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vendredi 10 juillet 2015

La Loi de Murphy 3 : Le Biopic qui fout la honte


Une affiche qui sent le chef d'oeuvre...

Quand Brittany Murphy est morte, en ce dégueulasse matin de décembre 2009, elle ne se doutait pas, la pauvre, qu’à l’instar d’un wagon de célébrités de seconde zone disparues précocement, elle ferait l’objet, cinq ans à peine après son décès, d’un biopic. Le biopic, c’est la biographie filmée, c’est-à-dire un film qui retrace la vie d’une sommité, ou qui revient sur son œuvre, ou qui s’attache à un ou plusieurs épisodes marquants de son existence. Si le genre a vu naître quelques véritables chefs d’œuvres (Last Days de Gus Van Sant sur Kurt Cobain ou Raging Bull de Martin Scorsese sur Jake LaMotta), il est généralement propice à un festival d’académisme, sans prise de risques artistique aucune, et où tout l’enjeu se situe sur la performance de l’acteur principal et son degré de mimétisme vis-à-vis de son modèle : ainsi, Jamie Foxx en Ray Charles ou Eddie Redmayne en Stephen Hawking ont trouvé, dans l’incarnation de modèles prestigieux, le plus rapide et le plus efficace des laissez-passer pour l’Oscar du meilleur acteur, tout en inscrivant leurs prestations dans des films à peu près nuls.

Heureusement, rien de tout ça dans The Brittany Murphy Story. Le biopic consacré à feue mon actrice préférée n’est pas seulement un film nul, loin de là. C’est surtout un authentique nanar de compétition, navrant de bout en bout – une heure vingt qui en paraît cinq. Tourné en seize jours et visiblement écrit en vingt minutes, il apparaît comme un hommage involontaire aux choix de carrière pas toujours judicieux de son héroïne, qui, si elle avait poursuivi sur la voie dans laquelle elle semblait s’engager avant de décéder bêtement, aurait vraisemblablement fini par échouer dans des productions de ce niveau. Reste qu’elle les aurait sûrement bonifiées par son talent, qui fait ici cruellement défaut.

Par où commencer ? Par le casting, peut-être. Quand le meilleur personnage est celui d’Ashton Kutcher (jeune premier à la mode au début des années 2000, héros de Hé mec, elle est où ma caisse ? et de L’Effet papillon, éphémère fiancé de Brittany Murphy qu’il avait rencontrée sur le tournage de Pour le meilleur et pour le rire et surtout connu pour avoir été marié à Demi Moore) qui doit ici apparaître une dizaine de minutes, forcément, c’est que quelque chose cloche quelque part. Et fatalement, quand on regarde le reste de la distribution (peu fournie), le bât blesse. L’acteur qui interprète Simon Monjack, le mari de Brittany, est une sorte d’hybride hagard de Jean-Luc Mélenchon et d’un ours en peluche, absolument incapable de faire sourdre la potentielle dangerosité de son personnage, et si la comédienne qui interprète la mère de l'actrice, Sherilyn Fenn (vue dans Twin Peaks), est légèrement meilleure, elle est tellement mal dirigée qu’elle semble jouer dans un autre film que ses partenaires.

Quant à Amanda Fuller, qui incarne Brittany Murphy, elle ne parvient jamais à rappeler son modèle. Déjà, elle ne lui ressemble pas du tout, mais cela ne serait pas rédhibitoire si, par son jeu, elle parvenait à l’évoquer (après tout, Leonardo diCaprio faisait un Howard Hugues confondant et Reese Witherspoon une June Carter monstrueuse, ce qui n’était pas gagné en mettant côte-à-côte leurs photos et celles de leurs modèles). Hélas, sa palette de comédienne ne dispose que de deux expressions, la moue triste et le sourire joyeux – quand on sait à quel point la personnalité de la Brittany Murphy actrice passait par ses yeux fous et ses lèvres mobiles, c’est très insuffisant. Au niveau de l’investissement physique vis-à-vis de son personnage, c’est encore pire : si, au début du film, alors que Brittany est sensée être encore un peu grassouillette, son double menton est crédible, à la fin, lorsque maladie, anorexie et dépression la cernent, il fait franchement tache. Mais ce n’est rien par rapport à la façon dont son interprétation colore son personnage : Brittany Murphy n’apparaît jamais autrement que comme une ado niaise et mal dégrossie, jamais sexy, souvent rabat-joie et à moitié débile. Il n’est pas certain que ce soit un choix délibéré de la part de la production, et on peut donc penser qu’une grande partie ce résultat est à mettre à l’actif de cette pauvre Amanda Fuller.
 
