Cinq ans et demi après sa mort, la plupart des films dans
lesquels a joué Brittany Murphy ont déjà (et ce de façon plus ou moins méritée)
disparu dans les limbes de l’oubli. Dans une filmographie qui voit
essentiellement alterner le navet (Pour
le meilleur et pour le rire, Ecarts
de conduite) et le nanar (The
Prophecy II, Fugue), il y a
malgré tout quelques films à sauver. Ainsi, à défaut d’avoir marqué l’histoire
du cinéma, la comédie Uptown Girls dont elle tient la vedette n’est pas complètement indigne. Le drame
choral The Dead Girl non plus.
Quand on la retrouve
dans des productions de meilleure facture, c’est souvent dans des rôles très secondaires. Ainsi, si le road-movie trash Freeway
vaut le détour, on n’y aperçoit Brittany Murphy que durant deux petites scènes
(elle joue une détenue lesbienne et héroïnomane). De la même façon, dans Sin City (film acclamé par la critique
s’il en est), son personnage émouvant de serveuse au cœur d’artichaut n’est pas
vraiment développé par le scénario, et ce sont Mickey Rourke, Bruce Willis,
Rosario Dawson, Clive Owen ou encore Jessica Alba qui se taillent la part du
lion. Même chose avec Une vie volée,
où Brittany Murphy s’efface derrière Winona Ryder et Angelina Jolie, pas aidée,
de surcroît, par le suicide de son personnage au milieu du film. Enfin, dans Happy Feet, son plus gros succès public,
son visage n’apparaît pas une seconde : il s’agit d’un film d’animation
dont les personnages sont des manchots chanteurs, et Brittany, tout comme ses
partenaires (Robin Williams, Elijah Wood ou Nicole Kidman), se cantonne au
doublage.
Dès lors, ne restent qu’une poignée de rôles suffisamment
développés pour tenter de dresser un portrait de l’actrice. J’en ai choisi
cinq, qui montrent, chacun à leur façon, cinq facettes différentes du jeu de
Brittany Murphy. Les voici présentés par ordre chronologique.
Clueless (1995,
Amy Heckerling)
Avec son esthétique années 90 devenue très rapidement mortellement
ringarde, il n’est pas évident pour quiconque ne l’a jamais vu de se dire que
ce film fut en son temps un véritable objet de culte (encore aujourd’hui adoré
par une génération entière d’adolescentes devenues trentenaires). Reprenant
vaguement l’argument d’un roman de Jane Austen (Emma) et l’adaptant façon teen-movie,
Clueless raconte le quotidien d’une richissime adolescente, Cher, déterminée à améliorer
le quotidien de ses proches, mais qui en oublie parfois son propre bonheur.
L'adolescence est une période douloureuse, on ne le dira jamais assez. |
Toute sa prestation est un numéro de funambule, il s’agit
d’en faire le plus possible sans jamais en faire trop. Grimaces, glissades, maladresse,
gaffes, naïveté, incompréhension, aplomb, contretemps permanent, toute la
panoplie de l’actrice comique y passe, et la maîtrise de celle qui n’a alors
que dix-sept ans est tout simplement bluffante. Véritable trublion au milieu de
partenaires finalement assez sages (ou limités), il faut la voir danser toute
seule à une fête, se casser la figure dans les escaliers ou éclater de rire
pour un rien, le tout en écarquillant en permanence ses grands yeux, à
mi-chemin entre l’émerveillement et la terreur, pour mesurer d’où partait celle
qui ferait ensuite fantasmer toute l’Amérique. Trop brièvement, hélas.
Don’t say a word (2001, Gary Fleder)
Don’t say a word (Pas un mot en VF) est un thriller
psychologique comme il s’en tournait beaucoup à Hollywood à la fin des années
90 et au début des années 2000. Un Michael Douglas sur le retour y incarne un
psychiatre de génie dont la fille est subitement enlevée par une bande de
malfrats. Ceux-ci la relâcheront seulement si Douglas parvient à obtenir une
information de la part d’une de ses patientes, la jeune Elizabeth.
