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jeudi 23 juillet 2015

La Loi de Murphy 5 : Harley Quinn ou le chef d'oeuvre inexistant.


Le Dahlia Blond.

Pour expliquer ce qui est peut-être la plus belle contribution culturelle de Brittany Murphy, il faut emprunter des chemins détournés. Il faut d’abord expliquer ce qu’est un mème. Un mème, c’est un phénomène internet participatif qui devient massif au point d’entrer dans l’histoire culturelle du média. Ces dernières années, on a pu ainsi assister à la naissance des Chuck Norris facts, qui, au moyen d’aphorismes ou de brèves anecdotes, tentent d’ironiser sur l’invulnérabilité supposée de l’acteur de la série Walker Texas Rangers (exemple : Un jour, au restaurant, Chuck Norris a commandé un steak, et le steak a obéi, ou bien Certaines personnes dorment avec un pyjama Superman, Superman dort avec un pyjama Chuck Norris) ou bien à la propagation de montage parodiques associant le Hitler du film La Chute à divers autres images en y ajoutant des sous-titres fantaisistes pour montrer le Führer rageant contre les scénaristes de Game of Thrones ou remontant les bretelles à Dominique Strauss-Kahn.

Il faut ensuite faire un brin d’histoire de la bande dessinée américaine et expliquer qui est le personnage d’Harley Quinn. Il s’agit d’une psychanalyste blonde et avenante qui travaille dans une clinique de Gotham City, la ville fictive où se déroulent les aventures de Batman. Dans le cadre de son travail, elle fait la connaissance du Joker, l’ennemi public numéro, psychopathe, génie du mal et principal adversaire du Chevalier Noir. Tombée folle amoureuse de son patient, Harley Quinn va alors totalement péter un plomb et basculer du côté obscur de la force pour devenir une sorte de bras droit sexy du Joker, avec lequel elle entretient une histoire tumultueuse. Introduite pour la première fois dans l’univers de la saga lors de l’adaptation en série animée de 1992, elle gagne rapidement l’affection des fans, et s’impose, dès les années suivantes, comme une opposante récurrente à Batman, intégrant la bande dessinée peu de temps après.

Il faut enfin faire une petite explication des adaptations de Batman au cinéma. Après quelques essais kitchissimes dans les années 60 et 70, c’est en 1989 que sort le premier film digne de ce nom consacré à l’homme chauve-souris. Réalisé par Tim Burton, c’est un succès tant artistique que commercial. Trois ans plus tard, la Warner Bros commande une suite au réalisateur, qui en profite pour réaliser le meilleur film de superhéros de toute l’histoire du cinéma, apocalyptique, bouffon et gothique à la fois. Dans la foulée, deux autres volets voient le jour, cette fois sous la houlette de Joel Schumacher : deux abominables bouses où le kitsch le disputait au gênant, et qui manquèrent d'enterrer définitivement la saga. Mais en 2005, la décision fut prise de relancer la série depuis le début, sous la direction de Chrisopher Nolan, un jeune cinéaste qui venait de faire ses preuves en réalisant Memento, un thriller psychologique salué par la critique, et Insomnia, un polar à ambiance avec Al Pacino en flic fatigué. Le premier film de la nouvelle franchise, Batman Begins, qui présentait deux méchants emblématiques de la série (l’Epouvantail et Ra’s al Ghul), remporta un beau succès public, et, porté par quelques moments d’anthologie, fit figure d’estimable réussite artistique. Décision fut donc prise de réaliser une suite : c’est là que commence l’histoire de Brittany Murphy avec Harley Quinn.

Réalisé par une certaine Emma Died, et disponible sur deviantart.com, cette mine.
En effet, on apprend très vite, dès le casting du film, que le méchant principal de ce nouveau volet n’est autre que le Joker, sans doute l’adversaire le plus emblématique de Batman. Christopher Nolan, toujours aux manettes, annonce un peu plus tard avoir choisi le comédien Heath Ledger pour le rôle, ce qui laisse alors les fans assez sceptiques, Ledger ayant davantage une image de beau gosse qu’autre chose à l’époque, et étant de surcroît unanimement jugé trop jeune pour un rôle dans lequel il a la lourde tâche de succéder à l’immense Jack Nicholson, dont la prestation avait été unanimement acclamée au moment de la sortie du premier Tim Burton. Parmi ce qui agite également la Toile à l’époque, la question d’Harley Quinn : qui, pour épauler le Joker dans le rôle de sa maîtresse folle ? Au gré des sondages menés auprès des amateurs, deux noms se retrouvent régulièrement plébiscités : Kristen Bell, vue dans l’épatant Forgetting Sarah Marshall et les séries Veronica Mars et Heroes, et Brittany Murphy, qui semble à un tournant de sa carrière (un sale tournant, d’ailleurs : elle ne tournera pratiquement plus rien de notable par la suite). Mais Christopher Nolan coupe vite court aux rumeurs : il n’est absolument pas intéressé par le personnage d’Harley Quinn et ne la fera pas figurer dans son film. Tout aurait pu s’arrêter là.

Sauf qu’en janvier 2008, Heath Ledger meurt brutalement, succombant à une intoxication liée à une surconsommation de médicaments. L’émotion est immense à Hollywood : le jeune homme n’avait que vingt-huit ans, et semblait destiné à une jolie carrière (il avait déjà tourné, notamment, avec Ang Lee, Terry Gilliam et Todd Haynes). Quelques mois plus tard, lorsque le deuxième Batman sort au cinéma, nouvelle onde de choc : non seulement le film est sensationnel de noirceur, d’urbanité et de précision, mais en plus le défunt y réalise une performance absolument monstrueuse, méconnaissable de bout en bout, massif, inquiétant et tout simplement dingue, qui lui fait s’attirer la gratification d’un Oscar du meilleur acteur dans un second rôle, fait rarissime non seulement pour une prestation dans un blockbuster mais surtout pour un rôle posthume.

Why so serious ?
Emerveillés, les internautes immortalisent la prestation de Ledger en Joker en réalisant de nombreuses images le mettant en scène, soit par le biais de dessins, soit par celui de photos retouchées. Certains, poussant plus loin l’audace, décident de représenter le personnage aux côtés de sa muse déjantée Harley Quinn, qu’ils représentent tout naturellement sous les traits de Brittany Murphy, celle-ci ayant été leur favorite pour le rôle, retouchant juste ses photos de façon à faire apparaître sur les traits de l’actrice le maquillage traditionnellement associé au personnage. Poussant plus loin l’audace, d’autres réalisent même des montages vidéos mettant en scène le Joker de Ledger entrecoupé d’image de films de Brittany Murphy, des trucages laissant imaginer qu’il s’agit d’un seul et même film qui pourrait être la suite que Christopher Nolan pressentait lorsqu’il réalisait The Dark Knight, le deuxième volet de sa trilogie consacrée à Batman : ni plus ni moins que le procès du Joker, qui aurait vraisemblablement ouvert des pistes quant à ses réseaux et à sa vie privée, offrant ainsi une nouvelle opportunité au personnage d’Harley Quinn de se voir transposer sur le grand écran. Souvent présentés sous la forme de petits clips et principalement axés sur la romance entre les deux personnages, ces petits films sont aujourd’hui bouleversants de prémonition dramatique : on peut les regarder ici, ou encore (j'ai un faible pour ce dernier).