La Brittany du film. Oui, ça surprend, au début. D'un bout à l'autre, même.
Mais l’interprétation n’est même pas le point le plus faible du film. Sa réalisation met la barre un cran plus haut encore. Le manque de moyens est évident, mais ne justifie pas tout : les perruques de certaines comédiennes sont carrément visibles – et on ne me fera pas croire qu’il n’y avait vraiment pas moyen de trouver une comédienne blonde dans tout Hollywood pour venir dire les trois phrases dévolues au personnage d’Alicia Silverstone. Mieux encore, les plans ne signifient jamais rien : ils montrent les acteurs qui jouent des personnages et enregistrent ce qui se dit, c’est tout. Rien, d’ailleurs, n’est jamais signifié autrement que par le dialogue, et les rares fois où il se passe quelque chose qui relèverait plus ou moins de l’implicite (Sharon, la mère de Brittany, est peu enthousiaste lorsqu’elle rencontre Simon, son nouveau petit ami), c’est lourdement appuyé quelques secondes après (Simon va retrouver Sharon dans la cuisine et lui dit quelque chose comme « Sharon, je vous sens méfiante », ce à quoi elle répond un truc du style « oui, Simon, je le suis », et Simon de gagner illico sa confiance) sans même avoir pris le temps de créer un vrai malaise.

Visiblement conscient des limites évidentes de la réalisation, le scénario s’arrange pour effectuer des ellipses dès qu’il s’agirait de montrer quelque chose aux enjeux plus complexes qu’une simple discussion. Ainsi, la rencontre de Brittany avec un personnage aussi sulfureux qu’Eminem, sur le tournage de 8 Mile, n’apparaît pas (le rappeur est mentionné une fois mais n’est présent dans aucune scène) alors même qu’il s’agit de l’un des films les plus cruciaux de la carrière de l’actrice. Sa rupture avec Ashton Kutcher non plus, ni son premier baiser avec Simon. Même son malaise fatal n’est pas filmé, et les paparazzis, présentés par le film comme les grands méchants qui ont précipité la mort de l’actrice (Simon leur lance, en ouverture du film, un vengeur « C’est vous qui l’avez tuée ! ») ne sont visibles que tant qu’ils ont l’actrice à la bonne, disparaissant dès qu’ils semblent se retourner contre elle.

Ce défaut scénaristique (est-il dû à la nullité des scénaristes ou bien à leur volonté de ne pas mettre dans l’embarras une réalisation proche de l’amateurisme ? mystère) est loin d’être le seul. En effet, le recours à certaines ficelles grossières (on imagine sans mal les discussions des scénaristes cherchant à rythmer leur film, à base de « tout va bien ? alors mettons un cancer à la mère de Brittany pour plomber l’ambiance, puis faisons la guérir à la scène d’après parce que ça nous emmerde de traiter un sujet pareil, et qu’en plus comme ça, on se garde sous le coude une opportunité de lui faire faire une rechute si on a du mal à remplir certains passages ») subit la rude concurrence de tout ce qui passe à la trappe dès que la scène est finie : Simon qui fait une crise cardiaque dont on entend plus jamais parler, Ashton qui éveille sa jalousie en s’invitant au repas d’anniversaire de Brittany au cours d’une scène aussitôt oubliée par l’ensemble des protagonistes, Sharon Murphy qui, voyant sa fille prendre un cachet, s’écrie « des antidépresseurs ! » avec la même horreur que si sa fille lui annonçait qu’elle se pique à l’héro mais considère ça comme étant tout à fait normal dès le plan suivant, Simon qui fait lire à Brittany un scénario qu’il a écrit pour elle et dont il ne sera plus jamais question sitôt le dialogue terminé... Bref, ça n’a ni queue ni tête, les scènes se suivent sans la moindre logique, comme si ni le réalisateur ni les acteurs ne savaient dans quel ordre elles allaient ensuite être assemblées.



