La photo sans laquelle jamais je n'aurais jamais écrit cet article. |
Tout a commencé début 2003, au détour d’une photo aperçue
dans un magazine dont j’ai depuis longtemps oublié quel il était
(Première ? Studio ? Télérama ? TéléObsCinéma ?). Sur cette
photo, le portrait d’une jeune femme, blonde aux yeux noisette, dont le visage
allait me poursuivre toute ma vie. Cette jeune femme s’appelait Brittany
Murphy, elle était américaine, comédienne – le cliché faisait partie des photos
promotionnelles du film 8 Mile,
vrai-faux biopic consacré au rappeur Eminem, qui, sans que j’ai alors jamais
entendu une seule de ses chansons, éveillait mon intérêt, pour une raison que
je ne parviens pas bien à expliquer.
Je reviens à la photo. Jamais sans doute (et plus jamais par
la suite), une photo n’avait réussi à me marquer de la sorte. Ce qu’elle a de
si particulier est difficilement explicable : la simple beauté de la jeune
femme n’est pas une raison suffisante pour justifier ma fascination – on voit
tous les jours des centaines de photos d’actrices, de chanteuses, de
mannequins, toutes aussi belles les unes que les autres. Le cliché, en
lui-même, n’a rien de particulier : aucun cadrage exceptionnel, aucune
composition qui le ferait sortir de la masse. J’imagine que ce qui s’est emparé
de moi à cet instant est de l’ordre du coup de foudre – coup de foudre pour un
portrait, pour une photo, comme dans les pires romans de la fin du XIXème
siècle. Dès lors, et quand même bien je ne l’avais encore vue jouer dans aucun
film, ma réponse aux questions « quelle
est ton actrice préférée ? » ou « qui est la plus belle femme du monde ? », a
invariablement été « Brittany Murphy ».
Un an plus tard, j’ai vu 8
Mile. Puis Sin City. Puis Love et ses petits désastres, puis
encore The Dead Girl, et j’ai alors
pu l’affirmer en me fondant sur une connaissance précise de l’étendue de ses
talents : oui, Brittany Murphy était mon actrice préférée. Au-delà de sa
pure beauté, et de sa cinégénie évidente, il y avait chez elle quelque chose
qui relevait de l’étrangeté absolue, de la folie douce, quelque chose d’à la
fois très séduisant et d’un peu inquiétant : ses grands yeux, presque
globuleux et hyper-expressifs, souvent lourdement cernés, sa bouche pulpeuse,
prédisposée aux moues en tous genres, ses sourcils, sur lesquels elle semblait
avoir un contrôle absolu, et encore sa voix, sensuelle, rauque, presque
vulgaire sur les bords – tout ceci la prédisposant à incarner aussi bien
que les dingues que les femmes fatales, à exceller autant dans la pure comédie
que dans le drame.
Comme sous l’effet d’un charme étrange, j’ai commencé à
collectionner, de façon compulsive, tous les clichés de Brittany Murphy que je
trouvais sur internet : et c’était une époque où, sa jeune carrière semblant en plein essor, les
photos florissaient abondamment. J’ai même été jusqu’à créer un blog, sur la
défunte plate-forme Irc-Blog, où je publiais ces photos, agrémentées de
légendes plutôt décalées, le tout se présentant (à la manière des bien-connus
détournements, également appelés captions
sur le web anglophone) sous la forme d’un faux journal intime faisant la
satire d’Hollywood, qui présentait la jeune actrice comme une charmante
écervelée, débordant de bonne volonté et désireuse de casser les idées reçues à
propos des blondes (son retour, courant 2005, à une chevelure brune, sa couleur
naturelle, me permit d'incorporer de nouveaux rebondissements), finalement assez conforme au
personnage qu’elle présenta, tout au long de sa carrière, lors des interviews,
conférences de presses et divers évènements auxquels elle participa. Ce blog,
assez confidentiel bien qu’à l’occasion visité par des individus imperméables à
tout second degré qui croyaient qu’il s’agissait réellement de l’authentique
journal d’une starlette et laissaient des commentaires absurdement dragueurs, ne
survécut pas à la disparition de la plate-forme qui l’hébergeait, je n’eus pas
le courage ni le temps d’en recommencer un ailleurs, et les photos de Brittany
restèrent seules dans les tréfonds de mon ordinateur. Mais il n’y avait pas que
ces photos. Il y avait mademoiselle Murphy elle-même.
