Cersei Lannister, la plus charismatique, la plus belle, la plus méchante, la plus amoureuse, la plus reine, la plus tout. |
Quatre
ans déjà ont passé depuis que la première saison de Game of Thrones a achevé de
ringardiser la pathétique adaptation ciné du Seigneur des Anneaux et montré au monde entier
que la transposition à l’écran d’un univers de fantasy pouvait se faire sans
héroïsme pompier, sans manichéisme imbécile ni omniprésence des effets
spéciaux. Alors que les quatre premières saisons ont continuellement battu des
records d’audiences tout en s’attirant les louanges de la critique, la
cinquième, dont la diffusion vient de prendre fin, a été globalement considérée
comme décevante. Pourtant, jamais le show vedette de la chaîne HBO ne s’était montré si
ambitieux que cette année – et jamais il n’avait été si cohérent avec ce qui
avait fait sa renommée.
Adapté
du cycle de romans (toujours inachevé) de George R. R. Martin, l’univers de Game
of Thrones est celui d’un continent imaginaire, Westeros, à une époque qui
ressemble, de façon assez fidèle à notre Moyen-Âge (armure, chevaux,
mariages arrangés, famines…) tout en y incorporant divers éléments de fantastique
(magie, voyance, dragons…). Ce qui a fait le succès des livres de Martin, c’est
d’abord l’idée inspirée de mettre en avant les luttes de pouvoir qui agitent
Westeros, entre les différentes familles influentes (le continent est ainsi
surnommé "les Sept Couronnes" d'après les sept provinces qui le composent : le Nord, le Val d'Arryn, le Conflans, les Terres de l'Orage, les Terres de l'Ouest, le Bief et la principauté de Dorne, respectivement dirigés, au départ de la saga, par les familles Stark, Arryn, Tully, Barathéon, Lannister, Tyrell et Martell). C’est ensuite la grande parcimonie avec
laquelle il a utilisé le surnaturel : ainsi, les dragons sont présentés
comme éteints depuis plusieurs siècles, et l’éclosion de trois œufs apparaît,
dès lors, comme un petit miracle ; de la même façon, plus personne ne
croit en l’existence, au Nord de Westeros, des créatures moitiés mortes, moitiés
vivantes à cause desquelles une muraille gigantesque, le Mur (protégé par la
Garde de Nuit), a été érigée plusieurs millénaires auparavant. Dans la lignée
de cet univers finalement assez réaliste (la seule différence tangible avec notre Moyen-Âge concerne le cycle des saisons : ainsi, il n'y a ni printemps, ni automne, et hiver comme été peuvent durer plusieurs années), les personnages, pour la plupart
remarquablement bien brossés, ont tous une réelle épaisseur, obéissant à des
motivations parfois complexes, ce qui permet à l’œuvre de s’affranchir de
l’écueil du manichéisme. Enfin, le sadisme de Martin, qui n’hésite pas à tuer
ses héros (nombreux) au moment où le lecteur s’y attend le moins, a été un autre
détonateur de l’engouement assez impressionnant qu’ont généré ses romans depuis
la sortie du premier tome, en 1996, et qui a débouché sur leur adaptation par
la chaîne américaine HBO, depuis 2011, sous forme d’une série télévisée
adoptant le format de dix épisodes de 52 minutes par saison.
L’intrigue
prend donc place sur le continent de Westeros (et s’autorise quelques
incursions sur celui d’Essos, situé de l’autre côté du détroit). Trois cent ans
avant l’action, la famille Targaryen, venue d’Essos, a conquis Westeros grâce à
ses dragons, et son leader, Aegon, s'est forgé avec les épées des rois et seigneurs qu'il avait défait un trône monumental : le Trône de Fer. Cet évènement est appelé la Conquête, et fait figure de point de
départ du calendrier westerien. En 283, alors que les dragons ont disparu
depuis plus d’un siècle, éclate une rébellion. Aerys II dit le Roi Fou, le dernier souverain Targaryen,
est déposé, et Robert Baratheon, grand instigateur du soulèvement, prend place
sur le Trône de Fer. L’action du roman comme celle de la série débutent en 298, alors
que Robert règne depuis quinze ans, et l’élément déclencheur en est la mort de
son chancelier Jon Arryn (si la fonction est bien celle d’un chancelier, le
titre exact, dans l’univers créé par George Martin, est celui de Main du Roi),
puis celle du roi Robert en personne, quelques mois plus tard. Evidemment, ces
deux morts sont suspectes, et ne sont que les premières d’une longue série
d’assassinats et de trahisons. Evidemment encore, va débuter, le jour même de
la mort de Robert Barathéon, une guerre de succession complexe, où les
alliances se feront et se déferont de façon incessante, tandis qu'après un été qui a duré une dizaine d'années se profile l'hiver le plus froid qu'on ait connu depuis des siècles.
Les échiquiers ressemblent à ça, à Westeros, et le dragon est la seule pièce qui peut voler et carboniser toutes les autres. |
Je
ne reviendrai pas en détail sur le contenu des quatre premières saisons, tant
les rebondissements y sont nombreux (et vraisemblablement déjà connus de
quiconque aura eu la patience de s’aventurer aussi loin dans la lecture de cet
article) et les personnages tellement nombreux qu’il serait impossible de les
lister tous sans faire un inventaire plus rébarbatif que réellement instructif.
Je me bornerai à souligner ce qui a fait le succès de la série télévisée :
outre les éléments déjà présents dans les romans (et déjà mentionnés plus
haut), le soin minutieux apporté aux décors et aux costumes créent un réalisme
remarquable, tandis que la qualité de l’interprétation de la plupart des
acteurs permet de donner une vie réelle aux différents personnages. De plus, le
travail effectué par les scénaristes permet de s’y retrouver très vite, parmi
les myriades de personnages et de lieux présents d’un bout à l’autre de l’intrigue.