Même la chemise que porte Simon dans cette scène ne parvient pas à sauver le film du nauvrage.

Surtout, et c’est là le plus embêtant, quand le film se termine, on n’en sait pas davantage sur Brittany Murphy qu’après avoir lu sa page Wikipédia, et même plutôt moins. Tout ce qu’on voit, c’est une fille geignarde et nunuche, incapable de sortir des jupes de sa mère, à l’opposé du petit détonateur sexy et plein de peps qu’était l’actrice du temps où elle arpentait encore les plateaux télés. Ce qui l’a tuée ? La méchanceté du monde, et des paparazzis en particulier, qu’elle a eu la bêtise de prendre pour ses amis (Simon a beau lui lancer à plusieurs reprises, dès leurs premières rencontres « ces types-là ne sont pas vos amis », ça ne l’empêche pas de se lamenter à la fin du film « je croyais que c’étaient mes amis »), et sûrement pas les médicaments, dont la consommation n’est jamais interrogée, ni la drogue (le film passe même sous silence le tabagisme de l’actrice), si bien qu’à la fin du film, quand Brittany, malade, est alitée, on a aucune idée du mal dont elle souffre – c’est comme si le film s’interdisait de prendre parti à chaque fois qu’il en a l’occasion.

De la même façon, la dimension potentiellement malsaine du ménage à trois qu’elle a formé avec sa mère et Simon n’est jamais exploitée, ni, plus largement, le rapport ambigu qu’elle entretient avec sa génitrice (le parti pris pour signifier l’aspect fusionnel de leur relation est désarmant de simplicité : Sharon Murphy dit amen à tout ce que souhaite sa fille, et en étant contente, histoire que cette dernière ne passe pas pour une gamine capricieuse). Le pacte faustien qu’elle passe en épousant Simon (escroc minable et scénariste sans talent, magouilleur sans envergure et stéréotype du raté) n’est exploité d’aucune autre façon que lorsqu’il lui répète qu’il veut « relancer sa carrière », et c’est peu dire qu’il le répète souvent, sans qu’on le voit jamais agir (ni ne pas agir, d’ailleurs, ce qui aurait pu constituer une piste intéressante – on comprend que cette perspective ait fait reculer les scénaristes).

Plus largement, le couple formé par la starlette et son Pygmalion amateur n’est crédible à aucun moment. Les scénaristes utilisent pourtant une ficelle éculée depuis des dizaines d’années en décidant de faire de Simon une sorte d’ange-gardien bedonnant et mal rasé qui veille sur Brittany et surgit toujours au bon moment pour la tirer d’affaire, ils sont pris à revers : si, en se forçant un peu, on parvient à imaginer ce que Brittany peut trouver de rassurant et de touchant chez ce raté un peu gauche mais protecteur, on a les pires peines du monde à comprendre ce que lui peut bien apprécier chez elle, qui n’est ni belle, ni drôle, ni intelligente, d’autant que la piste d’une union intéressée est évacuée sitôt évoquée.

Alors qu’il y avait matière à faire un beau film sur les illusions brisées, sur le rêve américain qui vole en éclats contre les collines d’Hollywood, ou alors un thriller façon Dahlia noir sur la mort mystérieuse d’une jeune starlette, The Brittany Murphy story prend la forme d’un banal empilement de scènes vaguement unifiées par une esthétique de téléfilm cheap. Brittany Murphy, son entourage parfois trouble (sa mère possessive, son mari arnaqueur, son père qui a passé douze ans en prison – il n’apparaît pas dans le film et son existence n’est pas mentionné une seule fois) et ses fréquentations rock’n roll en diable (Eminem, Mickey Rourke, Drew Barrymore, Mohamed Al-Fayed… il y avait au moins matière à faire une belle galerie de portraits) méritaient tous d’être mieux exploités. Le réalisateur, Joe Menendez, et le tandem de scénaristes formé par Peter Hunziker et Cynthia Riddle ont préféré faire un portrait de l’actrice en cruche de compétition, dont la mort, laissée inexpliquée, n’émeut personne (malgré une scène quasi-finale plus que gênante où, dans la salle de bain fatale, Simon et la mère de Brittany, agenouillés et en larmes sur le corps inerte de l’actrice, tentent de la ranimer en l’aspergeant – piteuse pietà).


