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mardi 4 août 2015

Les blockbusters de l'été au banc d'essai : Préambule

L'été arrive, le cours du pop-corn remonte.

L’été (en acceptant que celui-ci commence début juin et non aux alentours du 21 de ce sixième mois de l’année) est traditionnellement, au cinéma, la période de sortie des principaux blockbusters. Un blockbuster, qu’est-ce que c’est ? C’est, selon la définition la plus stricte du terme, un film, généralement américain, à gros budget et gros revenus, qui ne brille pas particulièrement par la finesse de son scénario ni par la qualité de sa réalisation, mais par le nombre de ses scènes d’actions ainsi que par les moyens qui y sont déployés, par le matraquage médiatique intense qui précède sa sortie et par le nombre impressionnant d’entrées en salles effectué par ces films.

Pourquoi ces films sortent-ils principalement l’été ? Pour tout un tas de raisons mercantiles, qui peuvent toutes être résumées en une seule : parce que les gens sont en vacances. Ainsi, en vacances, les gens ont plus de temps libre et donc plus d’opportunités d’aller au cinéma. Ainsi, en vacances, les gens partent souvent loin des zones dites culturellement plus à la pointe, privilégiant le balnéaire au culturel, et, faute de cinémas d’art et d’essai, vont se rabattre plus volontiers sur un complexe multisalle. Ainsi, en vacances, les gens vont se retrouver plus facilement en groupe, et le dénominateur commun le plus bas étant souvent l’envie de « ne pas se prendre la tête », ils se tourneront plus facilement vers le film le plus bas de plafond, avec lequel tout le monde sait à quoi s’attendre. On pourrait même ajouter que le peu d’importance accordé aux dialogues dans les blockbusters rend parfaitement possible de les voir dans un pays étranger et dans une langue étrangère, tant ce qui s’y dit n’a que peu d’importance par rapport à ce qu’on y voit.

Mais est-ce à dire que les blockbusters sont tous des films débiles et décérébrés ? Les choses sont un petit peu plus compliquées que ça. Disons que comme tout genre cinématographique, le blockbuster a vu passer quelques chefs d’œuvres, y compris récemment. A titre d’exemple, le premier film vraiment considéré comme un blockbuster, à savoir Les Dents de la mer, de Steven Spielberg (1975) est inventif, bourré de qualités, et a su résister au temps, pour devenir, quarante ans après sa sortie, un véritable classique. Mais dans leur volonté de plaire au plus grand nombre (et surtout, d’être vus par le plus grand nombre), il est vrai que la plupart des blockbusters sont loin de taper aussi haut. Ce qui n’empêche pas, au milieu d’un certain marasme, d’assister à de belles surprises.

Les Dents de la mer, ou comment couper à tout le monde l'envie d'aller à la plage.
J’ai entrepris de visionner tous les blockbusters de cet été 2015. L’idée est de pouvoir ainsi les confronter, et de savoir lequel est LE blockbuster ultime de ces grandes vacances. Attention, il ne s’agit pas de définir le meilleur de ces films, non (et donc pas non plus d’en faire de vraies critiques), mais d’établir, de façon parfaitement objective, lequel correspond le mieux au stéréotype du blockbuster hollywoodien tel qu’on le connait depuis le milieu des années 70. Pour ce faire, chacun des films visionnés sera noté sur 10 critères. Ces critères, les voici. 


1 : Originalité nanarde du pitch : Un blockbuster, c’est avant tout un pitch, c’est-à-dire un argument de départ résumable en deux ou trois phrases. Evidemment, le véritable but d’un blockbuster étant d’accumuler les scènes d’action, le scénario (et donc le pitch) n’est généralement qu’un prétexte, et par conséquent, tout y semble permis, y compris les idées que toute personne sensée rejetterait d’un revers de main en s’exclamant « mais c’est complètement con ! ». Plus l’idée de départ est bête, plus le blockbuster s’annonce excitant.