En effet, un peu moins de deux ans après Heath Ledger, ce fut au tour de Brittany Murphy de trouver la mort, elle aussi vraisemblablement suite à de mauvais dosages médicamenteux. Etait-ce un signe avant-coureur pour elle que de se voir associée dans l’imaginaire collectif à une étoile filante au destin aussi funeste que Ledger ? On ne saura jamais, mais sa mort marque un nouveau jalon dans l’histoire du mème Harley Quinn : désormais associés pour l’éternité dans leurs destins tragiques, les deux comédiens se figent comme les amants terribles du cinéma inexistant, les Bonnie and Clyde de Gotham City, l’un des grands couples qu’on ne verra jamais vraiment à l’écran, dans un projet qui ne verra pas le jour, celui d’un film centré sur le procès du Joker et sa passion dévorante avec sa psy, un film où, comme dans les meilleurs Batman, le justicier masqué apparaîtrait au second plan. Heath Ledger est le Joker et Brittany Murphy est Harley Quinn, c’est indiscutable et indiscuté, et les montages photos et vidéos les mettant en scène continuent à fleurir ici et là, massivement sur youtube et sur le site de détournement d’images et de partage de dessins Deviantart : le mème est à son apogée.

Des regards qui en disent long, sans vraiment le dire.
En regardant ces images et ces petits films, le regret est immense : Brittany Murphy n’aura jamais l’occasion de le jouer, mais il est évident qu’Harley Quinn est le rôle de sa vie, encore plus que Janis Joplin qu’elle aurait dû interpréter après une brillante audition dans ce qui se révèlera l’un des projets avortés les plus médiatiques du début des années 2000. Si elle avait pu jouer Harley Quinn, Brittany Murphy, qui avait profité de la tournée de promotion de Sin City pour crier son amour de la bande dessinée et particulièrement celle de Frank Miller (auteur également de 300 et d’un reboot de Batman acclamé), aurait sûrement changé de dimension, tant elle semble taillée pour le rôle : des extraits d’autres films alternés avec des images d’Heath Ledger suffisent à donner un aperçu plus qu’exhaustif de dont elle aurait été capable. Sa prédisposition à jouer les folles, les insolentes, les amoureuses et les paumées est exploitée au rythme de piochements dans sa filmographie (les films qui reviennent le plus sont Don’t Say a Word, exploité pour les scènes en hôpital, Uptown girls pour les séquences romantiques, The Dead Girl pour l’errance du personnage et Sin City pour sa sensualité provocante), et les prestations qu’elle offre dans chacune des scènes sélectionnées correspond à chaque fois parfaitement à l’ambiance créée par Heath Ledger dans les montages faits par les internautes. Mieux : l’alchimie entre les deux comédiens (qui n’ont pourtant joué ensemble dans aucun film) est évidente.

Mais la romance entre le Joker et Harley Quinn telle que rêvée par des milliers de fans ne verra jamais le jour. Ce n’est même pas un projet avorté comme le Megalopolis de Coppola ou L’Enfer de Clouzot, c’est un projet qui n’en a jamais été un, Christopher Nolan n’ayant jamais manifesté le vœu d’intégrer Harley à sa trilogie et Heath Ledger étant mort avant qu’on ait pu imaginer qu’il joue dans le troisième Batman. C’est donc une pure création fantasmatique d’internautes, ce qu’on appelle un fan-art (et qui a pu donner lieu à des fan-fictions), en même temps qu’un réel regret cinéphilie.

Comme pour conclure cette parenthèse créatrice et nostalgique, dans quelques mois sortira Suicide Squad. Ce film sera l’adaptation d’une bande dessinée de l’univers de DC Comics qui met en scène les méchants de plusieurs franchises de l’éditeur – Batman étant utilisé sur un autre projet (Batman contre Superman, tourné en même temps), il est absent de ce film. Parmi les méchants sélectionnés, le Joker et Harley Quinn, pour la première fois représentés à l’écran depuis les décès de leurs interprètes mythiques (Heath Ledger) ou présumés (Brittany Murphy), et dont le casting a été scruté à la loupe par tout ce qu’Internet compte de fans de bande dessinée : Jared Leto (vainqueur d’un Oscar pour son rôle de travesti dans Dallas Buyers Club et remarqué auparavant dans le drame Requiem for a Dream et le peplum Alexandre) et Margo Robbie (découverte par Martin Scorsese dans le Loup de Wall Street et auteur d’une entrée fracassante dans les classements machos des plus belles femmes du monde). Les premières photos qui ont filtré montrent une esthétique très éloignée des films de Christopher Nolan, et ôtent les deniers doutes à ce sujet : plutôt que de s’inscrire dans la lignée de l’univers proposé par Heath Ledger, les réalisateurs ont choisi d’éviter toute comparaison en empruntant une voie radicalement opposée. Tant mieux pour eux. Car ils ne se mesurent par à un film mais à un véritable mythe.

Le couple infernal de Gotham en train de faire feu sur les scénaristes de Suicide Squad.

Les précédents articles du dossier La Loi de Murphy


samedi 18 juillet 2015

La Loi de Murphy 4 : Ces quelques films qui nous restent d'elle


Dans Uptown girls (Filles de bonne famille, 2003)


Cinq ans et demi après sa mort, la plupart des films dans lesquels a joué Brittany Murphy ont déjà (et ce de façon plus ou moins méritée) disparu dans les limbes de l’oubli. Dans une filmographie qui voit essentiellement alterner le navet (Pour le meilleur et pour le rire, Ecarts de conduite) et le nanar (The Prophecy II, Fugue), il y a malgré tout quelques films à sauver. Ainsi, à défaut d’avoir marqué l’histoire du cinéma, la comédie Uptown Girls dont elle tient la vedette n’est pas complètement indigne. Le drame choral The Dead Girl non plus.

Quand on  la retrouve dans des productions de meilleure facture, c’est souvent dans des rôles très secondaires. Ainsi, si le road-movie trash Freeway vaut le détour, on n’y aperçoit Brittany Murphy que durant deux petites scènes (elle joue une détenue lesbienne et héroïnomane). De la même façon, dans Sin City (film acclamé par la critique s’il en est), son personnage émouvant de serveuse au cœur d’artichaut n’est pas vraiment développé par le scénario, et ce sont Mickey Rourke, Bruce Willis, Rosario Dawson, Clive Owen ou encore Jessica Alba qui se taillent la part du lion. Même chose avec Une vie volée, où Brittany Murphy s’efface derrière Winona Ryder et Angelina Jolie, pas aidée, de surcroît, par le suicide de son personnage au milieu du film. Enfin, dans Happy Feet, son plus gros succès public, son visage n’apparaît pas une seconde : il s’agit d’un film d’animation dont les personnages sont des manchots chanteurs, et Brittany, tout comme ses partenaires (Robin Williams, Elijah Wood ou Nicole Kidman), se cantonne au doublage.

Dès lors, ne restent qu’une poignée de rôles suffisamment développés pour tenter de dresser un portrait de l’actrice. J’en ai choisi cinq, qui montrent, chacun à leur façon, cinq facettes différentes du jeu de Brittany Murphy. Les voici présentés par ordre chronologique.




Clueless (1995, Amy Heckerling)

Avec son esthétique années 90 devenue très rapidement mortellement ringarde, il n’est pas évident pour quiconque ne l’a jamais vu de se dire que ce film fut en son temps un véritable objet de culte (encore aujourd’hui adoré par une génération entière d’adolescentes devenues trentenaires). Reprenant vaguement l’argument d’un roman de Jane Austen (Emma) et l’adaptant façon teen-movie, Clueless raconte le quotidien d’une richissime adolescente, Cher, déterminée à améliorer le quotidien de ses proches, mais qui en oublie parfois son propre bonheur.