Le genre de tête que Brittany, la vraie, aurait faite si elle avait pu voir le film.

Sans surprise, le film (qui n’a même pas eu les honneurs d’une sortie en salles) a reçu une volée de bois vert de la part de la critique. De façon non moins prévisible, le père et la mère de Brittany, pour une fois sur la même longueur d’onde, ont déclaré qu’il s’agissait d’une merde qui ne restituait rien de ce qu’avait été la vie de leur fille. Quant à moi, entendons-nous bien : si je l’ai vu, c’est principalement pour vous éviter d’avoir à le faire.




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mercredi 24 juin 2015

La Loi de Murphy 2 : Mort d'une starlette



Brittany Murphy, pas certaine que la vie en vaille la peine.



Le corps de Brittany Murphy a été retrouvé inanimé par sa mère dans sa salle de bain, au matin du 20 décembre 2009. Conduite immédiatement aux urgences, l’actrice y est morte deux heures plus tard, sans qu’il ait été possible de la ranimer. Si la nouvelle de son décès, rapidement rendue publique, a provoqué une émotion sincère à Hollywood, elle n’a pas surpris outre-mesure les commentateurs, tant d’une part l’actrice semblait artistiquement morte depuis plusieurs années, et tant, d’autre part, les rumeurs d’addiction à la cocaïne, de dépression et d’anorexie allaient bon train depuis plusieurs années déjà.

Brittany Murphy vivait avec sa mère et son époux dans une luxueuse propriété de Los Angeles qu’elle avait rachetée à Britney Spears quelques années auparavant. C’est là, dans un ménage à trois forcément malsain, qu’elle a passé ses derniers mois. D’un côté, Sharon Murphy, sa mère, qui l’a élevée seule (le papa, Angelo Bertolotti, ayant passé l’entièreté de l’enfance de sa fille derrière les barreaux), qui a tout accepté pour que sa fille puisse faire carrière, quittant avec elle New York pour Los Angeles au début des années 90 pour favoriser son éclosion. De  l’autre, Simon Monjack, son mari, escroc à la petite semaine et scénariste raté, dans lequel Brittany, en bonne sous-Marilyn qu’elle était, a sûrement vu le parfait sous-Arthur Miller pour lui écrire, guidé par l'amour, ses plus grands rôles.

Car s’il y a un soupçon de Norma Jean Baker dans la carrière de Brittany Murphy (son talent comique, son hypersensualité), il y a des tonnes et des tonnes de Marilyn Monroe dans sa mort. Cinq ans et demi plus tard, les causes n’en sont toujours pas claires, et petit à petit, on se résigne à ce qu’elles ne le soient jamais. Le rapport d’autopsie, publié deux jours après le décès, évoque une pneumonie, une anémie et un abus de médicaments, coupant court aux rumeurs d’overdose. Il se murmure également que si elle avait été conduite ne serait-ce que vingt-quatre heures plus tôt à l’hôpital, elle aurait pu être sauvée, mais sa peur des paparazzis (par lesquels elle s’estimait harcelée) et la volonté de son entourage (en l’occurrence sa mère) de ne pas la contrarier, auraient empêché ce salutaire transfert d’avoir lieu.

Toutes les spéculations restaient donc ouvertes jusqu’à ce que, six mois plus tard, éclate un nouveau coup de théâtre : le veuf de Brittany, Simon Monjack, était à son tour retrouvé mort, dans la même salle de bain, et apparemment des mêmes causes (pneumonie, anémie, surconsommation de médicaments). Une nouvelle enquête permit alors d’ajouter une hypothèse supplémentaire à ces décès : la forte présence de moisissures (eh oui...) dans la maison des Murphy-Monjack, qui auraient intoxiqué le couple jusqu’à s’avérer fatales.