Le maître en la matière : Abraham Lincoln, chasseur de vampires (Timur Bekmambekov, 2012) En termes de pitch à la con, ce film est assez difficilement prenable. Il présente même l’avantage de présenter son programme dès son titre : oui, il s’agit bien des aventures de l’ancien président américain, aux prises avec des vampires au cours de ce qui est présenté comme une aventure de jeunesse d’Abraham Lincoln.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Cloud Atlas (Andy et Lana Wachowski, 2013) Impossible à résumer, ce film choral se déroulant à six époques différentes a sans doute cru qu’on pouvait impunément prendre les spectateurs pour des gens intelligents, et forcément, massivement jugé incompréhensible, il a fait un four.



2 : Efficacité du placement de produits : Les blockbusters coûtent très cher, c’est un fait, et donc ils se doivent de rentabiliser au mieux leurs pharaoniques dépenses. Une méthode a fait ses preuves : conclure un partenariat avec différentes marques en faisant figurer, moyennement un petit geste financier, des produits dans le film, lequel prend alors des airs de publicité déguisée (un gros plan sur le sigle de la voiture du héros, un insert sur ses baskets neuves…), ce qui a le don d’exaspérer le spectateur un peu tatillon. C’est ainsi que Coca, Apple et leurs copains se sont petit à petit immiscés dans les salles obscures, jusqu’à devenir d’incontournables compagnons de pop-corn.

La scène la plus mémorable de I, Robot. Ce qui en dit long sur la qualité du film.
Le maître en la matière : I, Robot (Alex Proyas, 2004) A peu près oublié par tout le monde depuis sa sortie (il avait marqué le début de la fin pour son réalisateur Alex Proyas auquel beaucoup avaient imaginé un avenir prometteur à ses débuts), ce film a en revanche marqué une nouvelle étape dans le placement produit : Audi, JVC et surtout Converse se taillent la part du lion, au point de voler la vedette à un Will Smith qu’on a connu plus inspiré.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Pirates de Caraïbes (Gore Verbinski, 2003) Evidemment, c’est pas simple de glisser discrètement des publicités pour des produits de notre époque dans un film censé se dérouler au XVIIIème siècle. On a bien eu droit à un début de polémique à propos d’un bonnet porté par Johnny Depp et qui serait de fabrication Adidas, mais c’est tout.



3 : Quotient pyrotechnique : Un bon blockbuster, c’est avant tout une orgie de scènes d’actions. Et qui dit scène d’action dit forcément castagne à gogo, poursuites en voitures et explosions en tous genres, avec, si possible, la destruction de quelques monuments connus pour agrémenter le tout. Le but avoué est d’en mettre plein la vue au spectateur, et que celui-ci rentre chez lui en ayant l’impression d’en avoir eu pour son argent, de façon à ce qu’il ne s’interroge pas tellement sur le reste du contenu du film.

Le maître en la matière : Rock (Michael Bay, 1996) Michael Bay est notoirement connu depuis ses débuts à Hollywood pour être un dangereux pyromane jamais avare d’une explosion et déterminé à réduire en miettes le moindre élément de décor qu’on met à sa disposition. Ici, les scènes d’actions s’enchainent à une vitesse telle que si le film avait duré ne serait-ce que cinq minutes de plus, c’est vraisemblablement toute l’équipe de tournage qui y serait passée.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Spiderman (Sam Raimi, 2002) Désireux de voir grand pour la première adaptation ciné des aventures de l’homme-araignée, Sam Raimi avait concocté une scène d’action finale monumentale, où Peter Parker tissait sa toile entre les deux tours du World Trade Center. Pas de chance, le 11 septembre est passé par là, et il a fallu prévoir un plan B pour ne pas remuer le poignard dans la plaie.



4 : Taux d’américano-centrisme : Les blockbusters sont des films américains avant tout. Les Etats-Unis se doivent donc d’y être au centre du monde, quand ils ne sont pas le monde à eux tous seuls. Des extraterrestres débarquent ? Ils choisissent le Nevada ou le Wyoming, voire carrément Washington. Un fou muni d’armes surpuissantes menace la planète ? Il s’attaque au Pays de la Liberté. Et quand les étrangers y apparaissent, ils se doivent d’y être les plus caricaturaux possible : les Anglais boivent du thé, la France se résume à la Tour Eiffel et l’Amérique du Sud est une vaste zone de non-droit, sans parler de la Russie, qui malgré les branlées qu’elle se prend film après film, persiste à vouloir attaquer les Etats-Unis. Et bien sûr, tout le monde parle anglais partout.