L'adolescence est une période douloureuse, on ne le dira jamais assez.
Si le second degré faussement candide de la voix off de l’héroïne fait souvent mouche, et si c’est un vrai bonheur de retrouver l’immense Paul Rudd (alors au tout début de sa carrière) dans un rôle de jeune écolo lecteur de Nietzsche, force est de constater que Clueless atteint par moment des sommets de nunucherie - et c’est bien pour ça qu’on l’aime, d’ailleurs. Gloire soit donc rendue à Brittany Murphy, qui, pour son premier véritable rôle au cinéma, endosse l’essentiel des responsabilités comiques du film. Brune (voire parfois vaguement rousse), boulotte, elle incarne Tai, la nouvelle venue au lycée, que Cher, désireuse de réaliser une bonne action, va entreprendre de relooker. Car oui, en 1995, Brittany Murphy est encore la bonne copine moche qui sert de caution burlesque à un film dont l’efficacité repose avant tout sur le dialogue.

Toute sa prestation est un numéro de funambule, il s’agit d’en faire le plus possible sans jamais en faire trop. Grimaces, glissades, maladresse, gaffes, naïveté, incompréhension, aplomb, contretemps permanent, toute la panoplie de l’actrice comique y passe, et la maîtrise de celle qui n’a alors que dix-sept ans est tout simplement bluffante. Véritable trublion au milieu de partenaires finalement assez sages (ou limités), il faut la voir danser toute seule à une fête, se casser la figure dans les escaliers ou éclater de rire pour un rien, le tout en écarquillant en permanence ses grands yeux, à mi-chemin entre l’émerveillement et la terreur, pour mesurer d’où partait celle qui ferait ensuite fantasmer toute l’Amérique. Trop brièvement, hélas.



Don’t say a word (2001, Gary Fleder)

Don’t say a word (Pas un mot en VF) est un thriller psychologique comme il s’en tournait beaucoup à Hollywood à la fin des années 90 et au début des années 2000. Un Michael Douglas sur le retour y incarne un psychiatre de génie dont la fille est subitement enlevée par une bande de malfrats. Ceux-ci la relâcheront seulement si Douglas parvient à obtenir une information de la part d’une de ses patientes, la jeune Elizabeth. Problème : celle-ci est une frappadingue de première, qui se réfugie dans le mutisme et n’a pour ainsi dire connu que l’internement depuis la mort de son père, dix ans auparavant.

Une poupée et une autre poupée.
























Je vais être sincère : si on peut lui reconnaître une certaine efficacité, Don’t say a word n’a à peu près aucune originalité. L’hôpital est miteux à souhait, la gamine kidnappée est rudement futée, le psy vit dans les beaux quartiers avec une femme de vingt ans de moins que lui et le personnage incarné par Sean Bean meurt à la fin. Au milieu de cet océan de clichés, Brittany Murphy incarne Elizabeth, la jeune femme internée pour démence, et c’est l’occasion pour elle de se livrer à l’un de ces numéros qu’Hollywood raffole (les barjots en clinique), à tel point qu’elle ne manqua que d’extrême justesse la nomination à l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.

Prête à tout pour faire croire à son personnage, n’hésitant pas à flirter avec le ridicule, elle tire un profit maximum de ses grands yeux et de ses gros cernes. La démence de son personnage passe également par ses mains, en perpétuelle agitation (ce qui est hélas lourdement souligné par une mise en scène peu inspirée), et sa voix, souvent cassée, perpétuellement agitée par un souffle incontrôlable. En face d’un Michael Douglas à l’expressivité tragiquement limitée par un récent lifting, c’est elle qui donne un corps (malade) au film. Considérablement amincie par rapport à ses débuts au cinéma, devenue blonde, elle exploite au mieux la folie douce qui habitait déjà tous ses rôles dans ce personnage de vraie psychopathe. C’est, à vrai dire, la meilleure raison de revoir le film.


Spun (2002, Jonas Akerlund)

Dans la lignée de Requiem for a dream (dont il évite l’aspect pontifiant) et de Trainspotting (duquel il n’a pas emprunté le populisme), Spun est un film méconnu sur l’univers de la drogue et des drogués. Prenant pour cadre une petite ville du milieu des Etats-Unis, il s’attache à suivre les pérégrinations d’une bande de junkies. Première réalisation du Suédois Jonas Akerlund, venu du clip, le film réunit un casting au label très « indé » : Jason Schwartzman (acteur fétiche de Wes Anderson), John Leguizamo (vu, entre autres, dans L’Impasse et dans Extravagances) et Mickey Rourke (alors en pleine traversée du désert) en sont les principales têtes d’affiches.

Parmi eux, Brittany Murphy fait figure d’atout charme. La mue entamée au tournant des années 2000 est à présent terminée, et l’actrice, dont tout le monde a oublié qu’elle fut un jour brune, a désormais un corps de rêve. Mais son talent à jouer les filles barrées n’a pas disparu, et dans ce rôle d’allumeuse sous métamphétamine, son sens du timing et de la répartie fait à nouveau merveille. Véritable reine de cœur d’une fable macabre et caustique sur l’univers des camés, elle prend sur elle l’ensemble de la tension érotique. Davantage que ses tenues (bimbo, voire cagole) ou que la scène de pool-dance qu’elle offre, ce sont ses mimiques, ses regards, son jeu permanent avec ses lèvres qui créent le désir chez le spectateur, le tout sans que son talent pour la comédie pure en soit affecté. Ainsi, qu’elle se dispute avec Mickey Rourke, qui joue son compagnon, qu’elle pique une crise d’hystérie parce que son chien est devenu vert ou qu’elle soliloque à côté de Jason Schwartzman qui la conduit dans la nuit, son investissement total fait mouche à chaque fois.

Le fameux coup du haut multicolore.
Intéressant malgré une réalisation trop souvent hystérique, Spun vaut avant tout grâce aux numéros réalisés par ses comédiens. Amorçant son virage vers des rôles sexy, Brittany Murphy n’est pas celle qui s’en sort le moins bien.



8 Mile (2002, Curtis Hanson)

Projet construit autour du rappeur Eminem, dont il s’agissait de marquer les débuts au cinéma, 8 Mile avait tout pour être un navet ultime, dans la lignée des nombreux films sur et/ou avec des stars de l’industrie musicale réalisés au début des années 2000 (Glitter avec Mariah Carey, Crossroads avec Britney Spears, Réussi ou mourir avec 50 Cent…). Il n’en a rien été. Porté par un scénario qui le tire davantage vers le film social (le quotidien dans le ghetto de Detroit) que la success story (l’ascension, dans un monde du hip-hop dominé par les Noirs, d’un prodige blanc du rap), et une réalisation toute en sobriété de Curtis Hanson (à qui on doit entre autres l’oscarisé L.A Confidential), 8 Mile échappe à tous les écueils attendus, pour se révéler, à la surprise générale, l’un des meilleurs films hollywoodiens des années 2000.