La stèle de la défunte.

D’autres possibilités, plus farfelues (quoique…) circulent, et parmi elles, celles d’un double assassinat politique. Bien qu’on ne lui ait connu, contrairement à Marilyn, aucune accointance avec le pouvoir, ni qu’elle se soit jamais publiquement livrée à des activités de dissidences, Brittany et son mari vivaient depuis de longs mois, semble-t-il, dans la peur constante d’être surveillés par les services secrets américains. En cause : le soutien qu’ils avaient affiché aux lanceurs d’alertes (Wikileaks en était alors à ses balbutiements).

En 2013, nouveau rebondissement : le père de Brittany, Angelo Bertolotti, rend publics les résultats d’une enquête indépendante qu’il a lui-même commandée après avoir dû batailler pour obtenir des cheveux, des tissus et du sang de sa fille. Les conclusions du laboratoire (auquel il a été demandé de rechercher également les métaux lourds et les toxines, ce que n’avaient pas fait les services de médecine légale de Los Angeles) sont lourdes : exposition à des métaux lourds à des niveaux largement supérieurs à ceux recommandés par l’OMS, vraisemblablement administrée par un tiers et avec une intention criminelle probable. En d’autres termes, empoisonnement à la mort-aux-rats ou à l’insecticide, ce que semblent accréditer les symptômes ressentis par l’actrice et son mari durant les mois qui ont précédé sa mort, à savoir étourdissements, crampes, toux, pneumonie, tachycardie, tremblements, problèmes intestinaux, cutanés, neurologiques et respiratoires.

Sans la désigner ouvertement, Angelo Bertolotti met ainsi en cause son ex-femme, Sharon Murphy. Qui d’autre vivait aux côtés du couple ? Qui d’autre aurait pu les empoisonner doucement, à petit feu ? Evidemment, celle-ci fait tout pour discréditer les conclusions de l’enquête, et de façon tout aussi prévisible, l’affaire tourne à un écharpement des parents par médias interposés, spectacle aussi inévitable que pathétique, le père accusant la mère d’avoir vendu au prix fort tous les biens de sa fille, jusqu’à son passeport, et celle-ci répliquant en pointant du doigt la place toute relative que Bertolotti occupait dans la vie de Brittany et suspectant à haute voix une envie de gloriole facile chez son ancien compagnon.


L'affiche de Deadline, l'un de ses derniers films.



Mais derrière la possible solution criminelle, il y a les derniers jours de l’actrice, recluse dans sa maison qu’elle venait de faire équiper du même système de sécurité que les agences bancaires américaines, virée quelques semaines plus tôt du tournage d’un film car apparemment devenue ingérable, bannie de la pharmacie la plus proche de chez elle car y achetant parfois jusqu’à trente-deux médicaments différents, évincée du film Happy Feet 2 alors que sa prestation dans le premier avait été justement saluée… Il y a aussi ses derniers films, tristement prémonitoires. En 2007, The Dead Girl (en français : La Morte), dans lequel elle interprète évidemment le rôle-titre, celui de Krista, une jeune femme retrouvée morte et dont il faut attendre la fin du film pour connaître les circonstances du décès. En 2009, quelques mois avant sa mort, Deadline (Dernier délai), dont l’affiche la présente, hébétée, dans une baignoire, comme une vision de sa triste fin - même si, contrairement à ce qu'ont annoncé plusieurs médias français de façon erronée, c'est dans sa salle de bain et non dans sa baignoire que Brittany a été retrouvée, une erreur de traduction étant vraisemblablement en cause, bathroom ayant été confondu avec bathtub.