Dans Independence Day, les Martiens ne s'en prennent pas à n'importe qui.
Le maître en la matière : The Patriot (Roland Emmerich, 2000) Tout est dans le titre, une fois de plus. Prenant pour cadre la guerre d’indépendance des Etats-Unis et pour héros le toujours très modéré Mel Gibson, ce nanar de classe mondiale dresse involontairement un grand inventaire de tous les clichés américains.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Starship troopers (Paul Verhoeven, 1998) Contrairement à beaucoup de ses collègues, Paul Verhoeven est loin d’être un imbécile et son film porte de bout en bout un regard critique sur l’extension à la planète entière du mode de vie américain. Ce qui n’empêcha pas certains esprits obtus de l’accuser de fascisme à la sortie de ce qui est sans contestation possible l'un des plus grands chefs d'oeuvres des années 90.



5 : Charisme du méchant : Scénaristiquement, un blockbuster se construit toujours autour d’un affrontement, qui est généralement celui du héros et du méchant. Prenant à la lettre le précepte d’Alfred Hitchcock (qui tel Monsieur Jourdain faisait du blockbuster sans le savoir) selon lequel plus le méchant est réussi, plus le film sera bon, les productions hollywoodiennes à grand spectacle ont toujours accordé la place du roi à l’ennemi du héros – quitte à rendre celui-ci parfois très fade en retour. Ce qui oblige à être le plus exigeant possible en ce qui concerne ce personnage-clé.

Le maître en la matière : La Guerre des étoiles (George Lucas, 1977) Oui, il y a les sabres lasers, oui, il y a la musique de John Williams, oui, il y a la création de tout un univers. Mais la pierre angulaire du succès de Star Wars, c’est Dark Vador, tout le monde le sait. C’est-à-dire le méchant le plus mythique de l’histoire du cinéma, encore plus que Nosferatu, Michael Corleone, Hal et Freddy Krueger.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Batman et Robin (1997, Joel Schumacher) Au sein d’un casting à la dérive, Arnold Schwarzenegger en Mr Freeze réussit à remporter la palme du grotesque dans ce qui est sans doute son pire rôle. Recouvert d’une impressionnante couche de peinture argentée, il cabotine en permanence. Pour ne rien arranger, il ne meurt même pas à la fin du film.

Et voilà comment on devient gouverneur de Californie.


6 : Coefficient d’incongruité scénaristique : Un blockbuster étant jugé avant tout sur ses scènes d’action, tout ce qu’on trouve immanquablement entre une poursuite et une bagarre est plus ou moins du remplissage, uniquement là pour justifier les explosions qu’on verra ensuite. Ce qui oblige généralement les scénaristiques à un paquet de contorsions pour pouvoir relier les scènes entre elles, quitte à enfiler les incohérences comme on enfile les perles. Si sur le moment, le public n’y prête pas forcément attention, ces détails se retrouvent souvent au centre de grandes controverses entre fans.

Le maître en la matière : Rambo 3 (Peter McDonald, 1988) Astuce prisée par les scénaristes pour ne pas avoir à s’embêter : faire du héros du film un semi-débile plus prompt à tirer sur tout ce qui bouge qu’à utiliser ses neurones. Ça permet de justifier des scènes d’action plus ou moins n’importe quand et ça aide aussi à trimballer le protagoniste de gauche à droite sans s’emmerder à y trouver la moindre logique. 

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Mad Max Fury Road (George Miller, 2015) Pour éviter l’écueil tant redouté d’un scénario incohérent, George Miller a de son côté recours à un procédé visionnaire : il supprime le scénario. Résultat : deux heures d’orgie de mise en scène. Un coup de maître.


