au détour d'une interview donnée à la presse régionale.

Une autre légende vivante du dopage des années 2000 a également accompli un retour trollesque sur le Tour cette année : le Danois Michael Rasmussen, double vainqueur du classement de la montagne, et qui portait le maillot jaune en 2007 avant d’être mis hors course par son équipe pour infraction aux règles de localisation des coureurs durant sa préparation, alors qu'il était en passe de remporter le Tour de France (cette disqualification avait profité au jeune Contador, qui avait récupéré le maillot jaune, résisté à Evans dans le dernier contre-la-montre et remporté son tout premier Tour, un braquage). Présent cette année sur la Grande Boucle en qualité de consultant pour un journal danois, Rasmussen, qui fait aujourd’hui figure de repenti désireux de collaborer main dans la main avec les autorités, a lui aussi ravivé, par la simple évocation de son nom, le souvenir des pires années de triche de la course. Invité, comme Armstrong, à se comparer au maillot jaune Christopher Froome (avec lequel il partage, outre le fait d’être les deux seuls coureurs à avoir réellement dominé Alberto Contador sur un Grand Tour, une maigreur impressionnante), il a lui aussi botté en touche. Néanmoins, le fait qu’il se soit installé, pour donner son interview, devant le bus des Sky a une fois de plus été abondamment commenté.

Oleg Tinkoff, le Bernard Tapie russe.
Dans la foulée de ces deux revenants et sans parler de la victoire d’étape, à Gap, de Ruben Plaza Molina, ancien inculpé de la mythique affaire Puerto, c’est tout le monde qui a semblé péter un peu un plomb durant cette deuxième semaine de course. Ainsi, l’Argentin Sepulveda a sans doute été sanctionné de l’exclusion la plus ubuesque de l’histoire récente de la course : victime d’un incident mécanique lors de la quatorzième étape, il a voulu s’arrêter à hauteur de sa voiture pour être dépanné. Manque de pot, celle-ci ne le remarque pas et continue sa route. Ni une ni deux, le grimpeur monte dans la première voiture qui arrive à sa hauteur, en l’occurrence celle de l’équipe AG2R, et revient ainsi à auteur de son mécanicien, ce qui est évidemment interdit par le règlement du Tour - il est viré de la course dès l'arrivée. On a aussi pu compter sur Oleg Tinkoff pour faire le show cette semaine : le patron de l’équipe de Contador (dans laquelle un mécanicien a été suspendu après avoir balancé un bidon à un cameraman de France Télévisions, une autre histoire de grosse chaleur), adepte du trash-talking et réputé bon client en interview, a profité de chaque micro tendu pour balancer de la punchline au kilomètre, assimilant ici les entraîneurs français à des communistes, proposant là de faire payer le public qui assiste à la course ou proposant encore un boycott du Tour par les principales équipes l'an prochain, et délivrant sa prose quotidiennement sur Twitter. Mais le meilleur tweet du Tour, pour le moment, est incontestablement l’œuvre de Richie Porte. Immense troll devant l’éternel, le coéquipier de Christopher Froome s’est permis de narguer l’ensemble des sceptiques en postant au soir de sa deuxième place à la Pierre-Saint-Martin un extrait vidéo montrant Mister Bean adressant des doigts d’honneurs à la foule.


4)      Sagan le Magnifique

Malgré ses efforts, Oleg Tinkoff n’est pas le représentant de son équipe qui a eu le droit à la plus grande attention médiatique cette semaine. Ce n’est même pas le leader de sa formation, Alberto Contador, en difficulté à la Pierre-Saint-Martin mais apparu en forme ascendante depuis. C’est Peter Sagan, maître artificier surprise de ce 102ème Tour de France. Suite à la disparition de son équipe l’an passé, il avait été recruté en grande pompe par la Tinkoff pour cette saison. Son entame d’année, délicate, lui avait valu les foudres d’Oleg le fantasque, mais il s’était accroché, remportant une étape à Tirreno-Adriatico, une autre au Tour de Suisse, ainsi qu’une victoire au général du Tour de Californie. A l’entame de ce Tour de France, la question se posait de savoir comment le coureur slovaque allait pouvoir cohabiter avec Alberto Contador dans un même groupe de neuf coureurs, chacune des deux vedettes poursuivant un objectif bien distinct (le classement général pour Contador, le classement par points pour Sagan).