Une autre prémonition, plus ancienne, fait elle aussi surface : le choix de l’actrice, dès le début des années 90, de faire carrière sous le nom de sa mère, Murphy, plutôt que sous son véritable nom à elle, Brittany Anne Bertolotti. Murphy, comme la célèbre loi de Murphy qui stipule que « tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal », ou, en d’autres termes, que « s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose, et qu’au moins l’une de ceux deux façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter cette voie ».  Cette loi, que l’on doit à l’ingénieur en aérospatiale Edward Aloysius Murphy Jr (aucun lien), a entraîné un dérivé célèbre, celui de la tartine beurrée, qui stipule qu’une tartine beurrée chutant à terre tombera systématiquement du côté beurré. En choisissant de s’appeler Brittany Murphy, l’apprentie comédienne prenait un risque inconsidéré : s’il y a au moins deux façons de conduire sa carrière et qu’au moins l’une de ces deux façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter cette voie, c’est-à-dire que tout ce qui est susceptible de faire rater une carrière avant d’entraîner la mort fera rater la carrière et entraînera la mort. Se placer délibérément sous cette épée de Damoclès n'était pas forcément l'idée la plus brillante que puisse avoir une actrice débutante.


Encore vivante et déjà la corde au cou...



Encore derrière ces signes avant-coureurs et autres superstitions, il y a surtout le gigantesque suicide professionnel qu’a constitué sa carrière post-2006 (c’est-à-dire, curieusement, depuis sa rencontre avec Simon Monjack, qui l’aurait beaucoup entretenue dans un repli sur elle-même et une crainte du monde extérieur injustifiés). Et il y a son naturel, de fille drôle, blagueuse, souvent légère et un peu dilettante, de fille qui ne se prenait pas au sérieux, de fille qui n’avait finalement pas tant que ça confiance en elle. De fille pour qui, tout compte fait, Hollywood n’était pas vraiment l'endroit idéal. Il paraît que quelques jours avant sa disparition, Brittany avait formulé le vœu de quitter Los Angeles pour revenir à New York, la ville dans laquelle elle avait passé son enfance, et d’arrêter le cinéma pour faire du théâtre. Cinq ans après, je me dis que ce n’était pas forcément une mauvaise idée – en revanche, ça venait indéniablement un peu tard. 



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dimanche 21 juin 2015

La Loi de Murphy 1 : Brittany et moi


La photo sans laquelle jamais je n'aurais jamais écrit cet article.

Tout a commencé début 2003, au détour d’une photo aperçue dans un magazine dont j’ai depuis longtemps oublié quel il était (Première ? Studio ? Télérama ? TéléObsCinéma ?). Sur cette photo, le portrait d’une jeune femme, blonde aux yeux noisette, dont le visage allait me poursuivre toute ma vie. Cette jeune femme s’appelait Brittany Murphy, elle était américaine, comédienne – le cliché faisait partie des photos promotionnelles du film 8 Mile, vrai-faux biopic consacré au rappeur Eminem, qui, sans que j’ai alors jamais entendu une seule de ses chansons, éveillait mon intérêt, pour une raison que je ne parviens pas bien à expliquer.

Je reviens à la photo. Jamais sans doute (et plus jamais par la suite), une photo n’avait réussi à me marquer de la sorte. Ce qu’elle a de si particulier est difficilement explicable : la simple beauté de la jeune femme n’est pas une raison suffisante pour justifier ma fascination – on voit tous les jours des centaines de photos d’actrices, de chanteuses, de mannequins, toutes aussi belles les unes que les autres. Le cliché, en lui-même, n’a rien de particulier : aucun cadrage exceptionnel, aucune composition qui le ferait sortir de la masse. J’imagine que ce qui s’est emparé de moi à cet instant est de l’ordre du coup de foudre – coup de foudre pour un portrait, pour une photo, comme dans les pires romans de la fin du XIXème siècle. Dès lors, et quand même bien je ne l’avais encore vue jouer dans aucun film, ma réponse aux questions « quelle est ton actrice préférée ? » ou « qui est la plus belle femme du monde ? », a invariablement été « Brittany Murphy ».