7 : Respect du quota de bimbos : Le public de blockbuster est beauf, ou du moins considéré comme tel par les producteurs. Pour lui envoyer du rêve à bas prix, rien de tel que de lui faire contempler des gens beaux, et si Brad Pitt, Tom Cruise ou Johnny Depp ont pu faire fureur en premier rôles, ce sont surtout les femmes dont la plastique se doit d’être impeccable et qui ont interdiction d’avoir dépassé les trente-cinq ans. Il leur faudra aussi apparaître dans plusieurs tenues différentes et porter des talons en toutes circonstances. En revanche, il leur est interdit de montrer leurs seins, toute nudité pouvant entraîner une interdiction du film aux moins de treize ans – lourd manque à gagner pour les studios.

Le genre de plans qui émaillent négligemment Fast and furious d'un bout à l'autre.
Le maître en la matière : Casino Royale (Martin Campbell, 2006) On sait ce qui a fait le succès des James Bond. Décontraction, vodka-martini, Aston Martin, scènes d’action à couper le souffle, gadgets à gogo et paysages de carte postale. Et les filles. Tellement importantes qu’elles ont acquis, avec le temps, le surnom de James Bond Girls. Rien que dans cet opus, on retrouve, dans ce qui ressemble parfois à un concours de tenues affriolantes, Eva Green, Ivana Milicevic et surtout la très visuelle Caterina Murino.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Harry Potter à l’école des sorciers (2001, Chris Columbus). Les héros sont des enfants, et la plupart des adultes présents dans le film ont dépassé la soixantaine. Dur dur d’offrir au mâle alpha sa dose d’érotisme bon marché dans cette situation. Heureusement, il y aura sept suites, ce qui permettra à Emma Watson (dix ans au début de la saga) de grandir petit à petit pour devenir le sex-symbol que l’on sait.



8 : Potentiel auteurisant : Fritz Lang, qui réalisait des superproductions dès les années vingt, avait affirmé ne se considérer que comme un artisan, et en aucun cas un artiste. Tous les réalisateurs de blockbusters n’ont pas cette humilité, et on en a vu un paquet afficher des ambitions d’auteur, tenter de montrer qu’eux aussi étaient capables de proposer une certaine vision du monde à travers leurs films à gros budgets. Leur réussite a été variable, certes, mais avec quelques succès indéniables qui ont avec le temps fait entrer certains blockbusters dans la caste très fermée des chefs d’œuvre du septième art, et ce malgré le préjugé défavorable dont ils sont généralement l’objet de la part d’une certaine branche ultra-élitiste du public.

Le maître en la matière : Mission impossible (Brian De Palma, 1996) Question blockbuster de légende, avec son Tom Cruise iconique, ses 450 millions de dollars de recette mondiale et ses quatre suites, Mission impossible se pose là. Mais derrière le succès commercial, on retrouve, à chaque plan ou presque, la patte unique et reconnaissable entre toutes de Brian De Palma, ses obsessions pour l’image et le point de vue, son entremêlement étroit du vrai et du faux et ses mouvements de caméra somptueux. 

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Hulk (Ang Lee, 2003) Confier l’adaptation des aventures de l’incroyable Hulk au réalisateur taïwanais de Garçon d’honneur et de Tigre et Dragon était un pari audacieux. Ce fut surtout une grosse plantade : laminé par la critique et boudé par le public, le film figure aujourd’hui au panthéon des mauvais souvenirs hollywoodiens.



9 : Cultitude des répliques : Si un blockbuster se doit de briller par la qualité et le nombre de ses scènes d’actions, il est toujours de bon ton d’y faire figurer quelques répliques cinglantes pour permettre au spectateur d’évacuer la pression accumulée en rigolant un bon coup. Si l’humour n’y vole jamais très haut, une bonne dose de second degré y est attendue : un bon blockbuster est un blockbuster qui ne se prend pas au sérieux, d’où le fréquent recours à des acteurs de comédie pour interpréter les seconds rôles. De plus, il apparaît nécessaire de toujours se ménager une ou deux répliques qui passent vraiment à la postérité, histoire de donner un os à ronger au fan service.

