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samedi 18 juillet 2015

La Loi de Murphy 4 : Ces quelques films qui nous restent d'elle


Dans Uptown girls (Filles de bonne famille, 2003)


Cinq ans et demi après sa mort, la plupart des films dans lesquels a joué Brittany Murphy ont déjà (et ce de façon plus ou moins méritée) disparu dans les limbes de l’oubli. Dans une filmographie qui voit essentiellement alterner le navet (Pour le meilleur et pour le rire, Ecarts de conduite) et le nanar (The Prophecy II, Fugue), il y a malgré tout quelques films à sauver. Ainsi, à défaut d’avoir marqué l’histoire du cinéma, la comédie Uptown Girls dont elle tient la vedette n’est pas complètement indigne. Le drame choral The Dead Girl non plus.

Quand on  la retrouve dans des productions de meilleure facture, c’est souvent dans des rôles très secondaires. Ainsi, si le road-movie trash Freeway vaut le détour, on n’y aperçoit Brittany Murphy que durant deux petites scènes (elle joue une détenue lesbienne et héroïnomane). De la même façon, dans Sin City (film acclamé par la critique s’il en est), son personnage émouvant de serveuse au cœur d’artichaut n’est pas vraiment développé par le scénario, et ce sont Mickey Rourke, Bruce Willis, Rosario Dawson, Clive Owen ou encore Jessica Alba qui se taillent la part du lion. Même chose avec Une vie volée, où Brittany Murphy s’efface derrière Winona Ryder et Angelina Jolie, pas aidée, de surcroît, par le suicide de son personnage au milieu du film. Enfin, dans Happy Feet, son plus gros succès public, son visage n’apparaît pas une seconde : il s’agit d’un film d’animation dont les personnages sont des manchots chanteurs, et Brittany, tout comme ses partenaires (Robin Williams, Elijah Wood ou Nicole Kidman), se cantonne au doublage.

Dès lors, ne restent qu’une poignée de rôles suffisamment développés pour tenter de dresser un portrait de l’actrice. J’en ai choisi cinq, qui montrent, chacun à leur façon, cinq facettes différentes du jeu de Brittany Murphy. Les voici présentés par ordre chronologique.




Clueless (1995, Amy Heckerling)

Avec son esthétique années 90 devenue très rapidement mortellement ringarde, il n’est pas évident pour quiconque ne l’a jamais vu de se dire que ce film fut en son temps un véritable objet de culte (encore aujourd’hui adoré par une génération entière d’adolescentes devenues trentenaires). Reprenant vaguement l’argument d’un roman de Jane Austen (Emma) et l’adaptant façon teen-movie, Clueless raconte le quotidien d’une richissime adolescente, Cher, déterminée à améliorer le quotidien de ses proches, mais qui en oublie parfois son propre bonheur.

L'adolescence est une période douloureuse, on ne le dira jamais assez.
Si le second degré faussement candide de la voix off de l’héroïne fait souvent mouche, et si c’est un vrai bonheur de retrouver l’immense Paul Rudd (alors au tout début de sa carrière) dans un rôle de jeune écolo lecteur de Nietzsche, force est de constater que Clueless atteint par moment des sommets de nunucherie - et c’est bien pour ça qu’on l’aime, d’ailleurs. Gloire soit donc rendue à Brittany Murphy, qui, pour son premier véritable rôle au cinéma, endosse l’essentiel des responsabilités comiques du film. Brune (voire parfois vaguement rousse), boulotte, elle incarne Tai, la nouvelle venue au lycée, que Cher, désireuse de réaliser une bonne action, va entreprendre de relooker. Car oui, en 1995, Brittany Murphy est encore la bonne copine moche qui sert de caution burlesque à un film dont l’efficacité repose avant tout sur le dialogue.