Bonjour vitesse.
Inférieur à André Greipel ou Mark Cavendish dans les sprints en première semaine, Sagan a changé de tactique entre les Pyrénées et les Alpes, en s’échappant trois jours de suite, faisant le plein de points aux sprints intermédiaires et réussissant de bons classement à l’arrivée, de quoi creuser un écart significatif sur ses poursuivants directs et s’adjuger, déjà et de façon quasi certaine, le maillot vert à une semaine de l’arrivée à Paris. De fait, il n’a privé Contador d’aucun équipier, et s’est rendu disponible pour travailler en troisième semaine pour son leader. Un point noir, hélas : il n’a pas gagné d’étape, accumulant les places d’honneur avec une assiduité poissarde quasiment jamais vue dans l'Histoire du Tour (en seize étapes déjà courues cette année, il s’est classé onze fois dans les cinq premiers, dont cinq fois second).

Les Français adorant les perdants, surtout quand ils ont du style, ils se sont depuis longtemps entichés du Slovaque, personnage extrêmement spontané dans la vie civile et plein d'audace sur le vélo : à ce titre, sa descente de La Rochette, authentique numéro de virtuose où il bat de vingt secondes un Nibali pourtant réputé meilleur descendeur du monde et à ce moment en train d'attaquer le groupe des favoris, est instantanément devenue un classique. Sur ce coup-là Sagan a réussi à lâcher tous ses compagnons d'échapées, comme pour les punir de ne pas avoir collaboré avec lui dans la montée, mais avait échoué à revenir sur Ruben Plaza, et finalement dû se contenter de la deuxième place. Sa seizième en quatre Tours de France, ce qui laisse songeur sur ses possibilités à améliorer ce record de l'ère moderne dans les prochaines années, surtout compte tenu de ce qu'il n'a encore que vingt-cinq ans. Trois jours plus tôt, déjà, il avait bien pensé tenir le Graal, en se détachant dans les derniers hectomètres de l'étape de Rodez en compagnie du Belge Greg Van Avermaet, considéré jusqu'alors comme le loser absolu des dix dernières années, mais contre toute attente, Van Avermaet lui avait résisté pour finalement s'imposer, au sprint et rompre ainsi sa propre spirale négative.

Le lendemain, loin d'être abattu, Sagan fait partie de l'échappée qui va au bout, à Mende. S'il ne peut jouer la victoire sur les difficiles pentes de la montée Laurent-Jalabert, s'affaçant derrière le vainqueur Cummings et les duettistes Pinot et Bardet, il termine néanmoins cinquième, devançant des coureurs présumés meilleurs grimpeurs que lui. Rebelote vers Valence, où il initie une échappée à nouveau en compagnie de Pinot et quelques autres comparses. Pas découragé quand le peloton les reprend, loin de l'arrivée mais sprint intermédiaire en poche, il se mêle ensuite à la lutte pour la victoire et se classe quatrième derrière Greipel, Degenkolb et Kristoff, et repart à l'attaque dès le lendemain, pour ces quelques vains virages de poète dans la descente de La Rochette. On a présenté, au début de la course, Froome, Contador, Nibali et Quintana comme les Quatre Fantastiques. A côté d'eux, le cyclisme de Peter Sagan semble parfois tenir du Surfeur d'Argent.

Deuxième victoire d'étape pour Purito Rodriguez, pas venu pour rien cette année.




















Dans la roue de Sagan, quelques autres coureurs se sont distingués cette semaine, au premier rang desquels le Catalan Purito Rodriguez, déjà vainqueur en haut du Mur de Huy en début de Tour, et qui a récidivé, sous une pluie battante, en haut du Plateau de Beille après une échappée au long cours. Purito se replace ainsi dans la lutte pour le maillot à pois de meilleur grimpeur, dont il avait déjà fait son objectif l’an passé, battu par Nibali et surtout par le Polonais Rafal Majka. Majka, d’ailleurs, a lui aussi remporté son étape, à Cauterets, redonnant le sourire à la formation Tinkoff au lendemain de la défaillance d’Alberto Contador dans l’ascension de la Pierre-Saint-Martin et de l'annonce du cancer d'Ivan Basso (opéré avec succès). Vainqueur au sprint à Valence, l’Allemand Greipel a confirmé son statut de meilleur sprinteur de ce Tour 2015 pendant que Stephen Cummings s’est imposé à Mende, mettant son équipe, la Sud-Africaine MTN-Qhubeka, sur le devant de la scène le jour du Mandela Day.