Deux
enjeux assez énormes pesaient sur cette cinquième saison. Premièrement, le
devoir, pour les scénaristes David Benioff et D. B. Weiss, de poursuivre leur
récit sans décevoir les millions de fans acquis par la série depuis 2011, c’est-à-dire
d’aller toujours plus loin sans toutefois aller trop loin. Deuxièmement, le
dépassement des romans par la série : en effet, Martin n’a toujours pas
terminé sa saga, et la série se tournant plus vite que lui n’écrit, elle est
arrivée, pour certains des pans de son intrigue, au même point que les livres
dès la fin de la saison 4. Weiss et Benioff ayant prévu ce risque dès le
lancement du show, ils avaient eu, avant de débuter l’aventure, une discussion
avec Martin, et celui-ci leur avait confié, en quelques phrases, comment il
comptait conclure, mais il ne leur avait pas révélé le chemin qu’il envisageait
pour y arriver (vraisemblablement d’une part pour conserver une part de mystère
et d’autre part parce que quiconque a déjà écrit ne serait-ce qu’une ligne sait
qu’entre les plans qu’on dresse avant de se mettre au travail et ce qui sort
finalement de la plume, il y a toujours une marge, qui peut parfois même être
assez importante).
Ce
dépassement des romans par la série a provoqué un bouleversement majeur
vis-à-vis du rapport que le public entretenait avec elle. En effet, si, durant
les premières saisons, les lecteurs de la saga avaient un avantage certain par
rapport à ceux qui en découvraient la trame à l’écran, pouvant prévoir les
différentes péripéties et menacer de révéler la suite de l’histoire, à présent,
c’est au tour de la série de prendre de l’avance sur les livres, et à ses
spectateurs de découvrir, avant les lecteurs, les différents rebondissements.
Certes, comme dit précédemment, le détail des aventures n’est pas forcément
conforme de manière exacte à ce qui surviendra dans les romans, mais les
grandes lignes, elles, sont là. Et la crainte du spoiler (cette révélation
intempestive d’un élément clé de l’intrigue, du style "Bruce Willis était mort depuis le début") a changé de camp. Par conséquent, de nombreux fans du
cycle romanesque ont préféré abandonner le visionnage du show cette saison - d'autres ne s'y sont jamais intéressé, ou n'ont jamais accroché.
Les téléspectateurs qui ne s'attendaient pas à la mort de Jon Snow. |
Sur
le contenu en lui-même de cette cinquième saison, que dire ? Beaucoup. Par
où commencer ? Peut-être par la capitale de Westeros, Port-Réal. Là où
d’autres lieux étaient le théâtre d’enjeux plus basiques (la guerre, la
survie), Port-Réal a toujours été, dans Game of Thrones, le terrain essentiel
des luttes d’influences, de pouvoir. Logiquement, c’est là qu'on a longtemps trouvé la plus importante concentration de personnages centraux. Ainsi, au
début de la quatrième saison, on y retrouvait le roi Joffrey Barathéon, son
jeune frère Tommen, la plupart des membres de la famille Lannister, l’essentiel
de la famille Tyrell, la jeune Sansa Stark ainsi que bon nombre de courtisans
et intriguants (Varys, Pycelle, Qyburn) ou d’hommes de mains et de militaires
(Meryn Trant, Bronn, Brienne de Torth), sans parler des prostitués de tous
sexes (Shae, Olyvar), bouffons (Dontos), écuyers (Podrick Payne) et autres
visiteurs (le prince Oberyn Martell).
La
saison 5 prend le parti de la désertification de Port-Réal. L’infâme roi
Joffrey est mort - son grand-père, le redoutable Tywin Lannister, également. Son
oncle Tyrion est en fuite, tout comme Sansa Stark, son éphémère épouse, ainsi
que Lord Varys. Brienne de Torth est repartie sur les routes de Westeros,
accompagnée de Podrick Payne, tandis qu’Oberyn Martell, Shae et Dontos ont
échoué à survivre à la saison 4, et dès le début de cette nouvelle saison,
Jaime Lannister et Bronn quittent Port-Réal pour accomplir une mission dans la
principauté de Dorne. La lutte de pouvoir se concentre désormais sur
l’affrontement de deux camps, les Lannister et les Tyrell, c’est-à-dire sur
celui de deux femmes : la reine régente Cersei Lannister, mère du roi
Tommen, et la fiancée de ce dernier, Margaery Tyrell. Les deux familles étant
supposées alliées, cet affrontement se limite dans un premier temps aux
coulisses, Cersei comme Margaery tentant d’influencer Tommen, jeune homme au
cœur bon, mais naïf et inexpérimenté. Dans la droite lignée de ses
scènes-chocs, la saison propose même lors de son troisième épisode une séquence
pédophile, avec la nuit de noces de Tommen et Margaery, qui voit une accorte jeune
femme d’environ vingt-cinq ans dépuceler un adolescent à peine pubère (de façon
assez inattendue, la scène n’a pas provoqué un grand émoi parmi les
pourfendeurs de Game of Thrones, d’ordinaire si prompts à dénoncer le moindre écart politiquement incorrect de la série).
Personnage
le plus charismatique de l’intrigue de la capitale, Cersei Lannister est
logiquement au centre des débats. La reine-mère, manipulatrice, alcoolique et
incestueuse (ses trois enfants, Joffrey, Tommen et Myrcella, sont le fruit
d’une relation avec son frère jumeau Jaime, et c’est la rumeur de cette bâtardise qui est à
l’origine de la guerre de succession qui agite Westeros depuis le début de
l’intrigue), se voit dans un premier temps ringardisée par la jeune Margaery, à
laquelle Tommen ne peut résister. Mais très vite, elle organise sa revanche, et
c’est l’occasion, pour la série, de faire intervenir pour la première fois de
façon concrète la religion. On avait bien eu, jusqu’à présent, la présentation
de quelques fanatiques, essentiellement dans le camp de Stannis Barathéon, des
adorateurs du Maître de la Lumière menés d’une main de fer par la grande
prêtresse Mélisandre. On se souvient aussi du regretté Ned Stark se recueillant, au
début de la première saison, devant un barral, ces grands arbres aux feuilles
rouges et au tronc orné d’un visage sculpté. Mais à Port-Réal, rien du tout,
hormis la présence occasionnelle d’un prêtre, en arrière-plan, généralement
pour célébrer un mariage – on en était venu à se demander qui, dans les Sept Couronnes,
pouvait bien croire encore à ces dieux de pacotille.