Toute sa prestation est un numéro de funambule, il s’agit d’en faire le plus possible sans jamais en faire trop. Grimaces, glissades, maladresse, gaffes, naïveté, incompréhension, aplomb, contretemps permanent, toute la panoplie de l’actrice comique y passe, et la maîtrise de celle qui n’a alors que dix-sept ans est tout simplement bluffante. Véritable trublion au milieu de partenaires finalement assez sages (ou limités), il faut la voir danser toute seule à une fête, se casser la figure dans les escaliers ou éclater de rire pour un rien, le tout en écarquillant en permanence ses grands yeux, à mi-chemin entre l’émerveillement et la terreur, pour mesurer d’où partait celle qui ferait ensuite fantasmer toute l’Amérique. Trop brièvement, hélas.



Don’t say a word (2001, Gary Fleder)

Don’t say a word (Pas un mot en VF) est un thriller psychologique comme il s’en tournait beaucoup à Hollywood à la fin des années 90 et au début des années 2000. Un Michael Douglas sur le retour y incarne un psychiatre de génie dont la fille est subitement enlevée par une bande de malfrats. Ceux-ci la relâcheront seulement si Douglas parvient à obtenir une information de la part d’une de ses patientes, la jeune Elizabeth. Problème : celle-ci est une frappadingue de première, qui se réfugie dans le mutisme et n’a pour ainsi dire connu que l’internement depuis la mort de son père, dix ans auparavant.

Une poupée et une autre poupée.
























Je vais être sincère : si on peut lui reconnaître une certaine efficacité, Don’t say a word n’a à peu près aucune originalité. L’hôpital est miteux à souhait, la gamine kidnappée est rudement futée, le psy vit dans les beaux quartiers avec une femme de vingt ans de moins que lui et le personnage incarné par Sean Bean meurt à la fin. Au milieu de cet océan de clichés, Brittany Murphy incarne Elizabeth, la jeune femme internée pour démence, et c’est l’occasion pour elle de se livrer à l’un de ces numéros qu’Hollywood raffole (les barjots en clinique), à tel point qu’elle ne manqua que d’extrême justesse la nomination à l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.

Prête à tout pour faire croire à son personnage, n’hésitant pas à flirter avec le ridicule, elle tire un profit maximum de ses grands yeux et de ses gros cernes. La démence de son personnage passe également par ses mains, en perpétuelle agitation (ce qui est hélas lourdement souligné par une mise en scène peu inspirée), et sa voix, souvent cassée, perpétuellement agitée par un souffle incontrôlable. En face d’un Michael Douglas à l’expressivité tragiquement limitée par un récent lifting, c’est elle qui donne un corps (malade) au film. Considérablement amincie par rapport à ses débuts au cinéma, devenue blonde, elle exploite au mieux la folie douce qui habitait déjà tous ses rôles dans ce personnage de vraie psychopathe. C’est, à vrai dire, la meilleure raison de revoir le film.


Spun (2002, Jonas Akerlund)

Dans la lignée de Requiem for a dream (dont il évite l’aspect pontifiant) et de Trainspotting (duquel il n’a pas emprunté le populisme), Spun est un film méconnu sur l’univers de la drogue et des drogués. Prenant pour cadre une petite ville du milieu des Etats-Unis, il s’attache à suivre les pérégrinations d’une bande de junkies. Première réalisation du Suédois Jonas Akerlund, venu du clip, le film réunit un casting au label très « indé » : Jason Schwartzman (acteur fétiche de Wes Anderson), John Leguizamo (vu, entre autres, dans L’Impasse et dans Extravagances) et Mickey Rourke (alors en pleine traversée du désert) en sont les principales têtes d’affiches.

Parmi eux, Brittany Murphy fait figure d’atout charme. La mue entamée au tournant des années 2000 est à présent terminée, et l’actrice, dont tout le monde a oublié qu’elle fut un jour brune, a désormais un corps de rêve. Mais son talent à jouer les filles barrées n’a pas disparu, et dans ce rôle d’allumeuse sous métamphétamine, son sens du timing et de la répartie fait à nouveau merveille. Véritable reine de cœur d’une fable macabre et caustique sur l’univers des camés, elle prend sur elle l’ensemble de la tension érotique. Davantage que ses tenues (bimbo, voire cagole) ou que la scène de pool-dance qu’elle offre, ce sont ses mimiques, ses regards, son jeu permanent avec ses lèvres qui créent le désir chez le spectateur, le tout sans que son talent pour la comédie pure en soit affecté. Ainsi, qu’elle se dispute avec Mickey Rourke, qui joue son compagnon, qu’elle pique une crise d’hystérie parce que son chien est devenu vert ou qu’elle soliloque à côté de Jason Schwartzman qui la conduit dans la nuit, son investissement total fait mouche à chaque fois.