Eminem, plus ou moins dans son propre rôle, réussit brillamment à transposer sur grand écran l’énergie qu’il déployait dans ses clips, et le reste du casting est au diapason, de Mekhi Phifer (Urgences) qui incarne son meilleur ami, à Kim Basinger, dans le rôle de la mère indigne. A leurs côtés, Brittany Murphy campe Alex, une vamp des banlieues qui va séduire l’apprenti rappeur, le tromper puis finalement lui redonner l’énergie nécessaire pour croire en lui, sans cependant que le versant amoureux de l’intrigue connaisse une fin réellement heureuse. Si, avec n’importe quelle autre comédienne, le récit aurait pu sembler convenu, Brittany Murphy parvient à charger son personnage d’une aura extrêmement trouble qui offre une réelle valeur ajoutée au film. Si son regard est une nouvelle fois chargé de cette démence qui est devenu sa marque de fabrique, ce halo de folie est ici entièrement détourné à des fins érotiques, et 8 Mile la voit composer son personnage le plus ouvertement sexuel. C’est bien simple, à chaque fois qu’elle apparaît à l’écran, elle pue littéralement le sexe, transformant son rôle de simple pétasse en cas d’école de femme fatale.

L'apogée d'une carrière.
Quelques moments mémorables, jalonnent le film. La scène de baise devenue instantanément culte dans l’usine où travaille le personnage d’Eminem. La discussion des deux devant une maison en train de brûler, petit monument de sensualité tranquille. Leurs longs échanges de regards, muets et ponctués de doigts d’honneur qui disent ce que les personnages seraient incapables d’exprimer avec des mots. 8 Mile est le film qui a failli faire de Brittany Murphy une véritable star. Le revoir, c’est se demander, une fois de plus, ce qui a fait que sa carrière a merdé. Et c’est, une fois de plus, ne pas trouver la réponse.



Love and other disasters (2006, Alek Keshishian)

Love and others disasters (sorti en France sous le catastrophique titre Love et ses petits désastres) est l’un des rares films de qualité à avoir été bâti autour de Brittany Murphy. Produit par un improbable tandem constitué de Luc Besson et David Fincher (ces deux-là se seraient donc un jour parlé…), réalisé par un Alek Keshishian principalement connu pour son documentaire In bed with Madonna, il s’agit d’une comédie romantique pure et dure, prenant pour cadre Londres, et s’inscrivant sous le haut patronage de Diamant sur canapé et de Coup de foudre à Notting Hill (les deux films préférés des héros). Brittany Murphy incarne Emily Jackson, que des scénaristes visiblement sadiques ont absurdement choisi d’affubler de l’immonde sobriquet « Jacks », une assistante au sein du prestigieux magazine de mode Vogue, qui vit en colocation avec un jeune homme homosexuel et fleur bleu.

Brune again.
Tous les codes de la comédie romantique sont présents (quiproquos, mises en abyme, idéalisation cucul la praline de l’amour), et l’énergie déployée par le film, à défaut de renouveler le genre, est réjouissante de bout en bout. Brittany Murphy, redevenue brune pour l’occasion, revient à ses premières amours comiques, mais a ici l’occasion d’incarner un personnage plus fouillé qu’à ses débuts, servant autant de moteur comique (son abattage est considérable) que de vecteur d’identification (quand va-t-elle se rendre compte que le jeune Argentin qui lui plait tant n’est pas homosexuel ?). Le film repose en effet à peu près autant sur sa performance (on la voit ivre, parlant l’espagnol, dansant le tango) que sur sa plastique (ses différentes tenues sont l’occasion d’un véritable défilé de mode, quand elle n’apparaît pas nue ou en sous-vêtements).

Jamais dupe de son personnage de jeune femme futile au grand cœur, Brittany Murphy fait regretter que davantage de scénarios de ce type ne lui ait pas été proposés, tant elle se fond avec aisance, elle l’Américaine, dans le cadre londonien de ces comédies romantiques si à la mode au début des années 2000. Bien rythmé, bien dialogué, Love and other disasters lui offre un cadre idéal pour déployer l’ensemble de ses talents, et montrer qu’elle est capable d’assumer sur ses seules épaules la légèreté et la séduction indispensables à la réussite de ce type de films.



L'ensemble du dossier consacré à Brittany Murphy est disponible sur cette page. Pour retourner à l'article précédent (Le Biopic qui fout la honte), cliquez ici, pour vous rendre sur le suivant (Harley Quinn ou le chef d'oeuvre inexistant), cliquez .


vendredi 10 juillet 2015

La Loi de Murphy 3 : Le Biopic qui fout la honte


Une affiche qui sent le chef d'oeuvre...

Quand Brittany Murphy est morte, en ce dégueulasse matin de décembre 2009, elle ne se doutait pas, la pauvre, qu’à l’instar d’un wagon de célébrités de seconde zone disparues précocement, elle ferait l’objet, cinq ans à peine après son décès, d’un biopic. Le biopic, c’est la biographie filmée, c’est-à-dire un film qui retrace la vie d’une sommité, ou qui revient sur son œuvre, ou qui s’attache à un ou plusieurs épisodes marquants de son existence. Si le genre a vu naître quelques véritables chefs d’œuvres (Last Days de Gus Van Sant sur Kurt Cobain ou Raging Bull de Martin Scorsese sur Jake LaMotta), il est généralement propice à un festival d’académisme, sans prise de risques artistique aucune, et où tout l’enjeu se situe sur la performance de l’acteur principal et son degré de mimétisme vis-à-vis de son modèle : ainsi, Jamie Foxx en Ray Charles ou Eddie Redmayne en Stephen Hawking ont trouvé, dans l’incarnation de modèles prestigieux, le plus rapide et le plus efficace des laissez-passer pour l’Oscar du meilleur acteur, tout en inscrivant leurs prestations dans des films à peu près nuls.

Heureusement, rien de tout ça dans The Brittany Murphy Story. Le biopic consacré à feue mon actrice préférée n’est pas seulement un film nul, loin de là. C’est surtout un authentique nanar de compétition, navrant de bout en bout – une heure vingt qui en paraît cinq. Tourné en seize jours et visiblement écrit en vingt minutes, il apparaît comme un hommage involontaire aux choix de carrière pas toujours judicieux de son héroïne, qui, si elle avait poursuivi sur la voie dans laquelle elle semblait s’engager avant de décéder bêtement, aurait vraisemblablement fini par échouer dans des productions de ce niveau. Reste qu’elle les aurait sûrement bonifiées par son talent, qui fait ici cruellement défaut.

Par où commencer ? Par le casting, peut-être. Quand le meilleur personnage est celui d’Ashton Kutcher (jeune premier à la mode au début des années 2000, héros de Hé mec, elle est où ma caisse ? et de L’Effet papillon, éphémère fiancé de Brittany Murphy qu’il avait rencontrée sur le tournage de Pour le meilleur et pour le rire et surtout connu pour avoir été marié à Demi Moore) qui doit ici apparaître une dizaine de minutes, forcément, c’est que quelque chose cloche quelque part. Et fatalement, quand on regarde le reste de la distribution (peu fournie), le bât blesse. L’acteur qui interprète Simon Monjack, le mari de Brittany, est une sorte d’hybride hagard de Jean-Luc Mélenchon et d’un ours en peluche, absolument incapable de faire sourdre la potentielle dangerosité de son personnage, et si la comédienne qui interprète la mère de l'actrice, Sherilyn Fenn (vue dans Twin Peaks), est légèrement meilleure, elle est tellement mal dirigée qu’elle semble jouer dans un autre film que ses partenaires.