La feinte dite des "yeux blancs", imparable à Hollywood. |
En 2001, suite à une audition entrée dans la légende (à
défaut de l’histoire), elle avait signé pour incarner Janis Joplin dans un
biopic, genre par définition synonyme de voie royale pour les Oscars et autres
Golden Globes, mais le projet capota, les droits musicaux se révélant
impossibles à obtenir. La même année, sa prestation majuscule dans le thriller Pas un mot aurait pu (dû ?) lui
valoir les honneurs de nominations glorieuses, mais le film, sorti juste après
les attentats du 11 septembre, passa totalement inaperçu dans une Amérique qui
n’avait pas le cœur au cinéma. Avec un rôle important dans 8 Mile, et une intense campagne de promotion qui lui valut de
faire, en sous-vêtements, la couverture de l’ensemble de la presse masculine,
sa carrière parut enfin se lancer, mais des choix discutables (entre romcoms et
potacheries) annihilèrent ce qui semblait pourtant une belle percée.
Le succès, en 2005, de Sin
City aurait pu la remettre sur de bons rails, mais elle n’y tenait qu’un
rôle ultra secondaire, et malgré sa lumineuse montée des marches à Cannes, sa
prestation passa à peu près inaperçue. La suite de sa carrière est triste à
pleurer : quelques comédies plus ou moins réussies, quelques films à
vocation vaguement auteurisante tous à peu près ratés, des premiers rôles dans
des longs-métrages devenus tellement confidentiels qu’en plus de ne pas être
distribués en France, ils se contentaient, de plus en plus souvent, de sortir
directement en DVD aux Etats-Unis, le tout sur fond de rumeurs inquiétantes sur
sa maigreur toujours croissante et de photos véritablement tragiques sur les
ratés de ses opérations de chirurgie esthétique. De temps en temps, son nom
refaisait surface, associé aux rumeurs de casting de telle ou telle grosse
machine hollywoodienne (on parla des Expendables
de Stallone, d’un des Batman de
Christopher Nolan), et à chaque fois, le rôle lui échappait, quand il n’était
pas tout bonnement supprimé du scénario.
Sous influence nippone. |
A la mort de Brittany, j’ai affiché au mur de ma chambre une
photographie d’elle, en noir et blanc, l’air mutin. Ce n’est pas la photo qui
avait conquis mon cœur sept ans plus tôt, mais un cliché issu d’un shooting
professionnel (car Brittany Murphy a également beaucoup inspiré les
photographes, et là est peut-être son œuvre la plus complète, la plus aboutie),
un cliché mystérieux, dans lequel son regard contient à la fois un
avertissement, une invitation et une mélancolie absolue. Ce n’est pas la
photographie d’une vamp, ni d’une muse, encore moins d’une star. C’est celui
d’une jeune femme blonde en train de rater sa carrière, de gâcher sa vie, qui
fixe l’objectif avec autant de timidité que de j’m’en-foutisme, une jeune femme
qui avait averti, très tôt, que rien ne compterait, que tout serait pour de
faux (« comment voulez-vous que je
prenne Hollywood au sérieux, avait-elle mis en garde, alors que je ne me prends pas moi-même au sérieux ? »),
une jeune femme un temps prometteuse et que la vie, impitoyable comme toujours,
a fini par broyer, et dont il ne reste aujourd’hui que quelques films
dispensables et quelques photos poignantes, une jeune femme, qui, déjà, donne
rendez-vous par-delà la mort, comme si elle savait qu’il serait impossible de
la suivre dans sa descente aux enfers, et qu’elle s’en excusait.
Au mur de ma chambre. |
L’histoire de Brittany Murphy est une histoire comme il en
existe des tonnes, une histoire qui finit mal sans jamais avoir paru daigner
vraiment commencer, c’est l’histoire d’un ratage à l’ombre du star-system, l’histoire
d’une fille qui avait tout pour être Marilyn et qui finalement n’aura eu de
Marilyn que la mort et la blondeur factice, l’histoire d’une actrice morte
depuis cinq ans à peine et déjà oubliée. C’est l’histoire de mon actrice
préférée, et de la plus belle fille du monde.
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