5)      Les Alpes arrivent

Les pavés sont passés depuis presque deux semaines, les étapes propices aux bordures depuis longtemps également, tout comme les contre-la-montre, les arrivées pour puncheurs et désormais les Pyrénées. Ne restent plus, pour les coureurs du Tour, que cinq jours de course, dont quatre dans les Alpes et la traditionnelle arrivée aux Champs-Elysées dimanche. Ces quatre étapes alpines seront autant d’occasions, pour les favoris, d’attaquer Christopher Froome. Ainsi, mercredi, l’enchaînement redouté du Col d’Allos, de sa descente extrêmement technique et de la difficile montée vers Pra-Loup (où Merckx avait perdu le Tour en 1975) offrira aux audacieux une première opportunité. Dès le lendemain, une étape ralliant Saint-Jean-de-Maurienne donnera une autre occasion d’en découdre aux leaders, avant, vendredi, l’étape reine de ce Tour qui arrivera à la Toussuire via le Glandon et le Mollard, et enfin, samedi, les cultissimes vingt-et-un lacets de l’Alpe d’Huez.

Dans l’absolu, et compte tenu de la forme affichée par Froome depuis le départ du Tour, il faudrait que ses adversaires l’attaquent très tôt et de concert pour éliminer ses équipiers, avant de poursuivre leur technique de harcèlement dans la vallée pour l’épuiser, voire dans l’idéal le mettre hors d’état de nuire avant même les dernières ascensions. Ce plan, en théorie parfait, se heurte à trois obstacles : d’abord, il n’est pas à exclure que Froome et son équipe soient suffisamment forts pour résister aux offensives de leurs adversaires. Ensuite, il nécessiterait des alliances entre équipes concurrentes, objet de fantasme récurrent des aficionados mais très rarement observées dans les faits (rien sur le Tour depuis les offensives du binôme Contador – Sanchez en 2011), en grande partie parce que les leaders, en bonnes machines à gagner qui se flairent et se reconnaissent les uns les autres, ne s’accordent, entre eux, qu’une confiance très limitée. Enfin, il faut prendre en considération que tous les coureurs qui suivent Froome au classement général ne partagent pas les mêmes objectifs.

Chris Froome and The Gang.

D’un côté, il y a les offensifs. Ce sont les coureurs qui visaient ouvertement la victoire finale sur ce Tour et auxquels Froome a asséné un véritable coup de massue mardi dernier à la Pierre-Saint-Martin : les Trois Fantastiques restant, Quintana deuxième à plus de trois minutes, Contador cinquième à près de quatre minutes et demie et Nibali, huitième à presque huit minutes. Leurs ambitions initiales et leurs statuts leur interdisant de sa satisfaire d’un accessit, ces trois coureurs sont attendus comme les grands animateurs des Alpes, où ils auront à se montrer à la hauteur de leur réputation d’infatigables attaquants. Ils ont d’ailleurs déjà commencé à titiller Froome, dans l’ascension du Plateau de Beille (tous les trois chacun à son tour), à Mende (Nibali et Quintana) ou sur la route de Gap (Contador puis Nibali). Sachant que ce que l’on attend d’eux est ni plus ni moins que de renverser un Tour qui semble déjà promis à Christopher Froome, on devrait les voir souvent à l’offensive durant cette dernière semaine de course. On peut leur adjoindre Alejandro Valverde, coéquipier de Quintana au sein de l’équipe Movistar, et actuel quatrième au général (son classement final l’an dernier), qui permet à son équipe de disposer de deux cartes quasi-maîtresses pour emballer la course.

Face à eux, les défensifs. Outre Geraint Thomas, septième du classement général et attaché, en tant que coureur de la Sky, à la protection de Froome, d’autres coureurs pourraient bien faire le jeu du maillot jaune : ceux qui sont déjà bien contents d’être là, qui effectuent le meilleur Tour de leur carrière et penseront surtout à défendre leur classement actuel plutôt qu’à attaquer Froome. Il s’agit du Hollandais Robert Gesink (sixième) et de l’Américain Tejay Van Garderen (troisième). Si Contador, Nibali ou Quintana réussissait à éliminer les lieutenants de Froome vers Saint-Jean-de-Maurienne ou la Toussuire, ces deux coureurs pourraient très bien servir de garde rapprochée de circonstance au Britannique pour empêcher les Fantastiques de prendre le large. Mais ça, on le verra à partir de mercredi.


lundi 13 juillet 2015

Tour de France 2015 : Que retenir au bout d'une semaine de course ?