Le Roi Tommen, très loin d'avoir la carrure. |
La
saison 5 innove donc (se calquant en cela la trame des romans), en nous montrant
l’ascension d’un nouveau groupe de fanatiques, les Moineaux. Ceux-ci ne se
veulent pas les messagers d’une nouvelle croyance, mais les adeptes d’une
application extrêmement rigoriste de la religion polythéiste officielle. Porteurs, pour la
plupart, d’une marque apposée au fer rouge sur leur front, allant nu-pieds, ils
prêchent un mode de vie humble et spartiate, mais intransigeant en matière de
bonnes mœurs, réprimant l’adultère, la prostitution et l’homosexualité, et
n’hésitant pas à user de manières plus que brutales lors de leurs expéditions
punitives. Voyant dans l’émergence de ce nouveau courant l’occasion d’affaiblir
la famille Tyrell, Cersei tente de se rapprocher du leader du mouvement,
l’autoproclamé Grand Moineau (interprété par le toujours excellent Jonathan Pryce) et l’influence pour provoquer l’arrestation de Loras Tyrell, pour
homosexualité, puis par ricochet celle de Margaery, coupable de parjure dans sa
défense de son frère.
C’est
alors qu’on se souvient de l’échange, lors de la deuxième saison, de Cersei et
de son frère Tyrion (elle : « you
know that you’re not half as clever as you think », lui : « that still makes me twice as clever as
you »), et qu’on se dit qu’à trop jouer avec le feu, comme elle le
fait depuis quatre saisons et demi, Cersei va bien finir par se brûler. Et
forcément, ça ne tarde pas : ayant fricoté, autrefois, avec l’un des
Moineaux (avant que celui n’épouse la Foi), elle est rattrapée par son passé, et
à son tour emprisonnée. Pour la première fois, Cersei, cette reine folle et
furieuse qui tenait à la fois d’Agrippine, de Catherine de Médicis et de Lady
Macbeth, ce personnage qu’on adorait haïr sans pouvoir s’empêcher de l’admirer,
se retrouve en situation d’absolue vulnérabilité, jetée dans un cachot, réduite à lécher le sol pour s’abreuver. Son frère et amant Jaime est en mission à
Dorne, son père Tywin n’a pas survécu à la saison 4 et son fils, le roi Tommen,
est trop faible pour intervenir (sa bâtardise lui est brandie à la figure
lorsqu’il tente d’approcher les Moineaux dans une scène glaçante qui met en évidence son innocence, son irénisme et sa mollesse), Cersei est seule, sans
personne pour la tirer d’affaire, et à son affaiblissement succède vite un
déshonneur public : la reine régente est contrainte par le Grand Moineau à
une déambulation nue, cheveux coupés, dans les rues de Port-Réal, pour expier
ses péchés et par là-même les reconnaître, sous la bronca de la foule, dans ce
qui constitue l’une des scènes les plus marquantes de l’épisode final. Cette séquence, monstrueusement longue (sept minutes) réussit le tour de force de renverser totalement le jugement du spectateur envers Cersei Lannister : alors que ses manigances l'avaient rendue aussi détestée que redoutée, alors même qu'elle vient de mentir une fois de plus en confessant avoir eu de les relations sexuelles avec un jeune homme tout en niant avoir eu des rapports incestueux avec son frère Jaimie, son humiliation créé un sentiment d'empathie que l'on avait pas ressenti pour elle depuis la fin de la saison 2.
Cette
déchéance de Cersei, une fois de plus magnifiquement servie par son interprète,
Lena Headey, incroyable de dignité durant la scène de l’expiation, vient
encore un peu plus acter la chute de la famille Lannister, qui a longtemps
semblé mener les débats avant de sombrer dans les divisions avec la
condamnation à mort du fils cadet Tyrion par son père Tywin au cours de la
saison 4, son évasion et sa fuite, l’assassinat de Tywin, patriarche
tout-puissant du clan, par ce même Tyrion juste avant son exil forcé, la mort
du roi Joffrey et surtout, l’épuisement des mines d’or auxquelles ils devaient
leur légendaire fortune. Longtemps invulnérable malgré le comportement
d’enfoirés notoires de la plupart de ses membres, la maison Lannister apparaît
désormais en sursis. Et le seul de ses membres qui n’ait pas la tête au fond de
l’eau semble longtemps être Jaimie le beau gosse.
Parmi
la multitude de personnages a priori antipathiques de la série, Jaimie Lannister,
le frère jumeau de Cersei, est en effet le seul (pour l’instant) à se voir
offrir une sorte de rédemption. Alors que le tout premier épisode de la saison
nous le montrait insolent, présomptueux, forniquant avec sa sœur et n’hésitant
pas à assassiner un enfant, alors que la suite nous l’avait montré
manipulateur, misogyne, méprisant et qu’on avait vite appris que c’est lui qui,
bien que membre de la Garde Royale, avait assassiné le Roi Fou Aerys Targaryen
(mettant ainsi fin à la guerre et permettant l’accession au trône de Robert
Barathéon) et ainsi gagné le surnom de Régicide, il avait ensuite vécu la
pénitence d’une saison entière passée en tant que prisonnier des Stark, puis
avait passé la suivante à apprendre l’humilité aux côtés de Brienne de Tarth,
une femme au physique de colosse au moins aussi douée que lui pour le maniement
des armes. Sanction ultime, il s’était surtout fait trancher la main droite par
un obscur homme de main, se retrouvant ainsi inapte à l’escrime, lui
qui passait pour l’une des plus fines lames des Sept Couronnes.
Dans
cette nouvelle saison, les scénaristes ont pris la liberté de l’envoyer dans la
principauté de Dorne, à l’extrême Sud de Westeros, en compagnie du mercenaire
Bronn, l’ex bras droit de son petit frère Tyrion, dans le but d’aller sauver
et/ou enlever Myrcella, la fille qu’il a eu avec Cersei – et qui passe, depuis
le début, pour la fille de feu Robert Barathéon. Soyons honnête : cette
escapade dornienne n’est pas la meilleure idée qu’aient eue Weiss et Benioff
depuis le lancement du show. Face à Bronn et Jaimie, on retrouve trois jeunes
amazones qui semblent tout droit sortir de scènes coupées de Xena la Guerrière : costumes cheaps, répliques bâclées, interprétation affligeante
et érotisme bon marché, les scènes flirtent avec les limites du ridicule, et il
faut attendre l’épisode 9 et l’intervention du Prince de Dorne, Doran Martell
(le frère d’Oberyn, celui qui s’était fait littéralement exploser la gueule en
saison 4) pour qu’on retrouve un brin de crédibilité et de sérieux, dans ce qui
demeure le plus mauvais segment de l’histoire de la série – heureusement, les
scènes sont à la fois courtes et peu nombreuses, ce qui permet d’éviter un
naufrage total. Le dénouement est aussi limpide que
cruel, et a la saveur amère d'un désenchantement inattendu : alors que Jaimie est dans un navire en route vers Port-Réal, où
il ramène Myrcella, une scène assez touchante le montre se faisant reconnaître de sa
fille, laquelle meurt dans ses bras quelques instants plus tard, empoisonnée.