Quant à Amanda Fuller, qui incarne Brittany Murphy, elle ne parvient jamais à rappeler son modèle. Déjà, elle ne lui ressemble pas du tout, mais cela ne serait pas rédhibitoire si, par son jeu, elle parvenait à l’évoquer (après tout, Leonardo diCaprio faisait un Howard Hugues confondant et Reese Witherspoon une June Carter monstrueuse, ce qui n’était pas gagné en mettant côte-à-côte leurs photos et celles de leurs modèles). Hélas, sa palette de comédienne ne dispose que de deux expressions, la moue triste et le sourire joyeux – quand on sait à quel point la personnalité de la Brittany Murphy actrice passait par ses yeux fous et ses lèvres mobiles, c’est très insuffisant. Au niveau de l’investissement physique vis-à-vis de son personnage, c’est encore pire : si, au début du film, alors que Brittany est sensée être encore un peu grassouillette, son double menton est crédible, à la fin, lorsque maladie, anorexie et dépression la cernent, il fait franchement tache. Mais ce n’est rien par rapport à la façon dont son interprétation colore son personnage : Brittany Murphy n’apparaît jamais autrement que comme une ado niaise et mal dégrossie, jamais sexy, souvent rabat-joie et à moitié débile. Il n’est pas certain que ce soit un choix délibéré de la part de la production, et on peut donc penser qu’une grande partie ce résultat est à mettre à l’actif de cette pauvre Amanda Fuller.
 
La Brittany du film. Oui, ça surprend, au début. D'un bout à l'autre, même.
Mais l’interprétation n’est même pas le point le plus faible du film. Sa réalisation met la barre un cran plus haut encore. Le manque de moyens est évident, mais ne justifie pas tout : les perruques de certaines comédiennes sont carrément visibles – et on ne me fera pas croire qu’il n’y avait vraiment pas moyen de trouver une comédienne blonde dans tout Hollywood pour venir dire les trois phrases dévolues au personnage d’Alicia Silverstone. Mieux encore, les plans ne signifient jamais rien : ils montrent les acteurs qui jouent des personnages et enregistrent ce qui se dit, c’est tout. Rien, d’ailleurs, n’est jamais signifié autrement que par le dialogue, et les rares fois où il se passe quelque chose qui relèverait plus ou moins de l’implicite (Sharon, la mère de Brittany, est peu enthousiaste lorsqu’elle rencontre Simon, son nouveau petit ami), c’est lourdement appuyé quelques secondes après (Simon va retrouver Sharon dans la cuisine et lui dit quelque chose comme « Sharon, je vous sens méfiante », ce à quoi elle répond un truc du style « oui, Simon, je le suis », et Simon de gagner illico sa confiance) sans même avoir pris le temps de créer un vrai malaise.

Visiblement conscient des limites évidentes de la réalisation, le scénario s’arrange pour effectuer des ellipses dès qu’il s’agirait de montrer quelque chose aux enjeux plus complexes qu’une simple discussion. Ainsi, la rencontre de Brittany avec un personnage aussi sulfureux qu’Eminem, sur le tournage de 8 Mile, n’apparaît pas (le rappeur est mentionné une fois mais n’est présent dans aucune scène) alors même qu’il s’agit de l’un des films les plus cruciaux de la carrière de l’actrice. Sa rupture avec Ashton Kutcher non plus, ni son premier baiser avec Simon. Même son malaise fatal n’est pas filmé, et les paparazzis, présentés par le film comme les grands méchants qui ont précipité la mort de l’actrice (Simon leur lance, en ouverture du film, un vengeur « C’est vous qui l’avez tuée ! ») ne sont visibles que tant qu’ils ont l’actrice à la bonne, disparaissant dès qu’ils semblent se retourner contre elle.

Ce défaut scénaristique (est-il dû à la nullité des scénaristes ou bien à leur volonté de ne pas mettre dans l’embarras une réalisation proche de l’amateurisme ? mystère) est loin d’être le seul. En effet, le recours à certaines ficelles grossières (on imagine sans mal les discussions des scénaristes cherchant à rythmer leur film, à base de « tout va bien ? alors mettons un cancer à la mère de Brittany pour plomber l’ambiance, puis faisons la guérir à la scène d’après parce que ça nous emmerde de traiter un sujet pareil, et qu’en plus comme ça, on se garde sous le coude une opportunité de lui faire faire une rechute si on a du mal à remplir certains passages ») subit la rude concurrence de tout ce qui passe à la trappe dès que la scène est finie : Simon qui fait une crise cardiaque dont on entend plus jamais parler, Ashton qui éveille sa jalousie en s’invitant au repas d’anniversaire de Brittany au cours d’une scène aussitôt oubliée par l’ensemble des protagonistes, Sharon Murphy qui, voyant sa fille prendre un cachet, s’écrie « des antidépresseurs ! » avec la même horreur que si sa fille lui annonçait qu’elle se pique à l’héro mais considère ça comme étant tout à fait normal dès le plan suivant, Simon qui fait lire à Brittany un scénario qu’il a écrit pour elle et dont il ne sera plus jamais question sitôt le dialogue terminé... Bref, ça n’a ni queue ni tête, les scènes se suivent sans la moindre logique, comme si ni le réalisateur ni les acteurs ne savaient dans quel ordre elles allaient ensuite être assemblées.



Même la chemise que porte Simon dans cette scène ne parvient pas à sauver le film du nauvrage.

Surtout, et c’est là le plus embêtant, quand le film se termine, on n’en sait pas davantage sur Brittany Murphy qu’après avoir lu sa page Wikipédia, et même plutôt moins. Tout ce qu’on voit, c’est une fille geignarde et nunuche, incapable de sortir des jupes de sa mère, à l’opposé du petit détonateur sexy et plein de peps qu’était l’actrice du temps où elle arpentait encore les plateaux télés. Ce qui l’a tuée ? La méchanceté du monde, et des paparazzis en particulier, qu’elle a eu la bêtise de prendre pour ses amis (Simon a beau lui lancer à plusieurs reprises, dès leurs premières rencontres « ces types-là ne sont pas vos amis », ça ne l’empêche pas de se lamenter à la fin du film « je croyais que c’étaient mes amis »), et sûrement pas les médicaments, dont la consommation n’est jamais interrogée, ni la drogue (le film passe même sous silence le tabagisme de l’actrice), si bien qu’à la fin du film, quand Brittany, malade, est alitée, on a aucune idée du mal dont elle souffre – c’est comme si le film s’interdisait de prendre parti à chaque fois qu’il en a l’occasion.

De la même façon, la dimension potentiellement malsaine du ménage à trois qu’elle a formé avec sa mère et Simon n’est jamais exploitée, ni, plus largement, le rapport ambigu qu’elle entretient avec sa génitrice (le parti pris pour signifier l’aspect fusionnel de leur relation est désarmant de simplicité : Sharon Murphy dit amen à tout ce que souhaite sa fille, et en étant contente, histoire que cette dernière ne passe pas pour une gamine capricieuse). Le pacte faustien qu’elle passe en épousant Simon (escroc minable et scénariste sans talent, magouilleur sans envergure et stéréotype du raté) n’est exploité d’aucune autre façon que lorsqu’il lui répète qu’il veut « relancer sa carrière », et c’est peu dire qu’il le répète souvent, sans qu’on le voit jamais agir (ni ne pas agir, d’ailleurs, ce qui aurait pu constituer une piste intéressante – on comprend que cette perspective ait fait reculer les scénaristes).