Le fameux coup du haut multicolore.
Intéressant malgré une réalisation trop souvent hystérique, Spun vaut avant tout grâce aux numéros réalisés par ses comédiens. Amorçant son virage vers des rôles sexy, Brittany Murphy n’est pas celle qui s’en sort le moins bien.



8 Mile (2002, Curtis Hanson)

Projet construit autour du rappeur Eminem, dont il s’agissait de marquer les débuts au cinéma, 8 Mile avait tout pour être un navet ultime, dans la lignée des nombreux films sur et/ou avec des stars de l’industrie musicale réalisés au début des années 2000 (Glitter avec Mariah Carey, Crossroads avec Britney Spears, Réussi ou mourir avec 50 Cent…). Il n’en a rien été. Porté par un scénario qui le tire davantage vers le film social (le quotidien dans le ghetto de Detroit) que la success story (l’ascension, dans un monde du hip-hop dominé par les Noirs, d’un prodige blanc du rap), et une réalisation toute en sobriété de Curtis Hanson (à qui on doit entre autres l’oscarisé L.A Confidential), 8 Mile échappe à tous les écueils attendus, pour se révéler, à la surprise générale, l’un des meilleurs films hollywoodiens des années 2000.

Eminem, plus ou moins dans son propre rôle, réussit brillamment à transposer sur grand écran l’énergie qu’il déployait dans ses clips, et le reste du casting est au diapason, de Mekhi Phifer (Urgences) qui incarne son meilleur ami, à Kim Basinger, dans le rôle de la mère indigne. A leurs côtés, Brittany Murphy campe Alex, une vamp des banlieues qui va séduire l’apprenti rappeur, le tromper puis finalement lui redonner l’énergie nécessaire pour croire en lui, sans cependant que le versant amoureux de l’intrigue connaisse une fin réellement heureuse. Si, avec n’importe quelle autre comédienne, le récit aurait pu sembler convenu, Brittany Murphy parvient à charger son personnage d’une aura extrêmement trouble qui offre une réelle valeur ajoutée au film. Si son regard est une nouvelle fois chargé de cette démence qui est devenu sa marque de fabrique, ce halo de folie est ici entièrement détourné à des fins érotiques, et 8 Mile la voit composer son personnage le plus ouvertement sexuel. C’est bien simple, à chaque fois qu’elle apparaît à l’écran, elle pue littéralement le sexe, transformant son rôle de simple pétasse en cas d’école de femme fatale.

L'apogée d'une carrière.
Quelques moments mémorables, jalonnent le film. La scène de baise devenue instantanément culte dans l’usine où travaille le personnage d’Eminem. La discussion des deux devant une maison en train de brûler, petit monument de sensualité tranquille. Leurs longs échanges de regards, muets et ponctués de doigts d’honneur qui disent ce que les personnages seraient incapables d’exprimer avec des mots. 8 Mile est le film qui a failli faire de Brittany Murphy une véritable star. Le revoir, c’est se demander, une fois de plus, ce qui a fait que sa carrière a merdé. Et c’est, une fois de plus, ne pas trouver la réponse.



Love and other disasters (2006, Alek Keshishian)

Love and others disasters (sorti en France sous le catastrophique titre Love et ses petits désastres) est l’un des rares films de qualité à avoir été bâti autour de Brittany Murphy. Produit par un improbable tandem constitué de Luc Besson et David Fincher (ces deux-là se seraient donc un jour parlé…), réalisé par un Alek Keshishian principalement connu pour son documentaire In bed with Madonna, il s’agit d’une comédie romantique pure et dure, prenant pour cadre Londres, et s’inscrivant sous le haut patronage de Diamant sur canapé et de Coup de foudre à Notting Hill (les deux films préférés des héros). Brittany Murphy incarne Emily Jackson, que des scénaristes visiblement sadiques ont absurdement choisi d’affubler de l’immonde sobriquet « Jacks », une assistante au sein du prestigieux magazine de mode Vogue, qui vit en colocation avec un jeune homme homosexuel et fleur bleu.