Bruce Willis dans le premier Die Hard. L'exemple typique du héros qui ne se prend pas la tête.
Le maître en la matière : Last Action Hero (John McTiernan, 1993) Pur objet de jouissance cinéphile, ce petit bijou de John McTiernan offre deux heures dix de bonheur visuel. Mieux : en multipliant les clins d’œil, les références et en assumant son second degré (croisant un personnage interprété par F. Murray Abraham, le Salieri d’Amadeus, le jeune héros s’écrie à Schwarzenegger : « Méfie-toi de lui, il a tué Mozart ! »), Last Action Hero remplit également et de façon très efficace sa mission d’amusement des masses.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Interstellar (Christopher Nolan, 2014) Avec un casting ultra-prestigieux (Matthew MacImprononçable, Anne Hathaway, Matt Damon, Jessica Chastain, Michael Caine), un sujet prise de tête (traverser un trou noir pour sauver l’humanité) et un budget colossal, Interstellar avait tout pour marquer l’histoire du blockbuster. Pas de chance, il est plombé de bout en bout par un esprit de sérieux ampoulé au possible et c’est bien malgré lui qu’il parvient in extremis à arracher quelques sourires.



10 : Capacité de mutation en franchise : Le principal objectif des blockbusters reste avant tout de faire de l’argent, si possible sans trop se fouler en termes d’imagination. D’où l’existence de nombreuses suites, voire même de films dérivés qui n’ont que peu à voir avec le produit original, sinon de disposer du même label. Tout blockbuster digne de ce nom se doit de se ménager la possibilité d’un second opus, voire d’une transformation en saga. A part, bien sûr, ceux qui sont déjà des suites de films préexistants, et qui, ces dernières années, auraient presque tendance à devenir majoritaires.

Le maître en la matière : Les Aventuriers de l’Arche perdue (Steven Spielberg, 1981) Au départ, il n’y avait qu’un film, réalisé par Spielberg et produit par Lucas. Mais le succès fut au rendez-vous, le personnage interprété par Harrison Ford devint culte, tout comme la musique et le succès de cet aventurier à mi-chemin entre Tintin et un héros de western spaghetti. Résultat : trois suites, une série télé dérivée et une quinzaine de jeux vidéo inspirés par le film.

Le contre-exemple à ne surtout pas imiter : Gladiator (Ridley Scott, 2000) En plus de relancer la mode des peplums à Hollywood et de valoir l'Oscar du meilleur acteur à Russell Crowe pour son interprétation du général Maximus, le film a réussi à rapporter la bagatelle de 450 millions de dollars. De quoi aiguiser les appétits et envisager sereinement de tourner un second épisode. Problème : à la fin du film, le héros Maximus meurt. Erreur de débutant. Dans ces conditions, dur dur d'imaginer un scénario qui tienne la route pour un deuxième volet. Eternel serpent de mer des studios hollywoodiens, Gladiator 2 ne verra vraisemblablement jamais le jour...


Depuis 2008, Robert Downey Jr a joué six fois le rôle d'Iron Man. Et ça lui aurait rapporté près de 400 millions de dollars.


Score pop-corn global : C’est l’addition des notes sur dix obtenues dans chacune de ces dix catégories – c’est-à-dire une note sur cent. Histoire de ne pas gâcher trop de pop-corn.




Retrouvez tous les blockbusters comparés en cliquant sur cette page.

vendredi 10 juillet 2015

La Loi de Murphy 3 : Le Biopic qui fout la honte


Une affiche qui sent le chef d'oeuvre...

Quand Brittany Murphy est morte, en ce dégueulasse matin de décembre 2009, elle ne se doutait pas, la pauvre, qu’à l’instar d’un wagon de célébrités de seconde zone disparues précocement, elle ferait l’objet, cinq ans à peine après son décès, d’un biopic. Le biopic, c’est la biographie filmée, c’est-à-dire un film qui retrace la vie d’une sommité, ou qui revient sur son œuvre, ou qui s’attache à un ou plusieurs épisodes marquants de son existence. Si le genre a vu naître quelques véritables chefs d’œuvres (Last Days de Gus Van Sant sur Kurt Cobain ou Raging Bull de Martin Scorsese sur Jake LaMotta), il est généralement propice à un festival d’académisme, sans prise de risques artistique aucune, et où tout l’enjeu se situe sur la performance de l’acteur principal et son degré de mimétisme vis-à-vis de son modèle : ainsi, Jamie Foxx en Ray Charles ou Eddie Redmayne en Stephen Hawking ont trouvé, dans l’incarnation de modèles prestigieux, le plus rapide et le plus efficace des laissez-passer pour l’Oscar du meilleur acteur, tout en inscrivant leurs prestations dans des films à peu près nuls.