Plus largement, le couple formé par la starlette et son Pygmalion amateur n’est crédible à aucun moment. Les scénaristes utilisent pourtant une ficelle éculée depuis des dizaines d’années en décidant de faire de Simon une sorte d’ange-gardien bedonnant et mal rasé qui veille sur Brittany et surgit toujours au bon moment pour la tirer d’affaire, ils sont pris à revers : si, en se forçant un peu, on parvient à imaginer ce que Brittany peut trouver de rassurant et de touchant chez ce raté un peu gauche mais protecteur, on a les pires peines du monde à comprendre ce que lui peut bien apprécier chez elle, qui n’est ni belle, ni drôle, ni intelligente, d’autant que la piste d’une union intéressée est évacuée sitôt évoquée.

Alors qu’il y avait matière à faire un beau film sur les illusions brisées, sur le rêve américain qui vole en éclats contre les collines d’Hollywood, ou alors un thriller façon Dahlia noir sur la mort mystérieuse d’une jeune starlette, The Brittany Murphy story prend la forme d’un banal empilement de scènes vaguement unifiées par une esthétique de téléfilm cheap. Brittany Murphy, son entourage parfois trouble (sa mère possessive, son mari arnaqueur, son père qui a passé douze ans en prison – il n’apparaît pas dans le film et son existence n’est pas mentionné une seule fois) et ses fréquentations rock’n roll en diable (Eminem, Mickey Rourke, Drew Barrymore, Mohamed Al-Fayed… il y avait au moins matière à faire une belle galerie de portraits) méritaient tous d’être mieux exploités. Le réalisateur, Joe Menendez, et le tandem de scénaristes formé par Peter Hunziker et Cynthia Riddle ont préféré faire un portrait de l’actrice en cruche de compétition, dont la mort, laissée inexpliquée, n’émeut personne (malgré une scène quasi-finale plus que gênante où, dans la salle de bain fatale, Simon et la mère de Brittany, agenouillés et en larmes sur le corps inerte de l’actrice, tentent de la ranimer en l’aspergeant – piteuse pietà).


Le genre de tête que Brittany, la vraie, aurait faite si elle avait pu voir le film.

Sans surprise, le film (qui n’a même pas eu les honneurs d’une sortie en salles) a reçu une volée de bois vert de la part de la critique. De façon non moins prévisible, le père et la mère de Brittany, pour une fois sur la même longueur d’onde, ont déclaré qu’il s’agissait d’une merde qui ne restituait rien de ce qu’avait été la vie de leur fille. Quant à moi, entendons-nous bien : si je l’ai vu, c’est principalement pour vous éviter d’avoir à le faire.




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mercredi 24 juin 2015

La Loi de Murphy 2 : Mort d'une starlette



Brittany Murphy, pas certaine que la vie en vaille la peine.



Le corps de Brittany Murphy a été retrouvé inanimé par sa mère dans sa salle de bain, au matin du 20 décembre 2009. Conduite immédiatement aux urgences, l’actrice y est morte deux heures plus tard, sans qu’il ait été possible de la ranimer. Si la nouvelle de son décès, rapidement rendue publique, a provoqué une émotion sincère à Hollywood, elle n’a pas surpris outre-mesure les commentateurs, tant d’une part l’actrice semblait artistiquement morte depuis plusieurs années, et tant, d’autre part, les rumeurs d’addiction à la cocaïne, de dépression et d’anorexie allaient bon train depuis plusieurs années déjà.

Brittany Murphy vivait avec sa mère et son époux dans une luxueuse propriété de Los Angeles qu’elle avait rachetée à Britney Spears quelques années auparavant. C’est là, dans un ménage à trois forcément malsain, qu’elle a passé ses derniers mois. D’un côté, Sharon Murphy, sa mère, qui l’a élevée seule (le papa, Angelo Bertolotti, ayant passé l’entièreté de l’enfance de sa fille derrière les barreaux), qui a tout accepté pour que sa fille puisse faire carrière, quittant avec elle New York pour Los Angeles au début des années 90 pour favoriser son éclosion. De  l’autre, Simon Monjack, son mari, escroc à la petite semaine et scénariste raté, dans lequel Brittany, en bonne sous-Marilyn qu’elle était, a sûrement vu le parfait sous-Arthur Miller pour lui écrire, guidé par l'amour, ses plus grands rôles.

Car s’il y a un soupçon de Norma Jean Baker dans la carrière de Brittany Murphy (son talent comique, son hypersensualité), il y a des tonnes et des tonnes de Marilyn Monroe dans sa mort. Cinq ans et demi plus tard, les causes n’en sont toujours pas claires, et petit à petit, on se résigne à ce qu’elles ne le soient jamais. Le rapport d’autopsie, publié deux jours après le décès, évoque une pneumonie, une anémie et un abus de médicaments, coupant court aux rumeurs d’overdose. Il se murmure également que si elle avait été conduite ne serait-ce que vingt-quatre heures plus tôt à l’hôpital, elle aurait pu être sauvée, mais sa peur des paparazzis (par lesquels elle s’estimait harcelée) et la volonté de son entourage (en l’occurrence sa mère) de ne pas la contrarier, auraient empêché ce salutaire transfert d’avoir lieu.

Toutes les spéculations restaient donc ouvertes jusqu’à ce que, six mois plus tard, éclate un nouveau coup de théâtre : le veuf de Brittany, Simon Monjack, était à son tour retrouvé mort, dans la même salle de bain, et apparemment des mêmes causes (pneumonie, anémie, surconsommation de médicaments). Une nouvelle enquête permit alors d’ajouter une hypothèse supplémentaire à ces décès : la forte présence de moisissures (eh oui...) dans la maison des Murphy-Monjack, qui auraient intoxiqué le couple jusqu’à s’avérer fatales.


La stèle de la défunte.

D’autres possibilités, plus farfelues (quoique…) circulent, et parmi elles, celles d’un double assassinat politique. Bien qu’on ne lui ait connu, contrairement à Marilyn, aucune accointance avec le pouvoir, ni qu’elle se soit jamais publiquement livrée à des activités de dissidences, Brittany et son mari vivaient depuis de longs mois, semble-t-il, dans la peur constante d’être surveillés par les services secrets américains. En cause : le soutien qu’ils avaient affiché aux lanceurs d’alertes (Wikileaks en était alors à ses balbutiements).

En 2013, nouveau rebondissement : le père de Brittany, Angelo Bertolotti, rend publics les résultats d’une enquête indépendante qu’il a lui-même commandée après avoir dû batailler pour obtenir des cheveux, des tissus et du sang de sa fille. Les conclusions du laboratoire (auquel il a été demandé de rechercher également les métaux lourds et les toxines, ce que n’avaient pas fait les services de médecine légale de Los Angeles) sont lourdes : exposition à des métaux lourds à des niveaux largement supérieurs à ceux recommandés par l’OMS, vraisemblablement administrée par un tiers et avec une intention criminelle probable. En d’autres termes, empoisonnement à la mort-aux-rats ou à l’insecticide, ce que semblent accréditer les symptômes ressentis par l’actrice et son mari durant les mois qui ont précédé sa mort, à savoir étourdissements, crampes, toux, pneumonie, tachycardie, tremblements, problèmes intestinaux, cutanés, neurologiques et respiratoires.