Brune again.
Tous les codes de la comédie romantique sont présents (quiproquos, mises en abyme, idéalisation cucul la praline de l’amour), et l’énergie déployée par le film, à défaut de renouveler le genre, est réjouissante de bout en bout. Brittany Murphy, redevenue brune pour l’occasion, revient à ses premières amours comiques, mais a ici l’occasion d’incarner un personnage plus fouillé qu’à ses débuts, servant autant de moteur comique (son abattage est considérable) que de vecteur d’identification (quand va-t-elle se rendre compte que le jeune Argentin qui lui plait tant n’est pas homosexuel ?). Le film repose en effet à peu près autant sur sa performance (on la voit ivre, parlant l’espagnol, dansant le tango) que sur sa plastique (ses différentes tenues sont l’occasion d’un véritable défilé de mode, quand elle n’apparaît pas nue ou en sous-vêtements).

Jamais dupe de son personnage de jeune femme futile au grand cœur, Brittany Murphy fait regretter que davantage de scénarios de ce type ne lui ait pas été proposés, tant elle se fond avec aisance, elle l’Américaine, dans le cadre londonien de ces comédies romantiques si à la mode au début des années 2000. Bien rythmé, bien dialogué, Love and other disasters lui offre un cadre idéal pour déployer l’ensemble de ses talents, et montrer qu’elle est capable d’assumer sur ses seules épaules la légèreté et la séduction indispensables à la réussite de ce type de films.



L'ensemble du dossier consacré à Brittany Murphy est disponible sur cette page. Pour retourner à l'article précédent (Le Biopic qui fout la honte), cliquez ici, pour vous rendre sur le suivant (Harley Quinn ou le chef d'oeuvre inexistant), cliquez .


dimanche 21 juin 2015

La Loi de Murphy 1 : Brittany et moi


La photo sans laquelle jamais je n'aurais jamais écrit cet article.

Tout a commencé début 2003, au détour d’une photo aperçue dans un magazine dont j’ai depuis longtemps oublié quel il était (Première ? Studio ? Télérama ? TéléObsCinéma ?). Sur cette photo, le portrait d’une jeune femme, blonde aux yeux noisette, dont le visage allait me poursuivre toute ma vie. Cette jeune femme s’appelait Brittany Murphy, elle était américaine, comédienne – le cliché faisait partie des photos promotionnelles du film 8 Mile, vrai-faux biopic consacré au rappeur Eminem, qui, sans que j’ai alors jamais entendu une seule de ses chansons, éveillait mon intérêt, pour une raison que je ne parviens pas bien à expliquer.

Je reviens à la photo. Jamais sans doute (et plus jamais par la suite), une photo n’avait réussi à me marquer de la sorte. Ce qu’elle a de si particulier est difficilement explicable : la simple beauté de la jeune femme n’est pas une raison suffisante pour justifier ma fascination – on voit tous les jours des centaines de photos d’actrices, de chanteuses, de mannequins, toutes aussi belles les unes que les autres. Le cliché, en lui-même, n’a rien de particulier : aucun cadrage exceptionnel, aucune composition qui le ferait sortir de la masse. J’imagine que ce qui s’est emparé de moi à cet instant est de l’ordre du coup de foudre – coup de foudre pour un portrait, pour une photo, comme dans les pires romans de la fin du XIXème siècle. Dès lors, et quand même bien je ne l’avais encore vue jouer dans aucun film, ma réponse aux questions « quelle est ton actrice préférée ? » ou « qui est la plus belle femme du monde ? », a invariablement été « Brittany Murphy ».