Cette édition du Tour était particulièrement attendue du fait de son tracé inhabituel (très peu de contre-la-montre) et de son plateau quatre étoiles (les Quatre Fantastiques que sont Alberto Contador, Vicenzo Nibali, Christopher Froome et Nairo Quintana sont pour la première fois alignés au départ d'une même course). Aujourd'hui, le peloton a connu son premier jour de repos depuis le départ d'Utrecht, le 4 juillet dernier. L'occasion de revenir en cinq points sur ce qu'on a pu observer depuis le début de l'épreuve. 


Les équipes des leaders à la manoeuvre : Katusha pour Rodriguez, Tinkoff pour Contador,
Movistar pour Quintana et Sky pour Froome.


1) Le succès du parcours

Il y a quelques années, la première semaine du Tour était invariablement marquée par une succession ininterrompue d’arrivées aux sprints, permettant généralement un affrontement entre Mario Cipollini et Erik Zabel, les deux plus grosses pointures des années 90. Depuis l’arrivée de Christian Prudhomme aux commandes, ce temps est révolu. Désormais, l’objectif avoué est de multiplier les pièges, et donc les moments où la course peut se jouer, avant même les premières étapes de montagne, ce qui incite les équipes des principaux leaders à prendre les choses en main dès les premiers jours de course. On a ainsi souvent vu la Tinkoff d’Alberto Contador à la manœuvre, tout comme Sky pour Christopher Froome, BMC pour Tejay Van Garderen ou Astana pour Vicenzo Nibali.

En conséquence directe, en neuf étapes, il n’y a eu que deux arrivées massives, qui ont vu la victoire d’habitués : André Greipel à Amiens (sa huitième victoire sur le Tour) et Mark Cavendish à Fougères. Le reste des étapes a donné lieu à l’écrémage attendu : bordures dès la première étape en ligne (également remportée par Greipel), arrivées pour puncheur au Havre, à Mûr-de-Bretagne et bien sûr à Huy, et constitution d’un groupe d’hommes forts sur l’étape des pavés. En conséquence, le classement général est déjà bien décanté : le dixième est déjà à plus de deux minutes du maillot jaune, le vingtième à quatre minutes et demie. Les deux contres-la-montre (individuel à Utrecht, par équipes dans le Morbihan) ont également contribué à creuser les premiers écarts entre favoris.

Au sujet des pavés, un petit bilan s’impose. Alors qu’ils n’avaient fait qu’une incursion entre 1992 et 2010 (en 2004, avec deux minuscules secteurs, qui avaient pourtant ôté tout espoir de victoire finale à Iban Mayo), ils ont été au programme trois fois en six ans, dont deux de suite : cette année et l’année dernière, pour trois résultats différents. En 2010, alors qu’il y avait finalement assez peu de kilomètres à parcourir sur les pavés, on avait pourtant assisté à la mise hors jeu du troisième et du quatrième de l’édition précédente de la Grande Boucle : Lance Armstrong, qui avait perdu près de trois minutes en raison d’une crevaison, et Frank Schleck, victime d’une fracture de la clavicule après une mauvaise chute, et qui abandonnait – devant, Andy Schleck et Cadel Evans terminaient dans le premier groupe, réglé par Thor Hushovd, tandis que Menchov, Vinokourov et Wiggins perdaient moins d’une minute, et Contador à peine plus. 2014 avait vu, sous une pluie diluvienne, le maillot jaune Vicenzo Nibali réussir un coup de force impressionnant, en faisant rouler à bloc son équipe, en se montrant supérieur à bon nombre de spécialistes tels que Fabian Cancellara, Peter Sagan ou Sepp Vanmarcke, et en reléguant tous ses adversaires pour la victoire finale à plus de deux minutes au classement général.