Sans la désigner ouvertement, Angelo Bertolotti met ainsi en cause son ex-femme, Sharon Murphy. Qui d’autre vivait aux côtés du couple ? Qui d’autre aurait pu les empoisonner doucement, à petit feu ? Evidemment, celle-ci fait tout pour discréditer les conclusions de l’enquête, et de façon tout aussi prévisible, l’affaire tourne à un écharpement des parents par médias interposés, spectacle aussi inévitable que pathétique, le père accusant la mère d’avoir vendu au prix fort tous les biens de sa fille, jusqu’à son passeport, et celle-ci répliquant en pointant du doigt la place toute relative que Bertolotti occupait dans la vie de Brittany et suspectant à haute voix une envie de gloriole facile chez son ancien compagnon.


L'affiche de Deadline, l'un de ses derniers films.



Mais derrière la possible solution criminelle, il y a les derniers jours de l’actrice, recluse dans sa maison qu’elle venait de faire équiper du même système de sécurité que les agences bancaires américaines, virée quelques semaines plus tôt du tournage d’un film car apparemment devenue ingérable, bannie de la pharmacie la plus proche de chez elle car y achetant parfois jusqu’à trente-deux médicaments différents, évincée du film Happy Feet 2 alors que sa prestation dans le premier avait été justement saluée… Il y a aussi ses derniers films, tristement prémonitoires. En 2007, The Dead Girl (en français : La Morte), dans lequel elle interprète évidemment le rôle-titre, celui de Krista, une jeune femme retrouvée morte et dont il faut attendre la fin du film pour connaître les circonstances du décès. En 2009, quelques mois avant sa mort, Deadline (Dernier délai), dont l’affiche la présente, hébétée, dans une baignoire, comme une vision de sa triste fin - même si, contrairement à ce qu'ont annoncé plusieurs médias français de façon erronée, c'est dans sa salle de bain et non dans sa baignoire que Brittany a été retrouvée, une erreur de traduction étant vraisemblablement en cause, bathroom ayant été confondu avec bathtub.

Une autre prémonition, plus ancienne, fait elle aussi surface : le choix de l’actrice, dès le début des années 90, de faire carrière sous le nom de sa mère, Murphy, plutôt que sous son véritable nom à elle, Brittany Anne Bertolotti. Murphy, comme la célèbre loi de Murphy qui stipule que « tout ce qui est susceptible de mal tourner tournera nécessairement mal », ou, en d’autres termes, que « s’il existe au moins deux façons de faire quelque chose, et qu’au moins l’une de ceux deux façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter cette voie ».  Cette loi, que l’on doit à l’ingénieur en aérospatiale Edward Aloysius Murphy Jr (aucun lien), a entraîné un dérivé célèbre, celui de la tartine beurrée, qui stipule qu’une tartine beurrée chutant à terre tombera systématiquement du côté beurré. En choisissant de s’appeler Brittany Murphy, l’apprentie comédienne prenait un risque inconsidéré : s’il y a au moins deux façons de conduire sa carrière et qu’au moins l’une de ces deux façons peut entraîner une catastrophe, il se trouvera forcément quelqu’un pour emprunter cette voie, c’est-à-dire que tout ce qui est susceptible de faire rater une carrière avant d’entraîner la mort fera rater la carrière et entraînera la mort. Se placer délibérément sous cette épée de Damoclès n'était pas forcément l'idée la plus brillante que puisse avoir une actrice débutante.


Encore vivante et déjà la corde au cou...



Encore derrière ces signes avant-coureurs et autres superstitions, il y a surtout le gigantesque suicide professionnel qu’a constitué sa carrière post-2006 (c’est-à-dire, curieusement, depuis sa rencontre avec Simon Monjack, qui l’aurait beaucoup entretenue dans un repli sur elle-même et une crainte du monde extérieur injustifiés). Et il y a son naturel, de fille drôle, blagueuse, souvent légère et un peu dilettante, de fille qui ne se prenait pas au sérieux, de fille qui n’avait finalement pas tant que ça confiance en elle. De fille pour qui, tout compte fait, Hollywood n’était pas vraiment l'endroit idéal. Il paraît que quelques jours avant sa disparition, Brittany avait formulé le vœu de quitter Los Angeles pour revenir à New York, la ville dans laquelle elle avait passé son enfance, et d’arrêter le cinéma pour faire du théâtre. Cinq ans après, je me dis que ce n’était pas forcément une mauvaise idée – en revanche, ça venait indéniablement un peu tard. 



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dimanche 21 juin 2015

La Loi de Murphy 1 : Brittany et moi


La photo sans laquelle jamais je n'aurais jamais écrit cet article.

Tout a commencé début 2003, au détour d’une photo aperçue dans un magazine dont j’ai depuis longtemps oublié quel il était (Première ? Studio ? Télérama ? TéléObsCinéma ?). Sur cette photo, le portrait d’une jeune femme, blonde aux yeux noisette, dont le visage allait me poursuivre toute ma vie. Cette jeune femme s’appelait Brittany Murphy, elle était américaine, comédienne – le cliché faisait partie des photos promotionnelles du film 8 Mile, vrai-faux biopic consacré au rappeur Eminem, qui, sans que j’ai alors jamais entendu une seule de ses chansons, éveillait mon intérêt, pour une raison que je ne parviens pas bien à expliquer.

Je reviens à la photo. Jamais sans doute (et plus jamais par la suite), une photo n’avait réussi à me marquer de la sorte. Ce qu’elle a de si particulier est difficilement explicable : la simple beauté de la jeune femme n’est pas une raison suffisante pour justifier ma fascination – on voit tous les jours des centaines de photos d’actrices, de chanteuses, de mannequins, toutes aussi belles les unes que les autres. Le cliché, en lui-même, n’a rien de particulier : aucun cadrage exceptionnel, aucune composition qui le ferait sortir de la masse. J’imagine que ce qui s’est emparé de moi à cet instant est de l’ordre du coup de foudre – coup de foudre pour un portrait, pour une photo, comme dans les pires romans de la fin du XIXème siècle. Dès lors, et quand même bien je ne l’avais encore vue jouer dans aucun film, ma réponse aux questions « quelle est ton actrice préférée ? » ou « qui est la plus belle femme du monde ? », a invariablement été « Brittany Murphy ».

Un an plus tard, j’ai vu 8 Mile. Puis Sin City. Puis Love et ses petits désastres, puis encore The Dead Girl, et j’ai alors pu l’affirmer en me fondant sur une connaissance précise de l’étendue de ses talents : oui, Brittany Murphy était mon actrice préférée. Au-delà de sa pure beauté, et de sa cinégénie évidente, il y avait chez elle quelque chose qui relevait de l’étrangeté absolue, de la folie douce, quelque chose d’à la fois très séduisant et d’un peu inquiétant : ses grands yeux, presque globuleux et hyper-expressifs, souvent lourdement cernés, sa bouche pulpeuse, prédisposée aux moues en tous genres, ses sourcils, sur lesquels elle semblait avoir un contrôle absolu, et encore sa voix, sensuelle, rauque, presque vulgaire sur les bords – tout ceci la prédisposant à incarner aussi bien que les dingues que les femmes fatales, à exceller autant dans la pure comédie que dans le drame.