Un an plus tard, j’ai vu 8 Mile. Puis Sin City. Puis Love et ses petits désastres, puis encore The Dead Girl, et j’ai alors pu l’affirmer en me fondant sur une connaissance précise de l’étendue de ses talents : oui, Brittany Murphy était mon actrice préférée. Au-delà de sa pure beauté, et de sa cinégénie évidente, il y avait chez elle quelque chose qui relevait de l’étrangeté absolue, de la folie douce, quelque chose d’à la fois très séduisant et d’un peu inquiétant : ses grands yeux, presque globuleux et hyper-expressifs, souvent lourdement cernés, sa bouche pulpeuse, prédisposée aux moues en tous genres, ses sourcils, sur lesquels elle semblait avoir un contrôle absolu, et encore sa voix, sensuelle, rauque, presque vulgaire sur les bords – tout ceci la prédisposant à incarner aussi bien que les dingues que les femmes fatales, à exceller autant dans la pure comédie que dans le drame.

Comme sous l’effet d’un charme étrange, j’ai commencé à collectionner, de façon compulsive, tous les clichés de Brittany Murphy que je trouvais sur internet : et c’était une époque où, sa  jeune carrière semblant en plein essor, les photos florissaient abondamment. J’ai même été jusqu’à créer un blog, sur la défunte plate-forme Irc-Blog, où je publiais ces photos, agrémentées de légendes plutôt décalées, le tout se présentant (à la manière des bien-connus détournements, également appelés captions sur le web anglophone) sous la forme d’un faux journal intime faisant la satire d’Hollywood, qui présentait la jeune actrice comme une charmante écervelée, débordant de bonne volonté et désireuse de casser les idées reçues à propos des blondes (son retour, courant 2005, à une chevelure brune, sa couleur naturelle, me permit d'incorporer de nouveaux rebondissements), finalement assez conforme au personnage qu’elle présenta, tout au long de sa carrière, lors des interviews, conférences de presses et divers évènements auxquels elle participa. Ce blog, assez confidentiel bien qu’à l’occasion visité par des individus imperméables à tout second degré qui croyaient qu’il s’agissait réellement de l’authentique journal d’une starlette et laissaient des commentaires absurdement dragueurs, ne survécut pas à la disparition de la plate-forme qui l’hébergeait, je n’eus pas le courage ni le temps d’en recommencer un ailleurs, et les photos de Brittany restèrent seules dans les tréfonds de mon ordinateur. Mais il n’y avait pas que ces photos. Il y avait mademoiselle Murphy elle-même.

La feinte dite des "yeux blancs", imparable à Hollywood.
J’ai suivi sa carrière avec davantage d’attention que celle d’aucun autre comédien avant elle. Long chemin de croix. Car oui, le fait est dur, brutal même, cruel enfin : Brittany Murphy a raté sa carrière. La faute à pas de chance, à la poisse, au destin, à ce qu’on veut : en trouvant peu de rôles à la hauteur de son talent, en ne tournant que dans une minuscule poignée de films destinés à traverser les époques (et dans lesquels elle en était souvent réduite à jouer les utilités), elle est patiemment, méthodiquement, même, passée à côté de sa carrière. Le plus grand réalisateur avec lequel elle ait collaboré est George Miller (auquel on doit, entre autres, la série des Babe et celle des Mad Max), mais c’était pour Happy Feet, un film d’animation dans lequel elle se cantonne au doublage d’un manchot empereur – on a vu meilleur passeport pour la gloire. Elle a certes donné la réplique à des comédiens de l’envergure de Christopher Walken, Reese Witherspoon, Angelina Jolie ou Benicio Del Toro, mais ce fut toujours pour se retrouver en retrait, loin du haut de l’affiche, et dans des films qui sont loin de compter parmi les plus hauts faits des carrières des intéressés.

En 2001, suite à une audition entrée dans la légende (à défaut de l’histoire), elle avait signé pour incarner Janis Joplin dans un biopic, genre par définition synonyme de voie royale pour les Oscars et autres Golden Globes, mais le projet capota, les droits musicaux se révélant impossibles à obtenir. La même année, sa prestation majuscule dans le thriller Pas un mot aurait pu (dû ?) lui valoir les honneurs de nominations glorieuses, mais le film, sorti juste après les attentats du 11 septembre, passa totalement inaperçu dans une Amérique qui n’avait pas le cœur au cinéma. Avec un rôle important dans 8 Mile, et une intense campagne de promotion qui lui valut de faire, en sous-vêtements, la couverture de l’ensemble de la presse masculine, sa carrière parut enfin se lancer, mais des choix discutables (entre romcoms et potacheries) annihilèrent ce qui semblait pourtant une belle percée.