Et le flash-back inaugural de cette saison 5 de résonner à nouveau : les
trois enfants de Cersei (et donc de Jaimie) sont voués à mourir avant leur
mère. Joffrey l’année dernière, Myrcella lors de ce dernier season final, il ne
reste déjà plus que Tommen, le benjamin de la fratrie - et déjà roi. Pour combien de
temps ?
Tyrion Lannister, Daenerys Targaryen et de l'alcool. |
Quant
au petit frère de Jaimie et Cersei Lannister, le nain Tyrion, chouchou des
téléspectateurs et vedette numéro 1 de la série, que l’on avait quitté, à la fin
de la saison 4, caché dans une caisse en bois embarquée sur un bateau à
destination d’Essos, on le retrouve d’abord aussi cynique et ivrogne que par le
passé. Toujours aussi magistralement interprété par Peter Dinklage (une putain
de rock star, celui-là, quand même), il se retrouve d’abord associé à l’eunuque
Varys, ancien Maître des Chuchoteurs de Port-Réal (poste qui correspond peu ou
prou, à celui de chef des RG en France), qui le convainc de se rallier à Daenerys
Targaryen. Cette dernière, autre coqueluche des fans, n’est autre que
l’héritière en exil de la dynastie Targaryen. Forcée de quitter Westeros alors
qu’elle n’était qu’une enfant suite à la prise de pouvoir de Robert Barathéon, elle attend son heure, sur Essos, mais dispose
d’arguments de choix : elle possède les seuls dragons qui existent au
monde, les premiers qu’on ait vus depuis plus d’un siècle. Problème : si
ces bestioles lui ont permis, dans un premier temps, de s’attacher les services
de divers mercenaires, et ainsi, de s’emparer de la cité de Meeren, elles ont
désormais bien grandi et se retrouvent à présent totalement out of control, forçant la
jeune reine à les enfermer. Daenerys, surnommée la Khaleesi, tente depuis un peu plus d’une
saison de régner sur Meeren, mais il semble que la realpolitik ne soit pas son fort et la grogne prend de l’ampleur, les anciens maîtres de la Cité ayant
(c’était prévisible) mal pris qu’elle abolisse l’esclavage dès son entrée dans
la ville et organisant des sortes d’opérations terroristes, multipliant les
scènes de guérilla urbaine.
Au cours du septième épisode de cette cinquième saison, les scénaristes réalisent le fantasme de nombreux
fans en réunissant Tyrion et Daenerys, soit deux des personnages les plus populaires du show – audace ultime s’il en est, étant donné que la réunion dans une même intrigue de deux des figures préférées du public peut entraîner ou une déception des fans, ou un désintérêt du public pour le reste de la série, audace encore puisque cette rencontre n’a pas encore eu lieu dans le
cycle romanesque. Evidemment, cette rencontre arrive au moment où l’un comme l’autre en a le plus besoin : Tyrion, d’abord aux côtés de Varys, a été
kidnappé par le chevalier Jorah Mormont (dont il serait trop long de rappeler
ici l’histoire) avant d’être capturé par un marchand d’esclaves puis vendu
comme gladiateur – autant dire que compte tenu de son gabarit (l’acteur Peter
Dinklage mesure 1m35), on ne donne pas cher de sa peau en cas de combat. De son
côté, comme dit plus haut, Daenerys doit faire face à la défiance des habitants
de Meeren : des anciens maîtres, réunis au sein de la conjuration des Fils
de la Harpie, mais aussi des anciens esclaves, qui ne lui ont pas pardonné
l’exécution de l’un des leurs, et pour ne rien arranger, elle a perdu un par un
ses plus fidèles conseillers et bras armés, avec le renvoi de son plus fidèle
serviteur Jorah Mormont (à la fin de la saison 4), l’assassinat de son
conseiller Barristan Selmy (épisode 4) et la sérieuse blessure dont est
victime Ver Gris, le chef de son armée de mercenaires (épisode 4 également).
Une
fois Daenerys et Tyrion réunis, le bagoût du Lutin ne tarde pas à convaincre la
jeune souveraine de l’embaucher comme conseiller. Le talent de Tyrion Lannister
pour la politique est connu de tous depuis qu’il avait officié en tant que Main
du Roi intérimaire lors de la saison 2, et on se dit qu’un allié de cette
trempe ne sera pas de trop pour Daenerys pour reprendre la main sur Meeren (mais
il se peut qu’Emilia Clarke, qui l’interprète, ait encore plus besoin de Peter
Dinklage que Daenerys de Tyrion, histoire de donner du relief à ses scènes, qui
avaient souvent semblé poussives lors de la saison précédente). La force de la
série, dans le traitement de cette intrigue, est de croire suffisamment en ses
personnages pour que l’ensemble des rebondissements paraisse crédible, du
périple du nain pour rejoindre la reine (dans des décors, comme souvent,
époustouflants) à la solitude de celle-ci, progressivement acculée par ses
erreurs et par la malchance et contrainte de renier certains de ses engagements
les plus forts, comme la fermeture des arènes. Offrant un final épique à
l’épisode 9, avec la tentative de putsch des Fils de la Harpie en plein combat
de gladiateurs dans le cadre somptueux de l’arène de Meeren, le retour en grâce
d’un Jorah Mormont autrefois répudié (qui, belle idée scénaristique, est
condamné à moyen terme par une maladie curieuse, la léprose, reprenant en cela
la trame de Jon Connington, un personnage des romans qui a été évincé de
l’adaptation télévisée pour éviter la surcharge de personnages) et l’arrivée de
l’un des dragons qui met en déroute les conjurés pour sauver la mise à Daenerys
et à sa cour avant de s’envoler, la reine sur son dos, l’intrigue ose séparer (temporairement ?), deux épisodes seulement après leur rencontre, deux héros qu’elle
avait mis quatre saisons et demie à faire se rencontrer.