Quand les pavés transforment le Tour de France en Paris-Dakar...
Malgré un nombre de secteurs aussi important, cette année, l’écrémage a été nettement moindre : les quatre grands favoris, Froome, Contador, Nibali et Quintana terminant dans le groupe de tête. Néanmoins, il ne s’agit pas de considérer l’étape comme un échec pour les organisateurs. Le responsable du tracé du Tour, Thierry Gouvenou, avait annoncé, l’année dernière, vouloir faire de la célèbre Trouée d’Arenberg, plus illustre secteur pavé de la classique Paris-Roubaix, l’Alpe d’Huez du Nord de la France. Quand on sait que l’ascension vers la célèbre station de ski est la montée la plus prisée de la course au point d’être le théâtre d’une arrivée au sommet tous les deux ans, on peut imaginer que le recours aux pavés a de bonnes chances de devenir quasi systématique, ce qui signifie immanquablement une certaine normalisation. Mais cette normalisation ne sera jamais une banalisation : l’évènement restera craint par de nombreux favoris, et la course, à défaut de s’y gagner, pourra toujours s’y perdre. Deux évolutions seront même vraisemblablement étudiées ces prochaines années : un passage sur les ribinoux, en Bretagne (ces routes de terres où se dispute chaque année le Tro Bro Léon, l’une des courses les plus enthousiasmantes de l’année, et où le cas technique posé par la logistique de la caravane du Tour pourrait poser problème) et la diversification de  l’emploi de secteurs pavés (l’hypothèse d’un tracé qui placerait ce type d’étapes en troisième semaine, par exemple, ou bien en tant que contre-la-montre).


2) Quelques jolis numéros

La première étape, un contre-la-montre individuel de près de quatorze kilomètres, avait donné le ton, avec une victoire de l’Australien Rohann Dennis, auteur de la prestation solitaire la plus rapide de l’Histoire du Tour et classé devant les trois plus grands spécialistes de la discipline que sont Cancellara, Tony Martin et Tom Dumoulin : pour s’imposer sur la moindre étape, il faudrait être extrêmement fort, tant le plateau est relevé cette année sur la Grande Boucle. Ainsi, on a eu le droit à quelques autres victoires pleines de classe : lors de l’arrivée au mur de Huy, Joaquim Rodriguez, en habitué des lieux (il y avait remporté la Flèche Wallonne en 2012) faisait parler son punch et résistait à Froome. Quelques jours plus tard, à Mûr-de-Bretagne, le Français Alexis Vuillermoz a confirmé son potentiel en devançant tous les favoris pour le classement général grâce à une attaque tranchante.

Alexis Vuillermoz en train de faire la nique à tous les favoris.

L’étape des pavés, qui menait les coureurs à Cambrai, a été l’occasion pour Tony Martin de rentrer un peu plus dans l’Histoire du Tour. Triple champion du monde du contre-la-montre, l’Allemand n’a de cesse de prouver, depuis trois ans, qu’il n’est pas qu’un expert de l’exercice chronométré. Auteur d’une chevauchée aussi épique que vaine en 2013 sur le Tour d’Espagne, où il n’avait été repris par les sprinters que vingt mètres avant la ligne d’arrivée, il avait connu une fortune meilleure l’année dernière, en s’imposant brillamment à Mulhouse au terme d’une longue échappée solitaire dans les Vosges. Cette année, c’est en sortant énergiquement du peloton dans le final de l’étape pavée qu’il a réussi à s’imposer, en profitant de l’absence d’équipiers pour les sprinters après les nombreuses cassures qu’il y avait eu plus tôt dans l’étape pour franchir la ligne en vainqueur et ravir le maillot jaune à Christopher Froome.


3) Les chutes

Le bonheur de Martin a été de courte durée. Deux jours plus tard, lors de l’arrivée au Havre, victime d’une chute dans le final, il est victime d’une fracture de la clavicule et doit abandonner. Il n’est pas le premier à avoir tâté le bitume cette année. Les images du spectaculaire carambolage de la troisième étape ont fait le tour de toutes les télés du monde pendant quelques heures. Le Français William Bonnet est tombé le premier, entraînant avec lui une vingtaine de coureurs, déclenchant bien malgré lui l’un des moments les plus déconcertants de la course jusqu’à présent : sa neutralisation pure et simple pendant une bonne vingtaine de minutes, l’ensemble des coureurs mettant en même temps pied à terre à une quarantaine de kilomètres  de l’arrivée, sur décision de la direction du Tour. L’évènement, aussi rarissime que commenté, s’explique par le fait que les dégâts étaient si considérables qu’ils monopolisaient l’ensemble du staff médical de la course, et que celui-ci ne pourrait intervenir si une autre chute venait à survenir.