Problème : celle-ci est une frappadingue de première, qui se réfugie dans
le mutisme et n’a pour ainsi dire connu que l’internement depuis la mort de son
père, dix ans auparavant.
Une poupée et une autre poupée. |
Je vais être sincère : si on peut lui reconnaître une certaine efficacité, Don’t say a word n’a à peu près aucune originalité. L’hôpital est miteux à souhait, la gamine kidnappée est rudement futée, le psy vit dans les beaux quartiers avec une femme de vingt ans de moins que lui et le personnage incarné par Sean Bean meurt à la fin. Au milieu de cet océan de clichés, Brittany Murphy incarne Elizabeth, la jeune femme internée pour démence, et c’est l’occasion pour elle de se livrer à l’un de ces numéros qu’Hollywood raffole (les barjots en clinique), à tel point qu’elle ne manqua que d’extrême justesse la nomination à l’Oscar de la meilleure actrice dans un second rôle.
Prête à tout pour faire croire à son personnage, n’hésitant
pas à flirter avec le ridicule, elle tire un profit maximum de ses grands yeux
et de ses gros cernes. La démence de son personnage passe également par ses
mains, en perpétuelle agitation (ce qui est hélas lourdement souligné par une
mise en scène peu inspirée), et sa voix, souvent cassée, perpétuellement agitée
par un souffle incontrôlable. En face d’un Michael Douglas à l’expressivité
tragiquement limitée par un récent lifting, c’est elle qui donne un corps
(malade) au film. Considérablement amincie par rapport à ses débuts au cinéma,
devenue blonde, elle exploite au mieux la folie douce qui habitait déjà tous
ses rôles dans ce personnage de vraie psychopathe. C’est, à vrai dire, la
meilleure raison de revoir le film.
Spun (2002, Jonas
Akerlund)
Dans la lignée de Requiem
for a dream (dont il évite l’aspect pontifiant) et de Trainspotting (duquel il n’a pas emprunté le populisme), Spun est un film méconnu sur l’univers
de la drogue et des drogués. Prenant pour cadre une petite ville du milieu des
Etats-Unis, il s’attache à suivre les pérégrinations d’une bande de junkies.
Première réalisation du Suédois Jonas Akerlund, venu du clip, le film réunit un
casting au label très « indé » : Jason Schwartzman (acteur
fétiche de Wes Anderson), John Leguizamo (vu, entre autres, dans L’Impasse et dans Extravagances) et Mickey Rourke (alors en pleine traversée du désert) en sont les principales têtes d’affiches.
Parmi eux, Brittany Murphy fait figure d’atout charme. La
mue entamée au tournant des années 2000 est à présent terminée, et l’actrice,
dont tout le monde a oublié qu’elle fut un jour brune, a désormais un corps de
rêve. Mais son talent à jouer les filles barrées n’a pas disparu, et dans ce rôle
d’allumeuse sous métamphétamine, son sens du timing et de la répartie fait à
nouveau merveille. Véritable reine de cœur d’une fable macabre et caustique sur
l’univers des camés, elle prend sur elle l’ensemble de la tension érotique.
Davantage que ses tenues (bimbo, voire cagole) ou que la scène de pool-dance
qu’elle offre, ce sont ses mimiques, ses regards, son jeu permanent avec ses
lèvres qui créent le désir chez le spectateur, le tout sans que son talent pour
la comédie pure en soit affecté. Ainsi, qu’elle se dispute avec Mickey Rourke,
qui joue son compagnon, qu’elle pique une crise d’hystérie parce que son chien
est devenu vert ou qu’elle soliloque à côté de Jason Schwartzman qui la conduit
dans la nuit, son investissement total fait mouche à chaque fois.