Cette séquence dans l'arène est également l'occasion pour la série de faire (enfin) intervenir de façon active les dragons - un seul, en l'occurence. Les effets spéciaux sont plus que convaincaints (même si on pourra ergoter sur la scène de l'envol de Daenerys, qui évoque plus ou moins volontairement L'Histoire sans fin), et compte tenu de ce que l'ensemble des fans s'attend à voir les dragons jouer un rôle majeur dans les prochaines saisons, ce petit avant-goût de leurs capacités a eu de quoi marquer durablement les esprits. En conséquence, le budget de la série risque de continuer à grimper si les trois bébés de la Khaleesi viennent à occuper un rôle plus central dans l'intrigue, ce qui ne laissera plus la moindre marge de manoeuvre en terme d'audience et accentuera encore un peu la pression autour des scénaristes.
Cette séquence dans l'arène est également l'occasion pour la série de faire (enfin) intervenir de façon active les dragons - un seul, en l'occurence. Les effets spéciaux sont plus que convaincaints (même si on pourra ergoter sur la scène de l'envol de Daenerys, qui évoque plus ou moins volontairement L'Histoire sans fin), et compte tenu de ce que l'ensemble des fans s'attend à voir les dragons jouer un rôle majeur dans les prochaines saisons, ce petit avant-goût de leurs capacités a eu de quoi marquer durablement les esprits. En conséquence, le budget de la série risque de continuer à grimper si les trois bébés de la Khaleesi viennent à occuper un rôle plus central dans l'intrigue, ce qui ne laissera plus la moindre marge de manoeuvre en terme d'audience et accentuera encore un peu la pression autour des scénaristes.
Arya Stark, cinquième d'un concours de meilleur sosie de Marion Cotillard organisé dans le Yorkshire. |
Mais
Tyrion Lannister n’est pas le seul personnage phare de la série à avoir quitté
Westeros pour Essos : la jeune Arya Stark a suivi le même chemin. Plus
jeune fille de la famille Stark qui règnait sur le Nord avant d’être décimée
par les traîtrises successives du roi Joffrey, de Theon Greyjoy, de Walder Frey
et de Roose Bolton, Arya, garçon manqué, a suivi une trajectoire radicalement
différente de ce que sa noble ascendance pouvait laisser supposer. Elle s’est
très tôt retrouvée livrée à elle-même, clandestine sur les routes de Westeros,
côtoyant, au gré des rencontres, divers figures masculines qui peuvent
apparaître, rétrospectivement, comme autant de mentors : le maître
d’escrime Syrio Forel dans la première saison, Tywin Lannister dans la
deuxième, une bande de hors-la-loi dans la troisième, et Sandor Clegane, dit le
Limier (ancien garde du corps de Joffrey Barathéon) dans la quatrième. Ivre de
vengeance et passée professionnelle dans l'art de la survie, la jeune fille avait embarqué pour la ville de Braavos à la fin de
la saison 4, dans l’espoir de retrouver un assassin métamorphe qu’elle avait
croisé auparavant afin qu’il lui transmette son art du meurtre et du
déguisement.
Cette
nouvelle saison montre donc son apprentissage. Les scènes, souvent aussi
longues que lentes, dégagent une inquiétante étrangeté, la majeure partie de
l’action prenant place dans un grand temple bâti en l’honneur du bien-nommé
Dieu Multiface. Mettant en application l’étrange devise Valar Morghulis, Valar
Dohaeris (tous les hommes doivent mourir, tous les hommes doivent servir), Arya
est ainsi forcée d’effectuer des tâches répétitives dont le but n’apparaît pas
tout de suite clairement, tout en étant déchirée par un dilemme
insoluble : pour devenir ce que l’on appelle une Sans-Visage, elle doit
renoncer à tout ce qu’elle est, à ses souvenirs, à son désir de vengeance, à
son identité. Or, c’est précisément à cause de sa vendetta qu’elle souhaite
rejoindre la mystérieuse guilde de tueurs. Le point de de cristallisation est
atteint lorsqu’elle croise par hasard un homme qu’elle a juré de tuer depuis
longtemps. Délaissant la mission que lui a confiée son instructeur, elle
choisit de se faire justice et liquide son ennemi. Son aventure se termine par
la sanction que lui a réservée Jaqen H’ghar, l’assassin en chef, pour ce
manquement à ses devoirs : elle devient aveugle.
Sansa, Ramsay et Théon en plein three-some. |
Mais
même seule dans une cité étrangère, Arya est peut-être celle qui s’en sort le
mieux parmi les enfants Stark. L’aîné de la fratrie, Robb, a été assassiné à la
fin de la saison 3, lors de la séquence culte des Noces Pourpres. Les deux plus
jeunes frères sont portés disparus, depuis la fin de la saison 3 pour Rickon le
plus petit (dont personne ne sait ce qu’il a pu advenir) et depuis celle de la
saison 4 pour Bran (qui doit être quelque part dans au Nord du Mur, dans une
situation d’apprentissage similaire à Arya, sauf qu’au lieu d’être formé à
changer de visage, il est vraisemblablement en train d’essayer de maîtriser son mystérieux don lui permettant de se glisser dans l’esprit des autres). Reste
Sansa, celle qui a vraisemblablement le plus souffert de la famille. Longtemps
fiancée au roi Joffrey, elle était la perpétuelle victime de ses humiliations,
avait échappé de justesse à un viol de rue et se faisait sans cesse tourmenter par
Cersei. Après avoir finalement été répudiée par Joffrey avant de l’avoir
épousé, elle se retrouvait, contre son gré, forcée d’épouser Tyrion Lannister –
celui-ci, très classe, lui promettait de ne pas consommer le mariage tant qu’elle
ne le voudrait pas. A la mort de Joffrey, soupçonnée d’avoir participé à son
empoisonnement, elle n’avait d’autre choix que de quitter Port-Réal à la hâte,
sauvée in extremis par Petyr Baelish, aka Littlefinger, ancien tenancier de bordel, ex-grand argentier du
royaume, spécialiste des intrigues en tous genres, traître professionnel et véritable commanditaire de l'assassinat de Joffrey. La
fin de la saison 4 montrait une Sansa enfin plus sûre d’elle-même et de ses
qualités, et on l’imaginait volontiers prenant enfin son destin en main.