Tony Martin mal en point.

Cette première chute massive a entraîné l’abandon de plusieurs coureurs de marque, dont le maillot jaune de l’époque, Cancellara, Simon Gerrans ou encore Tom Dumoulin. Tombé lui aussi ce jour-là, l’Australien Michael Matthiews, valeur montante du sprint mondial qui, s’il avait été en pleine possession de ses moyens, aurait fait figure de sérieux outsider sur l’étape du Havre, se traîne douloureusement en queue de peloton, souffrant de tous ses membres épatant de courage. Son compatriote Adam Hansen, l’un des coureurs les plus sympathiques du peloton, continue lui aussi la course sérieusement amoché, décidé à boucler son douzième Grand Tour consécutif, ce qui constituera le record de l’ère moderne du cyclisme.

Parmi les autres victimes de chutes, on trouve le sprinter français Nacer Bouhanni, déjà malheureux il y a quinze jours sur le championnat de France où il s’était retrouvé à terre, le Sud-Africain Daryl Impey qui avait porté le maillot jaune pendant deux jours en 2013, le Suisse Michael Albasini ou encore le néo-Zélandais Jack Bauer, tous contraints à l’abandon. Sans qu’il y ait eu pour eux de réelles conséquences au classement général ni de séquelles physiques importantes, plusieurs favoris ont également eu l’occasion de goûter de près l’asphalte des routes française : Nibali et Quintana ont été entraînés par Tony Martin dans sa chute, et Contador est lui tombé juste avant le départ de la septième étape.

Basso (à droite) annonçant sa maladie, accompagné par son leader Alberto Contador.
Enfin, il est impossible de ne pas mentionner Ivan Basso. Le deuxième du Tour en 2005 (troisième en 2004 et vainqueur du Tour d’Italie en 2006 et 2010), est lui aussi tombé pendant cette première semaine. Sa chute a réveillé une douleur aux testicules, le forçant à passer quelques examens complémentaires qui ont révélé qu’il souffrait d’un cancer. Il a évidemment quitté la course immédiatement pour se soigner chez lui, en Italie. Basso, âgé de trente-sept ans, disputait cette année le Tour en qualité de lieutenant d’Alberto Contador, qui, après avoir appris la nouvelle, a juré, en larmes, de lui ramener le maillot jaune. Le combat que s’apprête à mener l’Italien contre la maladie s’annonce au moins aussi rude, et beaucoup plus risqué. Qu’il guérisse vite.


4) Le retour des affaires de dopage

Depuis 1998 et l’affaire Festina, le Tour de France est immanquablement, ou presque, l’objet d’un regard particulièrement acéré de la part des spécialistes de la lutte antidopage. S’il y avait eu une accalmie en 2013 et 2014 (aucun coureur contrôlé positif sur la course), le fléau a fait sa réapparition cette année. La bonne nouvelle, c’est qu’il s’agit de cas très marginaux, et suffisamment flous l’un comme l’autre pour ne pas engendrer une vague massive de soupçons comme en 2006 (opération Puerto menée quatre jours avant le départ, déclassement de Landis) ou en 2007 et 2008 (exclusions successives de Vinoukourov, Rasmussen, Ricco, Schumacher et Kohl). Ces succès dans la lutte contre le dopage ne vont pas sans désagrément, l’entraîneur de la Française des Jeux, Julien Pinot relevant, ironique, que les coureurs de son équipe étaient tirés de leurs chambres pour un contrôle inopiné à onze heures du soir pendant qu’au même moment, l’ensemble des chroniqueurs sportifs s’enthousiasmait à propos de la victoire sous infiltration de Richard Gasquet sur Stan Wawrinka en quarts de finale de Wimbledon (les infiltrations sont interdites en cyclisme).