Heureusement, rien de tout ça dans The Brittany Murphy Story. Le biopic consacré à feue mon actrice préférée n’est pas seulement un film nul, loin de là. C’est surtout un authentique nanar de compétition, navrant de bout en bout – une heure vingt qui en paraît cinq. Tourné en seize jours et visiblement écrit en vingt minutes, il apparaît comme un hommage involontaire aux choix de carrière pas toujours judicieux de son héroïne, qui, si elle avait poursuivi sur la voie dans laquelle elle semblait s’engager avant de décéder bêtement, aurait vraisemblablement fini par échouer dans des productions de ce niveau. Reste qu’elle les aurait sûrement bonifiées par son talent, qui fait ici cruellement défaut.

Par où commencer ? Par le casting, peut-être. Quand le meilleur personnage est celui d’Ashton Kutcher (jeune premier à la mode au début des années 2000, héros de Hé mec, elle est où ma caisse ? et de L’Effet papillon, éphémère fiancé de Brittany Murphy qu’il avait rencontrée sur le tournage de Pour le meilleur et pour le rire et surtout connu pour avoir été marié à Demi Moore) qui doit ici apparaître une dizaine de minutes, forcément, c’est que quelque chose cloche quelque part. Et fatalement, quand on regarde le reste de la distribution (peu fournie), le bât blesse. L’acteur qui interprète Simon Monjack, le mari de Brittany, est une sorte d’hybride hagard de Jean-Luc Mélenchon et d’un ours en peluche, absolument incapable de faire sourdre la potentielle dangerosité de son personnage, et si la comédienne qui interprète la mère de l'actrice, Sherilyn Fenn (vue dans Twin Peaks), est légèrement meilleure, elle est tellement mal dirigée qu’elle semble jouer dans un autre film que ses partenaires.

Quant à Amanda Fuller, qui incarne Brittany Murphy, elle ne parvient jamais à rappeler son modèle. Déjà, elle ne lui ressemble pas du tout, mais cela ne serait pas rédhibitoire si, par son jeu, elle parvenait à l’évoquer (après tout, Leonardo diCaprio faisait un Howard Hugues confondant et Reese Witherspoon une June Carter monstrueuse, ce qui n’était pas gagné en mettant côte-à-côte leurs photos et celles de leurs modèles). Hélas, sa palette de comédienne ne dispose que de deux expressions, la moue triste et le sourire joyeux – quand on sait à quel point la personnalité de la Brittany Murphy actrice passait par ses yeux fous et ses lèvres mobiles, c’est très insuffisant. Au niveau de l’investissement physique vis-à-vis de son personnage, c’est encore pire : si, au début du film, alors que Brittany est sensée être encore un peu grassouillette, son double menton est crédible, à la fin, lorsque maladie, anorexie et dépression la cernent, il fait franchement tache. Mais ce n’est rien par rapport à la façon dont son interprétation colore son personnage : Brittany Murphy n’apparaît jamais autrement que comme une ado niaise et mal dégrossie, jamais sexy, souvent rabat-joie et à moitié débile. Il n’est pas certain que ce soit un choix délibéré de la part de la production, et on peut donc penser qu’une grande partie ce résultat est à mettre à l’actif de cette pauvre Amanda Fuller.
 