Las…
Innovant par rapport aux romans, Weiss et Benioff ont décidé de faire de Sansa
un pion essentiel dans la lutte pour le contrôle du Nord. En effet, depuis la
chute de la maison Stark (mort ou disparition de tous ses membres mâles), cette
région, la plus septentrionale et la plus vaste des Sept Couronnes, est
contrôlée par la famille Bolton, dont la cruauté et la veulerie n’est plus à
prouver : Roose, le père, fût le principal félon lors des Noces Pourpres
qui ont couté la vie à son suzerain Robb Stark, et Ramsay, son bâtard récemment
légitimé, dispose de l’entièreté des caractéristiques psychologiques propres
aux pervers sadiques (c’est à lui que l’on doit les insoutenables scènes de
torture et de mutilation infligées à Théon Greyjoy en saison 3). Or, les Bolton
savent que leur mainmise sur Winterfell, la forteresse qui tient lieu de
capitale à cette province, ne tenait que grâce à leur alliance avec les
Lannister. Constatant le considérable affaiblisement de ces derniers, il leur faut trouver
un nouveau moyen de conserver le contrôle du Nord. Littlefinger, engagé dans
une vaste partie d’échecs qu’il est le seul à comprendre (et qui semble avoir pour but de faire de lui l’homme le plus puissant de Westeros malgré sa naissance modeste),
saisit vite le parti qu’il peut tirer de la présence de la dernière héritière
Stark dont la survie soit certaine à ses côtés, et propose de la marier à
Ramsay, en vue de légitimer le statut des Bolton à Winterfell. La jeune femme a
beau tenter de protester (il s’agit quand même pour elle d’épouser le fils de l’homme
qui a trahi son frère), elle comprend vite qu’elle n’a pas son mot à dire, et
se retrouve dans la gueule du loup.
Car
s’il existe quelque chose de pire, à Westeros, que d’être la fiancée de Joffrey
Barathéon, c’est bien d’être la femme de Ramsay Bolton, champion du monde de salaud. Lors de la nuit de
noces, Sansa se fait littéralement violer par son nouveau mari, et ce en
présence de Théon Greyjoy, qui est devenu l’esclave personnel de Ramsay, lors d’une
séquence qui a provoqué l’un des plus importants scandales de la saison. Belle
idée de mise en scène, on ne voit rien du viol, la caméra se fixant sur le
regard de Théon, pétrifié, pendant qu’on entend les cris de Sansa. Cette
dernière, comprenant le merdier dans lequel elle est fourrée, va tenter d’appeler
à l’aide Brienne de Torth, la guerrière qui veille sur elle à distance, mais en
vain. Elle parviendra en revanche à réhumaniser Théon, qui en était venu, lors
de la saison 4, à être convaincu de s’appeler Schlingue, et après lui avoir
arraché un aveu déterminant (ni plus ni moins que la survie de ses deux petits
frères Bran et Rickon), elle s’évadera avec lui de Winterfell, lors de l’ultime
épisode de la saison, alors que Ramsay est en train de livrer bataille devant la
forteresse. Le plan, poignant, de Sansa donnant la main à un Théon retrouvé
avant de sauter avec lui dans l’inconnu du haut des remparts, constitue l’un
des moments les plus forts de la saison.
Stannis Barathéon dans les affres. |
Mais
c’est comme si l’essentiel des scènes-choc de la saison figurait dans ses trois
derniers épisodes, et c’est ce qui a été le plus reproché à cette cinquième
fournée du show de HBO : durant toute sa première moitié, il se passait (a
priori) peu de choses, d’où peut-être le sentiment d’ennui éprouvé par certains téléspectateurs - j'y reviendrai succintement en fin d'article.
On peut objecter le contraire : c’est précisément parce que les
scénaristes ont pris leur temps au début de la saison que les bouleversements
ont été si forts à la fin, il fallait le temps de se glisser dans la tête des
personnages pour comprendre leurs dilemmes. Au premier rang de ceux-ci, Stannis
Barathéon. Frère cadet de feu le roi Robert, il revendique la couronne depuis
la mort de celui-ci, ayant été informé de la bâtardise de ses prétendus neveux Joffrey et Tommen.
Stannis est un cas complexe : il est le souverain légitime de Westeros,
mais a dû mal à susciter l’enthousiasme de la population (comme des fans du show, d’ailleurs).
En cause, outre sa nature profondément austère : la présence à ses côtés de Mélisandre, une prêtresse venue de l’autre
bout du monde pour répandre la parole du Maître de la Lumière, ce qui passe par
le sacrifice de nombreux opposants, brûlés vifs, et l’usage de la magie noire
(comme celle qui a permis à Stannis d’évincer son frère cadet Renly, qui
convoitait lui aussi le trône). Marié à une femme acariâtre totalement hypnotisée
par Mélisandre, père aimant d’une petite fille défigurée par la maladie,
Stannis est l’un des personnages les plus complexes de la série, à la fois
juste et rigoureux, bon stratège et brillant guerrier, et obligé de composer
avec son entourage fanatique qui voit en lui la réincarnation d’un héros mythique destiné à sauver l’humanité, alors que lui, en légitimiste forcené, n’aspire qu’à récupérer le
trône qui lui revient de droit.
Après
avoir essuyé plusieurs défaîtes (notamment lors de sa tentative de prise de
Port-Réal lors de la saison 2), Stannis avait changé de stratégie et déplacé ses troupes vers le Nord, pour venir en aide à la Garde de Nuit,
menacée par une attaque de sauvageons – la saison 4 se terminait d’ailleurs par
sa victoire. Les premiers épisodes de cette nouvelle saison le voient quitter
le Mur en vue de prendre le Nord aux Bolton. Mais l’hiver, annoncé depuis
plusieurs années, est enfin en train d’arriver, et la neige ralentit la
progression de son armée. Lorsqu’il se tourne vers Mélisandre, dont il connaît
les pouvoirs, pour lui demander si sa magie peut lui être de quelque utilité, la
réponse de la prêtresse le hérisse : pour influencer le Maître de la
Lumière, elle a besoin d’un sacrifice de sang royal, et il se trouve que la
seule personne qui puisse faire l’affaire est la fille de Stannis, la petite
Shôren, gamine rêveuse et attachante, qui fut touchée durant son enfance par la
terrible léprose (cette maladie que contracte également Jorah Moront, et qui
transforment progressivement la peau en écaille). Stannis refuse
catégoriquement. Mais le temps presse : embourbés dans la neige, ses
hommes commencent à déserter, les provisions sont vite épuisées (du moins
celles qui n’ont pas été volées ni brûlées par l’avant-garde des Bolton), les
chevaux meurent de froid, et la venue de l’hiver empêche tout retour au Mur.
