Comme l'année dernière, un petit retour sur l'année passée en quelques affiches correspondant à des temps forts du grand cinéma médiatico-politique hexagonal.
10 : Sur la pointe des pieds
Très attendu, Sur la pointe des pieds a décontenancé les fans de son interprète principal. Loin des rôles de winners forts en gueule qu'il a incarné par le passé, Nicolas Sarkozy se retrouve cette fois-ci dans la peau d'un personnage beaucoup plus pathétique, jouet d'un destin farceur qui le fait passer par tous les tourments et aide à révéler à la face du monde toute l'étendue de sa petitesse. De la même façon, ce qui s'annonçait un blockbuster tonitruand s'avère finalement plus caustique et plus décadent que ce que l'on aurait pu imaginer. Aux côtés d'un Sarkozy virevoltant d'opportunisme, de morgue et de mauvaise foi, l'ensemble de la distribution est au diapason, dans ce qui constitue assurément le film le plus vulgaire de l'année.
9 : Arnaud et Aurélie
"Et vous, jusqu'où irez-vous par amour ?" Telle est la question mainte fois posée par les deux héros de cette belle surprise. Sorte de Bonnie and Clyde bourgeois, lettré et engagé mais aussi très ironiquement statique, ce film n'est pas avare en séquences comiques (voir la scène où Arnaud Montebourg fait son entrée au Conseil de Surveillance du groupe Habitat, grand moment d'improvisation) mais réussit toujours à tirer une petite larme émouvante à son spectateur. Aurélie Filipetti, solaire et inaccessible, est une vraie révélation.
8 : The J.K. Ruling
Après les succès, ces dernières années, de The J.K. gate, de The J.K. scandal, de The J.K. rises et de The J.K. undies, on aurait pu imaginer que le filon finirait par se tarir. C'était sous-estimer l'ingéniosité de la production, qui nous envoie, avec ce The J.K. ruling, encore une livraison de qualité. Pour la cinquième fois, Jérôme Kerviel endosse ce rôle de trader changé par les épreuves de la vie, et toujours épaulé par son excellent camarade David Koubbi (l'un des meilleurs seconds rôles actuels) ainsi qu'un casting toujours plus inventif : une apparition du Pape François, quelques extraits avec Christine Lagarde... Satire du monde de la finance, de la justice et du pouvoir menée tambour battant, The J.K. ruling réussit à tirer son épingle du jeu par sa parfaite maîtrise des codes liés au genre et à l'inventivité de son scénario. Chapeau.
7 : I Will Survive
S'inscrivant dans la lignée des grandes thématiques propres au cinéma de Brian De Palma (quête de l'image manquante, film Zapruder, matrice hitchcockienne, banalité du mal, lutte pour le pouvoir), cet hommage déguisé en thriller en milieu sportif est haletant de bout en bout. Le prétexte, une prétendue vidéo érotique que tout le monde cherchera sans jamais la voir, est vite évacué au profit d'un suspense de tous les instants. Le casting, plein de surprises, a été merveilleusement orchestré, et tout, jusqu'à la plus petite ligne de dialogue (les scènes de garde à vue de Karim Benzema, du Audiard revu sauce Jamel), retient l'attention. I Will Survive, bien qu'un peu tard, vient enfin donner ses lettres de noblesse au film sportif français.
6 : The Troll Machine
Après avoir créé la surprise l'année dernière dans une comédie familiale corrosive (Gencive World), Jean-Marie Le Pen revient dans le genre qui a fait sa gloire : le brûlot comico-nihiliste. Dans The Troll Machine, ce glorieux vétéran de la pantalonnade franchouillarde endosse une nouvelle fois ses habits fétiche d'homme seul contre tous, de croisé, trahi de tous côtés y compris par sa propre famille, mais plein de panache et tellement haineux que rien ne semble vraiment le toucher. L'acteur s'en donne à coeur joie, que ce soit dans les dialogues (absolument odieux, et qu'il aurait écrits lui-même) ou dans la pantomime (son salut face à la foule, le 1er mai, est un moment que n'aurait pas renié Blake Edwards), et en vient presque à éclipser ses partenaires dans les rares scènes où il condescend à les faire apparaître. One-man-show vitupérant, affreux, sale et méchant, The Troll Machine est aussi une oeuvre à la débauche d'énergie telle qu'on en sort littéralement épuisé. Une expérience esthétique aux confins de la gauloiserie.