La Brittany du film. Oui, ça surprend, au début. D'un bout à l'autre, même.
Mais l’interprétation n’est même pas le point le plus faible du film. Sa réalisation met la barre un cran plus haut encore. Le manque de moyens est évident, mais ne justifie pas tout : les perruques de certaines comédiennes sont carrément visibles – et on ne me fera pas croire qu’il n’y avait vraiment pas moyen de trouver une comédienne blonde dans tout Hollywood pour venir dire les trois phrases dévolues au personnage d’Alicia Silverstone. Mieux encore, les plans ne signifient jamais rien : ils montrent les acteurs qui jouent des personnages et enregistrent ce qui se dit, c’est tout. Rien, d’ailleurs, n’est jamais signifié autrement que par le dialogue, et les rares fois où il se passe quelque chose qui relèverait plus ou moins de l’implicite (Sharon, la mère de Brittany, est peu enthousiaste lorsqu’elle rencontre Simon, son nouveau petit ami), c’est lourdement appuyé quelques secondes après (Simon va retrouver Sharon dans la cuisine et lui dit quelque chose comme « Sharon, je vous sens méfiante », ce à quoi elle répond un truc du style « oui, Simon, je le suis », et Simon de gagner illico sa confiance) sans même avoir pris le temps de créer un vrai malaise.

Visiblement conscient des limites évidentes de la réalisation, le scénario s’arrange pour effectuer des ellipses dès qu’il s’agirait de montrer quelque chose aux enjeux plus complexes qu’une simple discussion. Ainsi, la rencontre de Brittany avec un personnage aussi sulfureux qu’Eminem, sur le tournage de 8 Mile, n’apparaît pas (le rappeur est mentionné une fois mais n’est présent dans aucune scène) alors même qu’il s’agit de l’un des films les plus cruciaux de la carrière de l’actrice. Sa rupture avec Ashton Kutcher non plus, ni son premier baiser avec Simon. Même son malaise fatal n’est pas filmé, et les paparazzis, présentés par le film comme les grands méchants qui ont précipité la mort de l’actrice (Simon leur lance, en ouverture du film, un vengeur « C’est vous qui l’avez tuée ! ») ne sont visibles que tant qu’ils ont l’actrice à la bonne, disparaissant dès qu’ils semblent se retourner contre elle.

Ce défaut scénaristique (est-il dû à la nullité des scénaristes ou bien à leur volonté de ne pas mettre dans l’embarras une réalisation proche de l’amateurisme ? mystère) est loin d’être le seul. En effet, le recours à certaines ficelles grossières (on imagine sans mal les discussions des scénaristes cherchant à rythmer leur film, à base de « tout va bien ? alors mettons un cancer à la mère de Brittany pour plomber l’ambiance, puis faisons la guérir à la scène d’après parce que ça nous emmerde de traiter un sujet pareil, et qu’en plus comme ça, on se garde sous le coude une opportunité de lui faire faire une rechute si on a du mal à remplir certains passages ») subit la rude concurrence de tout ce qui passe à la trappe dès que la scène est finie : Simon qui fait une crise cardiaque dont on entend plus jamais parler, Ashton qui éveille sa jalousie en s’invitant au repas d’anniversaire de Brittany au cours d’une scène aussitôt oubliée par l’ensemble des protagonistes, Sharon Murphy qui, voyant sa fille prendre un cachet, s’écrie « des antidépresseurs ! » avec la même horreur que si sa fille lui annonçait qu’elle se pique à l’héro mais considère ça comme étant tout à fait normal dès le plan suivant, Simon qui fait lire à Brittany un scénario qu’il a écrit pour elle et dont il ne sera plus jamais question sitôt le dialogue terminé... Bref, ça n’a ni queue ni tête, les scènes se suivent sans la moindre logique, comme si ni le réalisateur ni les acteurs ne savaient dans quel ordre elles allaient ensuite être assemblées.



Même la chemise que porte Simon dans cette scène ne parvient pas à sauver le film du nauvrage.

Surtout, et c’est là le plus embêtant, quand le film se termine, on n’en sait pas davantage sur Brittany Murphy qu’après avoir lu sa page Wikipédia, et même plutôt moins. Tout ce qu’on voit, c’est une fille geignarde et nunuche, incapable de sortir des jupes de sa mère, à l’opposé du petit détonateur sexy et plein de peps qu’était l’actrice du temps où elle arpentait encore les plateaux télés. Ce qui l’a tuée ? La méchanceté du monde, et des paparazzis en particulier, qu’elle a eu la bêtise de prendre pour ses amis (Simon a beau lui lancer à plusieurs reprises, dès leurs premières rencontres « ces types-là ne sont pas vos amis », ça ne l’empêche pas de se lamenter à la fin du film « je croyais que c’étaient mes amis »), et sûrement pas les médicaments, dont la consommation n’est jamais interrogée, ni la drogue (le film passe même sous silence le tabagisme de l’actrice), si bien qu’à la fin du film, quand Brittany, malade, est alitée, on a aucune idée du mal dont elle souffre – c’est comme si le film s’interdisait de prendre parti à chaque fois qu’il en a l’occasion.