Finalement, tel Agamemnon permettant le départ de la flotte grecque, Stannis n’a pas d’autre choix que de
sacrifier sa fille lors du neuvième épisode. La scène, traumatisante, de la petite Shôren
attachée à son bûcher, implorant l’aide de son père, a fait davantage encore
scandale que celle du viol de Sansa par Ramsay Bolton. Après le meurtre de son
frère Renly grâce à la magie noire en saison 2, c’est une seconde ignominie commise par Stannis, qui se replace en tête des personnages les plus haïs de la série.
Conformément à ce que la prêtresse avait annoncé, la neige se
met à fondre suite à la crémation, mais alors qu'il aurait dû en profiter pour marcher sur Winterfell, Stannis doit faire face à la désertion de la
plus grande partie de son armée et de l’entièreté de sa cavalerie, avant de
découvrir le cadavre pendu de son épouse : tous sont horrifés par l'infanticide dont il vient de se rendre coupable. Comprenant qu’elle n’a pas forcément
misé sur le bon cheval, Mélisandre en profite pour s’éclipser. C’est le moment
choisi par l’armée des Bolton pour charger. En infériorité numérique, sans un
seul cheval face à des hordes de cavaliers, les derniers fidèles de Stannis
sont décimés, et d’Agamemnon, le prétendant au trône devient Richard III,
abandonné de tous et acculé. Sorte d’hybride barbu d’Al Pacino et de Jason
Statham, son interprète, l’Anglais Stephen Dillane, pur shakespearien et grande révélation de la série, donne la
pleine mesure de son talent dès qu'il apparaît à l'écran. A la fin de la bataille, quand il se retrouve face à
Brienne de Torth, la guerrière qui a juré de venger Renly Barathéon, et qu’elle
le condamne à mort, en un regard (paupière lourde et sourcil froncé), en une
phrase marmonnée avec lassitude (« faîtes ce que votre devoir exige »),
Stephen Dillane réussit à évoquer le ratage monumental qu’a été la vie de son
personnage, un homme de devoir et de droiture dont seuls les crimes infâmes
seront retenus. L’épée de Brienne se lève, et une coupe de montage nous empêche
de voir voler la tête de Stannis Barathéon.
Jon Snow, ça sonne quand même plus classe que Jean Neige, non ? |
Si
Stannis est encore en vie dans le cycle de romans où la bataille de Winterfell n'a pas encore eu lieu, et que sa mort (s’il elle
est avérée...) a été une surprise pour tous, ce n’est pas le cas d’un autre
personnage emblématique : Jon Snow. Car si un évènement, survenu lors de la
dernière scène du dernier épisode de la saison, a plus encore qu'aucun autre réussi à provoquer un émoi
sans précédent chez tous les suiveurs du show, c’est bien l’assassinat du supposé
bâtard de Ned Stark par un petit groupe de Frères Jurés de la Garde de Nuit. Au
sein d’une saison injustement décriée, l'un des rares arcs narratifs à avoir réussi à faire l’unanimité est pourtant celui qui se déroule au Mur, et ce
en grande partie grâce à une mise en scène souvent brillante (l'inconnu Miguel Sapochnik, réalisateur sobre et lyrique des épisodes 7 et 8, pourrait bien refaire parler de lui prochainement). Alors que ce qui s’y déroulait les saisons précédentes avait souvent été
pointé du doigt, cette nouvelle livraison d’épisodes obéit à une logique
implacable, et est servie par la remarquable progression de l’acteur Kit
Harrington, qui joue Snow : mauvais comme un cochon dans les premières
saisons où il était anti-charismatique au possible, le jeune homme s’est
visiblement mis au travail et compose désormais un héros enfin convaincant, au
leadership palpable.
Après
avoir repoussé, grâce à l’armée de Stannis Barathéon, les hordes de sauvageons
(ces peuples qui vivent au Nord du Mur et qui, voyant l’hiver et ses sinistres
créatures arriver, avaient tenté de se réfugier au Sud en attaquant la Garde de
Nuit pour forcer le passage), Jon Snow change de dimension lors de cette
nouvelle saison, ce qui rend sa fin tragique d’autant plus inattendue. D’abord,
il refuse la proposition de Stannis, qui lui offre le Nord si la Garde et les
sauvageons se joignent à lui dans sa conquête : son devoir,
considère-t-il, est de rester au Mur et de lutter contre ce qui se prépare (en
l’occurrence, l’arrivée des Marcheurs Blancs, ces fameux êtres maléfiques que l’hiver
a réveillé, et leur armée de morts). Ensuite, il défie ouvertement Stannis, en
interrompant le sacrifice du chef sauvageon Mance Rayder, préférant l’achever
d’une flèche en plein cœur plutôt que de le regarder brûler vif. Elu Lors
Commandant de la Garde de Nuit dans la foulée, il assoit son autorité en
exécutant l’un de ses rivaux, qui refusait de lui obéir. Enfin, il prend la
décision, lourde de conséquence, de tendre la main aux sauvageons, ennemis de
toujours des Frères Jurés, en leur proposant de s’allier pour lutter contre les
Marcheurs Blancs, et ce contre l’avis de la majorité des troupes qui viennent
de le choisir pour chef. Son escapade pour parlementer avec les chefs
sauvageons est l’occasion d’une des scènes les plus mémorables de toute l’histoire
de la série : alors qu’il a convaincu certains d’entre eux de le
rejoindre, les Marcheurs Blancs surgissent, et éclate une bataille que rien (ni
le contexte narratif, ni la promo qu’avait fait HBO de l’épisode) ne laissait
présager. Spectaculaire en diable, d’une durée de plus de vingt minutes, l’affrontement
est l’occasion, en quelques plans sublimes, d’offrir à Jon Snow une densité
quasi-mythologique, juste après qu’il ait occis d’un coup d’épée le Marcheur
Blanc qu’il affrontait. Si les rangs sauvageons sont décimés, Jon parvient
malgré tout à ramener avec lui au Mur un contingent non négligeable de ses
anciens ennemis, en vue de lutter ensemble contre la menace qui se profile.