5 : Ne pleure pas, Jeannette
On attendait avec une certaine crainte les premiers films de l'après-Charlie. Allait-on avoir droit l'émergence d'une vague réactionnaire et belliqueuse, ou au contraire à quelque chose de plus fin, de plus torturé ? Ne pleure pas, Jeannette prend l'heureux parti de se situer, délibérément, du côté de l'intime. Avec la rocambolesque histoire de veuvage de son héroïne, ce sont les non-dits d'une famille, et par-là de la société française toute entière que le film interroge, en plus de réaliser un splendide portrait de femme. Magnifiée comme jamais, Jeannette Bougrab offre une partition vibrante dans ce rôle de belle inconsolable, telle une Juliette survivante et persécutée par les Montaigu. En dépit du titre, on pleure beaucoup.
4 : Plus blanc que blanc
On n'a jamais vraiment su faire des films de gangsters, en France, ni de film de mafia, d'ailleurs (à part Melville). Il semblerait que les choses soient en train de changer avec Plus blanc que blanc, qui raconte la succession d'une génération à une autre à la tête d'un important gang français. Nouvelle époque, nouvelles méthodes, les anciens sont dépassés quand les jeunes volent de succès en succès. Après s'être illustrés dans des productions jusqu'ici plus marginales (ou moins ambitieuses), Marine Le Pen et Florian Philippot font leurs débuts de vedettes dans ce film de prestige, et marquent durablement les esprits. A la fois séduisants et inquiétants, épatants de cynisme et de duplicité, ils forment un couple mémorable qui ensorcelle littéralement le spectateur pour le rendre finalement complice des pires horreurs. Un vrai grand film, qui interroge durablement notre moralité.
3 : Comment je me suis retrouvé du mauvais côté du trou de balle...
Encore un film qui ne payait pas de mine, et qui aura passionné des millions de spectateurs à travers toute la France. Michel Platini, ex-jeune premier abonné aux rôles physiques dans les années 80, fait ici son grand retour dans la peau d'un politicien aux portes du pouvoir (on pense parfois à Dominique Strauss-Kahn) qui se trouve embarqué dans une lutte avec son ancien mentor (on pense parfois au Retour du Jedi) avant finalement de tout perdre : son travail, sa carrière, son honneur et sa réputation. On craint parfois que la surenchère à laquelle se livre les scénaristes n'ait raison de notre patience, mais c'est sous-estimer la finesse avec laquelle a été pensé Comment je me suis retrouvé..., qui ne déçoit jamais, et offre certains prolongements littéralement jubilatoires à ce qui aurait pu n'être qu'une banale histoire de descente aux enfers d'un ex-puissant.
2 : Imblairable
Encore une histoire de mec misanthrope et érudit qui vit dans la détestation du monde qui l'entoure ? Hé oui, encore une. Mais celle-ci, pour une fois férocement en prise avec notre époque, réussit deux petits exploits : premièrement, elle parvient à maintenit un débat d'une rare bonne tenue (et d'une relative haute volée, on n'avait plus lu ça depuis Lincoln) et deuxièmement, l'originalité du personnage (un type qui a raison mais se comporte comme s'il avait tort) génialement interprété par celui que Houellebecq qualifiait d'"indigent graphomane" en l'imaginant interpréter un Diogène dans La Possibilité d'une île, et sur lequel le film repose beaucoup. Evitant l'écueil du film bavard qui semblait lui tendre les bras (il y a ce que disent les personnages, certes fort diserts, et ce qu'ils font, souvent différent et toujours plus brutal), se terminant en beauté (le gag du mug !), et ne rechignant pas à s'inscrire de plein pied dans notre histoire contemporaine, Imblairable s'impose comme l'un des meilleurs divertissements satirico-existentiels depuis les premiers Desplechin - ou comme si Tarkovski rencontrait Poelvoorde. C'est beaucoup.
1 : Le Patron
Sorte de réponse française au Discours d'un roi britannique et multi-oscarisé sorti il y a quelques années, Le Patron est une fresque noire et tragique, mais aussi sèche, et drôle, sur les coulisses du pouvoir, et sur la façon dont un homme ordinaire, normal, endosse finalement les habits de sauveur de la nation pour devenir un véritable chef de guerre. Dans un rôle à la Tom Hanks, François Hollande, jusqu'à présent plus connu pour ses talents comiques (toujours présents, cependant, comme dans la scène du guano) domine de la tête et des épaules une distribution prestigieuse. Qu'il s'agisse de l'impressionnante adresse à un Parlement littéralement hypnotisé, des réunions de crise en pleine nuit avec Manuel Valls (formidable lui aussi, dans un rôle type "l'homme le plus sérieux du monde"), Bernard Cazeneuve et Christiane Taubira ou de cette tendre accolade avec Angela Merkel, on est constamment dans l'édification d'une Histoire, comme si chaque plan correspondait à un alinéa d'éternité et qu'il s'agissait de figer la geste de ces hommes et ces femmes rompus à l'exercice de l'Etat, ici saisis dans toute la dimension crisique de leur quotidien. Un chef d'oeuvre.
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