De la même façon, la dimension potentiellement malsaine du ménage à trois qu’elle a formé avec sa mère et Simon n’est jamais exploitée, ni, plus largement, le rapport ambigu qu’elle entretient avec sa génitrice (le parti pris pour signifier l’aspect fusionnel de leur relation est désarmant de simplicité : Sharon Murphy dit amen à tout ce que souhaite sa fille, et en étant contente, histoire que cette dernière ne passe pas pour une gamine capricieuse). Le pacte faustien qu’elle passe en épousant Simon (escroc minable et scénariste sans talent, magouilleur sans envergure et stéréotype du raté) n’est exploité d’aucune autre façon que lorsqu’il lui répète qu’il veut « relancer sa carrière », et c’est peu dire qu’il le répète souvent, sans qu’on le voit jamais agir (ni ne pas agir, d’ailleurs, ce qui aurait pu constituer une piste intéressante – on comprend que cette perspective ait fait reculer les scénaristes).

Plus largement, le couple formé par la starlette et son Pygmalion amateur n’est crédible à aucun moment. Les scénaristes utilisent pourtant une ficelle éculée depuis des dizaines d’années en décidant de faire de Simon une sorte d’ange-gardien bedonnant et mal rasé qui veille sur Brittany et surgit toujours au bon moment pour la tirer d’affaire, ils sont pris à revers : si, en se forçant un peu, on parvient à imaginer ce que Brittany peut trouver de rassurant et de touchant chez ce raté un peu gauche mais protecteur, on a les pires peines du monde à comprendre ce que lui peut bien apprécier chez elle, qui n’est ni belle, ni drôle, ni intelligente, d’autant que la piste d’une union intéressée est évacuée sitôt évoquée.

Alors qu’il y avait matière à faire un beau film sur les illusions brisées, sur le rêve américain qui vole en éclats contre les collines d’Hollywood, ou alors un thriller façon Dahlia noir sur la mort mystérieuse d’une jeune starlette, The Brittany Murphy story prend la forme d’un banal empilement de scènes vaguement unifiées par une esthétique de téléfilm cheap. Brittany Murphy, son entourage parfois trouble (sa mère possessive, son mari arnaqueur, son père qui a passé douze ans en prison – il n’apparaît pas dans le film et son existence n’est pas mentionné une seule fois) et ses fréquentations rock’n roll en diable (Eminem, Mickey Rourke, Drew Barrymore, Mohamed Al-Fayed… il y avait au moins matière à faire une belle galerie de portraits) méritaient tous d’être mieux exploités. Le réalisateur, Joe Menendez, et le tandem de scénaristes formé par Peter Hunziker et Cynthia Riddle ont préféré faire un portrait de l’actrice en cruche de compétition, dont la mort, laissée inexpliquée, n’émeut personne (malgré une scène quasi-finale plus que gênante où, dans la salle de bain fatale, Simon et la mère de Brittany, agenouillés et en larmes sur le corps inerte de l’actrice, tentent de la ranimer en l’aspergeant – piteuse pietà).


Le genre de tête que Brittany, la vraie, aurait faite si elle avait pu voir le film.

Sans surprise, le film (qui n’a même pas eu les honneurs d’une sortie en salles) a reçu une volée de bois vert de la part de la critique. De façon non moins prévisible, le père et la mère de Brittany, pour une fois sur la même longueur d’onde, ont déclaré qu’il s’agissait d’une merde qui ne restituait rien de ce qu’avait été la vie de leur fille. Quant à moi, entendons-nous bien : si je l’ai vu, c’est principalement pour vous éviter d’avoir à le faire.




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