jeudi 8 janvier 2015

7 Janvier 2015

                                             

Quelle journée. Quelle journée.


Après une nuit déjà fort mouvementée, je pensais que le moment fort de ce mercredi résiderait dans ma visite à une librairie du XIIIème arrondissement, vers onze heures et demie, ce matin, pour y faire l'acquisition du dernier ouvrage de Michel Houellebecq, Soumission, qui faisait tant parler depuis quelques jours (sans que personne ne l'ait pourtant lu, la sortie nationale n'ayant eu lieu qu'ajourd'hui) en raison de son pitch a priori provocateur : en 2022, l'élection présidentielle française verrait la victoire de Mohammed Ben Abbes, candidat musulman, face à Marine Le Pen. Comme tout le monde, j'ignorais qu'au même moment, à quelques kilomètres de là, dans le onzième arrondissement, se déroulait une tuerie sans précédent : dans les locaux de l'hebdomadaire satirique Charlie Hebdo, des hommes armés pénétraient et assassinaient, froidement, les principaux membres de la rédaction, dont les dessinateurs Charb, Wolinski et Cabu, ainsi que plusieurs policiers, avant de prendre la fuite.

Ma journée a donc été marquée du double sceau du dernier Houellebecq, que les évènements ne m'ont pas empêché de finir, et de l'actualisation frénétique du live du site du journal Le Monde, pour y suivre minute après minute le déroulé des opérations, pour y apprendre, cadavre après cadavre, les décès de ces dessinateurs qui faisaient presque partie de notre famille, à nous qui vivons dans ce pays, qui en lisons la presse, qui sommes habitués à leurs caricatures.

Il n'est pas question de re-raconter ce qui s'est passé aujourd'hui, tout le monde ne le sait que trop, les plaies sont vives. Du Houellebecq non plus, je n'ai pas trop envie de parler, compte tenu de l'infamie qui s'est déroulé dans Paris cet après-midi. Je l'ai quand même lu, et je n'en dirai rien de plus que ces mots : c'est un bon roman, excellent, même, dans toute sa première moitié, et nettement plus inégal (bancal ?) ensuite, et qui ne justifie en rien le scandale qui a précédé sa sortie. Si je le mentionne, c'est juste pour souligner le télescopage malheureux de la date de sa sortie avec celle de l'horreur de Charlie Hebdo, et pour rappeler que face à la terreur et à ceux qui veulent l'imposer, je ne cèderai jamais : j'avais décidé de lire ce livre dans la journée, je l'ai fait, ce qui ne m'a pas empêché d'être bouleversé comme jamais par les meurtres ignobles perpétrés par de modernes barbares du côté de Richard-Lenoir. Ce sera tout. On pourra juste sourire avec lassitude (et ce sera bien la seule fois de la journée) en imaginant ce qu'un Zemmour pas viré d'i-Télé aurait pu dire à propos de ce livre, invité à débattre avec Domenach quelques minutes après l'attaque : "ce qui est très intéressant, c'est que les récents évènements nous montrent que même Houellebecq, que l'on croyait incorruptible, a basculé dans la représentation fantasmée d'un angélisme bien pensant en nous peignant un califat bisounours là où la lutte a déjà commencé blablabla blablabla".

Sur Charlie Hebdo, maintenant. Ce qui s'est passé aujourd'hui ne sera jamais oublié, et jamais pardonné. Pour paraphraser le discours du Bourget de l'actuel Président : à ceux qui ont pu croire qu'ils pourraient impunément faire régner la terreur, nous vous le disons, la République vous rattrapera. Jusque dans les chiottes s'il le faut, aurait aujouté un autre chef d'état en exercice.

Les coupables seront capturés et jugés, avec la plus extrême sévérité. Car à travers Charlie Hebdo (déjà menacé par le passé pour avoir publié des caricatures représentant le prophète Mahomet), c'est l'inaliénable droit à l'humour et à la dérision, c'est la liberté de la presse qu'on attaque, c'est la liberté d'expression, c'est la République. Nous ne nous laisserons pas faire par ceux qui s'en prennent à ce que nous avons de plus cher, nous ne cèderons pas, nous ne leur donnerons pas raison. Dans la dignité, nous nous relèverons, avec des plaies douloureuses et le sentiment d'avoir perdu quelque chose que rien ni personne ne nous rendra jamais. Ce quelque chose, c'est évidemment le talent des dessinateurs et rédacteurs de l'hebdomadaire satirique. C'est aussi leur présence, qui manquera en premier lieu à leurs familles, à leurs proches. C'est enfin notre innocence.

J'étais trop jeune pour avoir connu les attentats de Saint-Michel. J'ai vu le 11 septembre, mais c'était à New York. Le 11 mars 2004, pareil, c'était Madrid, ça restait loin. Aujourd'hui, c'est Paris, c'est chez nous. Et quand ils frappent chez nous, on a la Rage. Je n'ai pas participé aux rassemblements place de la République ce soir, car, trop conscient que seul le poison de la haine coulait dans mes veines, j'aurais pu y tenir des propos que j'aurais ensuite regrettés - appel au meurtre, à la loi du talion, l'émotion et l'euphorie de la foule peut nous permettre beaucoup de choses. J'ai préféré me calmer tranquillement.

Quelques heures plus tard, que dire ? A part présenter mes condoléances à tous ceux qui ont connu et aimé les victimes de la tragédie. A part condamner fermement les auteurs de ce qui n'est même plus un attentat, mais un assassinat en bonne et dûe forme, car ce n'est pas une bombe aveugle qui a frappé la foule, mais des coups de fusils prémédités, balle après balle, destinés à honorer un contrat signé depuis longtemps sur la tête de la bande à Charlie. A part attendre que la police, puis la justice, fassent leur travail. 

Nous avons été frappés durement, au coeur. Loin de tout nationalisme imbécile, rappelons-nous les paroles du chant révolutionnaire dont nous avons fait notre hymne. Entendez-vous, dans nos campagnes, mugir ces féroces soldats qui viennent jusque dans nos bras égorger nos fils et nos compagnes ? La République les rattrapera.

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