Le succès, en 2005, de Sin City aurait pu la remettre sur de bons rails, mais elle n’y tenait qu’un rôle ultra secondaire, et malgré sa lumineuse montée des marches à Cannes, sa prestation passa à peu près inaperçue. La suite de sa carrière est triste à pleurer : quelques comédies plus ou moins réussies, quelques films à vocation vaguement auteurisante tous à peu près ratés, des premiers rôles dans des longs-métrages devenus tellement confidentiels qu’en plus de ne pas être distribués en France, ils se contentaient, de plus en plus souvent, de sortir directement en DVD aux Etats-Unis, le tout sur fond de rumeurs inquiétantes sur sa maigreur toujours croissante et de photos véritablement tragiques sur les ratés de ses opérations de chirurgie esthétique. De temps en temps, son nom refaisait surface, associé aux rumeurs de casting de telle ou telle grosse machine hollywoodienne (on parla des Expendables de Stallone, d’un des Batman de Christopher Nolan), et à chaque fois, le rôle lui échappait, quand il n’était pas tout bonnement supprimé du scénario.

Sous influence nippone.
Tout ce petit manège se poursuivit jusqu’en décembre 2009, où la nouvelle tomba, inattendue mais si terriblement prévisible : Brittany Murphy était morte, à l’âge de trente-deux ans, dans des conditions sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Et c’est ainsi que l’actrice américaine la plus talentueuse de sa génération (j’insiste) disparut, sans avoir eu le quart de la carrière que ses qualités méritaient ni avoir eu de réelle occasion de démontrer sa valeur dans un rôle à sa mesure, se contentant de bout en bout d’un statut de starlette de seconde zone, généralement considérée avec bienveillance (car les vidéos de ses interviews montrent une jeune femme délurée, souvent drôle, toujours ravissante : le stéréotype de la bonne cliente) mais avec la pointe de mépris que l’on réserve à celles et ceux qui ont, finalement, raté leur vie, et qui, dès lors, ne représentant plus aucune menace pour qui que ce soit.

A la mort de Brittany, j’ai affiché au mur de ma chambre une photographie d’elle, en noir et blanc, l’air mutin. Ce n’est pas la photo qui avait conquis mon cœur sept ans plus tôt, mais un cliché issu d’un shooting professionnel (car Brittany Murphy a également beaucoup inspiré les photographes, et là est peut-être son œuvre la plus complète, la plus aboutie), un cliché mystérieux, dans lequel son regard contient à la fois un avertissement, une invitation et une mélancolie absolue. Ce n’est pas la photographie d’une vamp, ni d’une muse, encore moins d’une star. C’est celui d’une jeune femme blonde en train de rater sa carrière, de gâcher sa vie, qui fixe l’objectif avec autant de timidité que de j’m’en-foutisme, une jeune femme qui avait averti, très tôt, que rien ne compterait, que tout serait pour de faux (« comment voulez-vous que je prenne Hollywood au sérieux, avait-elle mis en garde, alors que je ne me prends pas moi-même au sérieux ? »), une jeune femme un temps prometteuse et que la vie, impitoyable comme toujours, a fini par broyer, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques films dispensables et quelques photos poignantes, une jeune femme, qui, déjà, donne rendez-vous par-delà la mort, comme si elle savait qu’il serait impossible de la suivre dans sa descente aux enfers, et qu’elle s’en excusait.

Au mur de ma chambre.

L’histoire de Brittany Murphy est une histoire comme il en existe des tonnes, une histoire qui finit mal sans jamais avoir paru daigner vraiment commencer, c’est l’histoire d’un ratage à l’ombre du star-system, l’histoire d’une fille qui avait tout pour être Marilyn et qui finalement n’aura eu de Marilyn que la mort et la blondeur factice, l’histoire d’une actrice morte depuis cinq ans à peine et déjà oubliée. C’est l’histoire de mon actrice préférée, et de la plus belle fille du monde.



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