Un an plus tard, j’ai vu 8 Mile. Puis Sin City. Puis Love et ses petits désastres, puis encore The Dead Girl, et j’ai alors pu l’affirmer en me fondant sur une connaissance précise de l’étendue de ses talents : oui, Brittany Murphy était mon actrice préférée. Au-delà de sa pure beauté, et de sa cinégénie évidente, il y avait chez elle quelque chose qui relevait de l’étrangeté absolue, de la folie douce, quelque chose d’à la fois très séduisant et d’un peu inquiétant : ses grands yeux, presque globuleux et hyper-expressifs, souvent lourdement cernés, sa bouche pulpeuse, prédisposée aux moues en tous genres, ses sourcils, sur lesquels elle semblait avoir un contrôle absolu, et encore sa voix, sensuelle, rauque, presque vulgaire sur les bords – tout ceci la prédisposant à incarner aussi bien que les dingues que les femmes fatales, à exceller autant dans la pure comédie que dans le drame.

Comme sous l’effet d’un charme étrange, j’ai commencé à collectionner, de façon compulsive, tous les clichés de Brittany Murphy que je trouvais sur internet : et c’était une époque où, sa  jeune carrière semblant en plein essor, les photos florissaient abondamment. J’ai même été jusqu’à créer un blog, sur la défunte plate-forme Irc-Blog, où je publiais ces photos, agrémentées de légendes plutôt décalées, le tout se présentant (à la manière des bien-connus détournements, également appelés captions sur le web anglophone) sous la forme d’un faux journal intime faisant la satire d’Hollywood, qui présentait la jeune actrice comme une charmante écervelée, débordant de bonne volonté et désireuse de casser les idées reçues à propos des blondes (son retour, courant 2005, à une chevelure brune, sa couleur naturelle, me permit d'incorporer de nouveaux rebondissements), finalement assez conforme au personnage qu’elle présenta, tout au long de sa carrière, lors des interviews, conférences de presses et divers évènements auxquels elle participa. Ce blog, assez confidentiel bien qu’à l’occasion visité par des individus imperméables à tout second degré qui croyaient qu’il s’agissait réellement de l’authentique journal d’une starlette et laissaient des commentaires absurdement dragueurs, ne survécut pas à la disparition de la plate-forme qui l’hébergeait, je n’eus pas le courage ni le temps d’en recommencer un ailleurs, et les photos de Brittany restèrent seules dans les tréfonds de mon ordinateur. Mais il n’y avait pas que ces photos. Il y avait mademoiselle Murphy elle-même.

La feinte dite des "yeux blancs", imparable à Hollywood.
J’ai suivi sa carrière avec davantage d’attention que celle d’aucun autre comédien avant elle. Long chemin de croix. Car oui, le fait est dur, brutal même, cruel enfin : Brittany Murphy a raté sa carrière. La faute à pas de chance, à la poisse, au destin, à ce qu’on veut : en trouvant peu de rôles à la hauteur de son talent, en ne tournant que dans une minuscule poignée de films destinés à traverser les époques (et dans lesquels elle en était souvent réduite à jouer les utilités), elle est patiemment, méthodiquement, même, passée à côté de sa carrière. Le plus grand réalisateur avec lequel elle ait collaboré est George Miller (auquel on doit, entre autres, la série des Babe et celle des Mad Max), mais c’était pour Happy Feet, un film d’animation dans lequel elle se cantonne au doublage d’un manchot empereur – on a vu meilleur passeport pour la gloire. Elle a certes donné la réplique à des comédiens de l’envergure de Christopher Walken, Reese Witherspoon, Angelina Jolie ou Benicio Del Toro, mais ce fut toujours pour se retrouver en retrait, loin du haut de l’affiche, et dans des films qui sont loin de compter parmi les plus hauts faits des carrières des intéressés.

En 2001, suite à une audition entrée dans la légende (à défaut de l’histoire), elle avait signé pour incarner Janis Joplin dans un biopic, genre par définition synonyme de voie royale pour les Oscars et autres Golden Globes, mais le projet capota, les droits musicaux se révélant impossibles à obtenir. La même année, sa prestation majuscule dans le thriller Pas un mot aurait pu (dû ?) lui valoir les honneurs de nominations glorieuses, mais le film, sorti juste après les attentats du 11 septembre, passa totalement inaperçu dans une Amérique qui n’avait pas le cœur au cinéma. Avec un rôle important dans 8 Mile, et une intense campagne de promotion qui lui valut de faire, en sous-vêtements, la couverture de l’ensemble de la presse masculine, sa carrière parut enfin se lancer, mais des choix discutables (entre romcoms et potacheries) annihilèrent ce qui semblait pourtant une belle percée.