Comme sous l’effet d’un charme étrange, j’ai commencé à collectionner, de façon compulsive, tous les clichés de Brittany Murphy que je trouvais sur internet : et c’était une époque où, sa  jeune carrière semblant en plein essor, les photos florissaient abondamment. J’ai même été jusqu’à créer un blog, sur la défunte plate-forme Irc-Blog, où je publiais ces photos, agrémentées de légendes plutôt décalées, le tout se présentant (à la manière des bien-connus détournements, également appelés captions sur le web anglophone) sous la forme d’un faux journal intime faisant la satire d’Hollywood, qui présentait la jeune actrice comme une charmante écervelée, débordant de bonne volonté et désireuse de casser les idées reçues à propos des blondes (son retour, courant 2005, à une chevelure brune, sa couleur naturelle, me permit d'incorporer de nouveaux rebondissements), finalement assez conforme au personnage qu’elle présenta, tout au long de sa carrière, lors des interviews, conférences de presses et divers évènements auxquels elle participa. Ce blog, assez confidentiel bien qu’à l’occasion visité par des individus imperméables à tout second degré qui croyaient qu’il s’agissait réellement de l’authentique journal d’une starlette et laissaient des commentaires absurdement dragueurs, ne survécut pas à la disparition de la plate-forme qui l’hébergeait, je n’eus pas le courage ni le temps d’en recommencer un ailleurs, et les photos de Brittany restèrent seules dans les tréfonds de mon ordinateur. Mais il n’y avait pas que ces photos. Il y avait mademoiselle Murphy elle-même.

La feinte dite des "yeux blancs", imparable à Hollywood.
J’ai suivi sa carrière avec davantage d’attention que celle d’aucun autre comédien avant elle. Long chemin de croix. Car oui, le fait est dur, brutal même, cruel enfin : Brittany Murphy a raté sa carrière. La faute à pas de chance, à la poisse, au destin, à ce qu’on veut : en trouvant peu de rôles à la hauteur de son talent, en ne tournant que dans une minuscule poignée de films destinés à traverser les époques (et dans lesquels elle en était souvent réduite à jouer les utilités), elle est patiemment, méthodiquement, même, passée à côté de sa carrière. Le plus grand réalisateur avec lequel elle ait collaboré est George Miller (auquel on doit, entre autres, la série des Babe et celle des Mad Max), mais c’était pour Happy Feet, un film d’animation dans lequel elle se cantonne au doublage d’un manchot empereur – on a vu meilleur passeport pour la gloire. Elle a certes donné la réplique à des comédiens de l’envergure de Christopher Walken, Reese Witherspoon, Angelina Jolie ou Benicio Del Toro, mais ce fut toujours pour se retrouver en retrait, loin du haut de l’affiche, et dans des films qui sont loin de compter parmi les plus hauts faits des carrières des intéressés.

En 2001, suite à une audition entrée dans la légende (à défaut de l’histoire), elle avait signé pour incarner Janis Joplin dans un biopic, genre par définition synonyme de voie royale pour les Oscars et autres Golden Globes, mais le projet capota, les droits musicaux se révélant impossibles à obtenir. La même année, sa prestation majuscule dans le thriller Pas un mot aurait pu (dû ?) lui valoir les honneurs de nominations glorieuses, mais le film, sorti juste après les attentats du 11 septembre, passa totalement inaperçu dans une Amérique qui n’avait pas le cœur au cinéma. Avec un rôle important dans 8 Mile, et une intense campagne de promotion qui lui valut de faire, en sous-vêtements, la couverture de l’ensemble de la presse masculine, sa carrière parut enfin se lancer, mais des choix discutables (entre romcoms et potacheries) annihilèrent ce qui semblait pourtant une belle percée.

Le succès, en 2005, de Sin City aurait pu la remettre sur de bons rails, mais elle n’y tenait qu’un rôle ultra secondaire, et malgré sa lumineuse montée des marches à Cannes, sa prestation passa à peu près inaperçue. La suite de sa carrière est triste à pleurer : quelques comédies plus ou moins réussies, quelques films à vocation vaguement auteurisante tous à peu près ratés, des premiers rôles dans des longs-métrages devenus tellement confidentiels qu’en plus de ne pas être distribués en France, ils se contentaient, de plus en plus souvent, de sortir directement en DVD aux Etats-Unis, le tout sur fond de rumeurs inquiétantes sur sa maigreur toujours croissante et de photos véritablement tragiques sur les ratés de ses opérations de chirurgie esthétique. De temps en temps, son nom refaisait surface, associé aux rumeurs de casting de telle ou telle grosse machine hollywoodienne (on parla des Expendables de Stallone, d’un des Batman de Christopher Nolan), et à chaque fois, le rôle lui échappait, quand il n’était pas tout bonnement supprimé du scénario.

Sous influence nippone.
Tout ce petit manège se poursuivit jusqu’en décembre 2009, où la nouvelle tomba, inattendue mais si terriblement prévisible : Brittany Murphy était morte, à l’âge de trente-deux ans, dans des conditions sur lesquelles j’aurai l’occasion de revenir. Et c’est ainsi que l’actrice américaine la plus talentueuse de sa génération (j’insiste) disparut, sans avoir eu le quart de la carrière que ses qualités méritaient ni avoir eu de réelle occasion de démontrer sa valeur dans un rôle à sa mesure, se contentant de bout en bout d’un statut de starlette de seconde zone, généralement considérée avec bienveillance (car les vidéos de ses interviews montrent une jeune femme délurée, souvent drôle, toujours ravissante : le stéréotype de la bonne cliente) mais avec la pointe de mépris que l’on réserve à celles et ceux qui ont, finalement, raté leur vie, et qui, dès lors, ne représentant plus aucune menace pour qui que ce soit.

A la mort de Brittany, j’ai affiché au mur de ma chambre une photographie d’elle, en noir et blanc, l’air mutin. Ce n’est pas la photo qui avait conquis mon cœur sept ans plus tôt, mais un cliché issu d’un shooting professionnel (car Brittany Murphy a également beaucoup inspiré les photographes, et là est peut-être son œuvre la plus complète, la plus aboutie), un cliché mystérieux, dans lequel son regard contient à la fois un avertissement, une invitation et une mélancolie absolue. Ce n’est pas la photographie d’une vamp, ni d’une muse, encore moins d’une star. C’est celui d’une jeune femme blonde en train de rater sa carrière, de gâcher sa vie, qui fixe l’objectif avec autant de timidité que de j’m’en-foutisme, une jeune femme qui avait averti, très tôt, que rien ne compterait, que tout serait pour de faux (« comment voulez-vous que je prenne Hollywood au sérieux, avait-elle mis en garde, alors que je ne me prends pas moi-même au sérieux ? »), une jeune femme un temps prometteuse et que la vie, impitoyable comme toujours, a fini par broyer, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques films dispensables et quelques photos poignantes, une jeune femme, qui, déjà, donne rendez-vous par-delà la mort, comme si elle savait qu’il serait impossible de la suivre dans sa descente aux enfers, et qu’elle s’en excusait.

Au mur de ma chambre.

L’histoire de Brittany Murphy est une histoire comme il en existe des tonnes, une histoire qui finit mal sans jamais avoir paru daigner vraiment commencer, c’est l’histoire d’un ratage à l’ombre du star-system, l’histoire d’une fille qui avait tout pour être Marilyn et qui finalement n’aura eu de Marilyn que la mort et la blondeur factice, l’histoire d’une actrice morte depuis cinq ans à peine et déjà oubliée. C’est l’histoire de mon actrice préférée, et de la plus belle fille du monde.



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