Le premier cas est celui du Hollandais Lars Boom, qui n’a pas été contrôlé positif mais a quand même été au centre d’une controverse qui a fait couler beaucoup d’encre dans les heures précédant le Grand Départ d’Utrecht. Vainqueur l’année dernière sur l’étape pavée d’Arenberg, il a rejoint cet hiver la sulfureuse équipe Astana, dirigée par Alexandre Vinokourov et au centre d’un certain nombre d’affaires de dopage depuis sa création (Vinokourov lui-même en 2007, Contador en 2010, Kreuziger en 2012, les frères Iglinsky en 2014). Deux jours avant le début de la course, le Mouvement Pour un Cyclisme Crédible, association d’équipes désireuse de combattre le dopage, demandait donc à Astana de ne pas aligner son coureur, dont le taux de cortisol s’était effondré, ce qui ne constitue pas une infraction en soi aux règles antidopage, mais un manquement au règlement intérieur du MPCC, plus sévère que celui de l’AMA. Dans l’incapacité de remplacer Boom, Astana refusait et s’excluait d’office de l’organisme, contribuant à attiser les tensions dans le peloton.

Luca Paolini a une amie blanche et excitante.

Un autre coureur a été au centre de la polémique : l’Italien Luca Paolini. Le coureur de l’équipe russe Katusha, spectaculaire vainqueur, fin mars, du plus beau Gand-Wevelgem de ces vingt dernières années, a été contrôlé positif à une substance très inhabituelle : la cocaïne. L’Italien a été exclu de la course sitôt que le résultat du contrôle a été rendu public, mais il est vraisemblable qu’il n’ait voulu jouer les Tony Montana qu’à titre récréatif, sans volonté d’améliorer ses performances. La sanction devrait donc être assez clémente, même si pour la carrière de Paolini, âgé de trente-huit ans déjà, elle pourrait être synonyme de clap de fin.


5) Froome déjà en jaune

Du côté des quatre Fantastiques, celui qui a produit la plus forte impression n’est autre que Christopher Froome. Déjà vainqueur il y a deux ans, le Britannique possède une avance déjà conséquente sur la plupart de ses rivaux et s’est surtout montré très costaud lors des rendez-vous les plus attendus, terminant deuxième derrière Purito Rodriguez à Huy où il prend pour la première fois le maillot jaune, et se montrant offensif sur l’étape des pavés, là où on l'imaginait plutôt perdre du temps. De plus, la belle prestation de sa formation, la Sky, lors du contre-la-montre par équipe, lui a permis de prendre une avance encore plus confortable sur ses principaux rivaux. Néanmoins, il ne paraît a priori pas non plus aussi imprenable qu’en 2013 : auteur d’un temps moyen sur le contre-la-montre d’Utrecht, il n’a pas été capable de répondre à l’attaque de Vuillermoz à Mûr-de-Bretagne.

Froome et la Sky lors du contre-la-montre par équipes. Une belle brochette de robots.
Derrière lui, Contador, à un peu plus d’une minute, est le mieux classé des trois autres Fantastiques. L’Espagnol, en quête de doublé après avoir déjà remporté le Tour d’Italie en mai, n’a pas été impérial, mais s’en sort correctement. Sa capacité à récupérer après les efforts effectués sur le Giro reste une grande interrogation : va-t-il monter en puissance au fur et à mesure de la course, ou au contraire s’éteindre peu à peu ? Encore plus loin, Nairo Quintana limite mieux les dégâts que Nibali : le Colombien est à deux minutes avant d’aborder la haute montagne, son terrain de prédilection, tandis que le Sicilien de l’équipe Astana, très attendu sur cette première semaine qu’on pensait taillée sur mesure pour lui permettre de creuser un bel avantage sur ses concurrents, a joué de malchance à plusieurs reprises. Victime des bordures en Zélande, il a échoué à semer les autres Fantastiques sur les pavés et a chuté au Havre avant de concéder quelques secondes aux autres Fantastiques à Mûr-de-Bretagne puis de voir sa formation réaliser une performance décevante lors du contre-la-montre par équipe.

Parmi les outsiders, Tejay Van Garderen, calé en deuxième position du classement général derrière Froome, et deuxième du dernier Dauphiné, ce qui est toujours un gage de bonne forme, est celui qui s’en tire le mieux, tandis que Purito Rodriguez, pourtant vainqueur à Huy, est déjà à presque quatre minutes, et que Thibaut Pinot, extrêmement malchanceux, a perdu tout espoir de podium. Le meilleur Français, Tony Gallopin, est onzième à deux minutes et une seconde de Froome, Barguil, Péraud, Bardet et Rolland sont loin derrière. Mais la montagne arrive dès demain, et pourrait tout remettre en question.