Le fameux coup du haut multicolore. |
8 Mile (2002,
Curtis Hanson)
Projet construit autour du rappeur Eminem, dont il
s’agissait de marquer les débuts au cinéma, 8
Mile avait tout pour être un navet ultime, dans la lignée des nombreux
films sur et/ou avec des stars de l’industrie musicale réalisés au début des
années 2000 (Glitter avec Mariah
Carey, Crossroads avec Britney
Spears, Réussi ou mourir avec 50
Cent…). Il n’en a rien été. Porté par un scénario qui le tire davantage vers le
film social (le quotidien dans le ghetto de Detroit) que la success story (l’ascension, dans un
monde du hip-hop dominé par les Noirs, d’un prodige blanc du rap), et une
réalisation toute en sobriété de Curtis Hanson (à qui on doit entre autres
l’oscarisé L.A Confidential), 8 Mile échappe à tous les écueils
attendus, pour se révéler, à la surprise générale, l’un des meilleurs films
hollywoodiens des années 2000.
Eminem, plus ou moins dans son propre rôle, réussit
brillamment à transposer sur grand écran l’énergie qu’il déployait dans ses
clips, et le reste du casting est au diapason, de Mekhi Phifer (Urgences) qui incarne son meilleur ami,
à Kim Basinger, dans le rôle de la mère indigne. A leurs côtés, Brittany Murphy
campe Alex, une vamp des banlieues qui va séduire l’apprenti rappeur, le
tromper puis finalement lui redonner l’énergie nécessaire pour croire en lui,
sans cependant que le versant amoureux de l’intrigue connaisse une fin
réellement heureuse. Si, avec n’importe quelle autre comédienne, le récit aurait
pu sembler convenu, Brittany Murphy parvient à charger son personnage d’une
aura extrêmement trouble qui offre une réelle valeur ajoutée au film. Si son
regard est une nouvelle fois chargé de cette démence qui est devenu sa marque
de fabrique, ce halo de folie est ici entièrement détourné à des fins
érotiques, et 8 Mile la voit composer
son personnage le plus ouvertement sexuel. C’est bien simple, à chaque fois
qu’elle apparaît à l’écran, elle pue littéralement le sexe, transformant son
rôle de simple pétasse en cas d’école de femme fatale.
L'apogée d'une carrière. |
Love and other disasters (2006, Alek Keshishian)
Love and others
disasters (sorti en France sous le catastrophique titre Love et ses petits désastres) est l’un
des rares films de qualité à avoir été bâti autour de Brittany Murphy. Produit
par un improbable tandem constitué de Luc Besson et David Fincher (ces deux-là
se seraient donc un jour parlé…), réalisé par un Alek Keshishian principalement
connu pour son documentaire In bed with
Madonna, il s’agit d’une comédie romantique pure et dure, prenant pour
cadre Londres, et s’inscrivant sous le haut patronage de Diamant sur canapé et de Coup
de foudre à Notting Hill (les deux films préférés des héros). Brittany Murphy
incarne Emily Jackson, que des scénaristes visiblement sadiques ont absurdement
choisi d’affubler de l’immonde sobriquet « Jacks », une assistante au
sein du prestigieux magazine de mode Vogue,
qui vit en colocation avec un jeune homme homosexuel et fleur bleu.
Brune again. |
Jamais dupe de son personnage de jeune femme futile au grand
cœur, Brittany Murphy fait regretter que davantage de scénarios de ce type ne
lui ait pas été proposés, tant elle se fond avec aisance, elle l’Américaine,
dans le cadre londonien de ces comédies romantiques si à la mode au début des
années 2000. Bien rythmé, bien dialogué, Love
and other disasters lui offre un cadre idéal pour déployer l’ensemble de
ses talents, et montrer qu’elle est capable d’assumer sur ses seules épaules la
légèreté et la séduction indispensables à la réussite de ce type de films.
L'ensemble du dossier consacré à Brittany Murphy est disponible sur cette page. Pour retourner à l'article précédent (Le Biopic qui fout la honte), cliquez ici, pour vous rendre sur le suivant (Harley Quinn ou le chef d'oeuvre inexistant), cliquez là.
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