Le succès, en 2005, de Sin City aurait pu la remettre sur de bons rails, mais elle n’y tenait qu’un rôle ultra secondaire, et malgré sa lumineuse montée des marches à Cannes, sa prestation passa à peu près inaperçue. La suite de sa carrière est triste à pleurer : quelques comédies plus ou moins réussies, quelques films à vocation vaguement auteurisante tous à peu près ratés, des premiers rôles dans des longs-métrages devenus tellement confidentiels qu’en plus de ne pas être distribués en France, ils se contentaient, de plus en plus souvent, de sortir directement en DVD aux Etats-Unis, le tout sur fond de rumeurs inquiétantes sur sa maigreur toujours croissante et de photos véritablement tragiques sur les ratés de ses opérations de chirurgie esthétique. De temps en temps, son nom refaisait surface, associé aux rumeurs de casting de telle ou telle grosse machine hollywoodienne (on parla des Expendables de Stallone, d’un des Batman de Christopher Nolan), et à chaque fois, le rôle lui échappait, quand il n’était pas tout bonnement supprimé du scénario.

Sous influence nippone.
Tout ce petit manège se poursuivit jusqu’en décembre 2009, où la nouvelle tomba, inattendue mais si terriblement prévisible : Brittany Murphy était morte, à l’âge de trente-deux ans, dans des conditions sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Et c’est ainsi que l’actrice américaine la plus talentueuse de sa génération (j’insiste) disparut, sans avoir eu le quart de la carrière que ses qualités méritaient ni avoir eu de réelle occasion de démontrer sa valeur dans un rôle à sa mesure, se contentant de bout en bout d’un statut de starlette de seconde zone, généralement considérée avec bienveillance (car les vidéos de ses interviews montrent une jeune femme délurée, souvent drôle, toujours ravissante : le stéréotype de la bonne cliente) mais avec la pointe de mépris que l’on réserve à celles et ceux qui ont, finalement, raté leur vie, et qui, dès lors, ne représentant plus aucune menace pour qui que ce soit.

A la mort de Brittany, j’ai affiché au mur de ma chambre une photographie d’elle, en noir et blanc, l’air mutin. Ce n’est pas la photo qui avait conquis mon cœur sept ans plus tôt, mais un cliché issu d’un shooting professionnel (car Brittany Murphy a également beaucoup inspiré les photographes, et là est peut-être son œuvre la plus complète, la plus aboutie), un cliché mystérieux, dans lequel son regard contient à la fois un avertissement, une invitation et une mélancolie absolue. Ce n’est pas la photographie d’une vamp, ni d’une muse, encore moins d’une star. C’est celui d’une jeune femme blonde en train de rater sa carrière, de gâcher sa vie, qui fixe l’objectif avec autant de timidité que de j’m’en-foutisme, une jeune femme qui avait averti, très tôt, que rien ne compterait, que tout serait pour de faux (« comment voulez-vous que je prenne Hollywood au sérieux, avait-elle mis en garde, alors que je ne me prends pas moi-même au sérieux ? »), une jeune femme un temps prometteuse et que la vie, impitoyable comme toujours, a fini par broyer, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques films dispensables et quelques photos poignantes, une jeune femme, qui, déjà, donne rendez-vous par-delà la mort, comme si elle savait qu’il serait impossible de la suivre dans sa descente aux enfers, et qu’elle s’en excusait.

Au mur de ma chambre.

L’histoire de Brittany Murphy est une histoire comme il en existe des tonnes, une histoire qui finit mal sans jamais avoir paru daigner vraiment commencer, c’est l’histoire d’un ratage à l’ombre du star-system, l’histoire d’une fille qui avait tout pour être Marilyn et qui finalement n’aura eu de Marilyn que la mort et la blondeur factice, l’histoire d’une actrice morte depuis cinq ans à peine et déjà oubliée. C’est l’histoire de mon actrice préférée, et de la plus belle fille du monde.



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