Mais
effacer en quelques jours des millénaires de lutte armée entre sauvageons et
Frères Jurés est une décision qui passe mal auprès de certains membres de la
Garde, désormais enclins à considérer leur chef comme un traître. Et la
séquence finale du dernier épisode, qui voit un petit groupe de Gardes
poignarder Jon Snow à tour de rôle en rythmant leurs coups de couteau d’une
ronde de « pour la Garde » rappelle l’assassinat de Jules César,
achevant la shakespearisation de la série, qui peut clore cette cinquième saison
sur l’image, silencieuse, du 998ème Lord Commandant de la Garde de
Nuit étendu sur la neige, seul, dans la nuit, tout baigné de son sang. Jon est-il réellement mort ? La bataille homérique face aux Marcheurs Blancs l’avait consacré en tant que plus
grande figure épique de la série. Le début de la saison avait montré la
prêtresse Mélisandre manifester un intérêt soutenu pour sa personne, et précisément,
juste avant l’assassinat de Jon, une courte scène avait montré la femme fatale
revenir au Mur après avoir abandonné Stannis – or, on sait que les prêtres du
Maître de la Lumière ont le pouvoir de faire ressusciter certains sujets… Se
pourrait-il, dès lors, que Jon revienne d’une façon ou d’une autre ? Le
débat, qui agitait déjà les lecteurs des romans (le dernier tome paru à ce jour
se termine, de façon identique, sur l’assassinat du personnage), s’étend à
présent aux fans de la série. Mais cette question n’en est qu’une parmi les
dizaines que pose cette fin de saison.
Luke, je vais bentôt te dire que je suis ton père. |
Car
Jon n’est pas le seul dont le décès ne soit pas certifié. Stannis, condamné à
mort par Brienne quelques minutes plus tôt dans le même épisode, n’a pas été
montré décapité. Aurait-il pu survivre lui aussi ? De la même façon, l’évasion
de Théon et Sansa, fuyant Winterfell, a été montrée d’une façon très ambiguë,
leur saut dans le vide pouvant être perçu, au choix, comme une fuite ou un
suicide. Sont-ils morts ou vivants ? Et compte tenu du nombre et de la
puissance de leurs ennemis, si l’un de ces personnages a réussi à arracher, en
même temps qu’un sursis, une présence dans la saison 6, comment se
débrouillera-t-il pour survivre alors que le froid et la neige s’étendent
partout et que les dangers se multiplient dans le Nord ? Ailleurs aussi,
les interrogations sont nombreuses. Si l’arc narratif se déroulant à Meeren
voit Tyrion assumer le gouvernement de la cité en crise, Daenerys, elle, se
retrouve dans la pampa avec son dragon blessé, et bientôt entourée par une
horde de dothrakis, ces cavaliers féroces rappelant les Huns qu’elle avait
côtoyés lors de la première saison. Comment va-t-elle négocier ces
retrouvailles intempestives ? Sans même parler de ce qui demeure son objectif principal,
à savoir le retour et la conquête de Westeros, ni évoquer tous ces autres personnages dont la situation est critique : Jaimie Lannister, qui vient de voir sa fille mourir dans ses bras, Cersei, qui après son humiliation a rencontré un mystérieux et colossal guerrier tout droit sorti du laboratoire de l'intriguant Qyburn, Loras et Margeary Tyrell, qui croupissent encore en prison, Littlefinger et son plan secret pour conquérir le monde, ou encore Tommen, qui est encore assis sur le Trône de Fer, malgré sa bâtardise, son inexpérience et la purge opérée parmi son entourage…
Si les grandes lignes de l'intrigue à venir apparaissent comme prévisibles (l'Hiver qui s'étend du Nord aux autres provinces de Westeros, et avec lui les Marcheurs Blancs et leurs créatures, devenant progressivement la menace numéro 1 pour tous ceux qui pensent à pour l'instant avant tout à se déchirer), le chemin pour y parvenir apparaît plein d'incertitudes, surtout quand on connaît la propension de George Martin et de ses disciples Weiss et Benioff à faire mourir tout personnage trop proche de devenir un héros. Mais devant quel public ? Car si cette cinquième saison de Game of Thrones a encore battu des records d'audience comme de téléchargement (avec comme points d'orgue la fuite de quatre premiers épisodes la veille de la première diffusion, puis la propagation virale de photos révélant les morts de Jon Snow et de l'épouse de Stannis la veille du dernier épisode), les critiques, elles se sont fait plus férocement entendre encore que les années précédentes.
La première tient au caractère sexuel de la série, et on peut y déceler une certaine hypocrisie. Nombreuses, en effet, ont été les condamnations du viol de Sansa par Ramsay Bolton en conclusion de l'épisode 7 - or, comme déjà mentionné plus haut, tout a été figuré hors champ, sans image-choc ni voyeurisme de la part des réalisateurs. Au-delà de ce cas particulier, c'est l'accusation récurrente (et absurde) de misogynie qui est revenue s'abattre sur le show. Absurde, car comme beaucoup l'ont déjà souligné, Game of Thrones propose un nombre impressionnant de femmes fortes parmi ses principaux personnages, chacune à sa manière (la manipulatrice Cersei, la passionnaria Mélisandre, la guerrière Brienne, l'idéaliste Daenerys, la survivante Arya, la matriarche Olenna Tyrell...), surtout si l'on considère que le contexte du récit est, peu ou prou, celui du Moyen-Âge. Absurde, aussi, quand l'on considère que les hommes ne sont pas mieux lotis : trois des personnages les plus importants, Théon Greyjoy, Varys (présents l'un comme l'autre depuis la première saison) et Ver Gris ont ainsi été émasculés, et leur taux de mortalité est largement plus élevé que celui de la gent féminine... Absurde encore, si l'on admet, et cela demande un certain effort, qu'il n'est pas plus flatteur de présenter un personnage comme un bourreau que de le peindre en victime. Absurde toujours, quand on se souvient que le dépucelage pédophile du jeune roi Tommen par son épouse Margaery n'a, comme évoqué plus haut, absolument choqué personne (qu'en aurait-il été avec un roi de vingt-cinq ans forniquant avec son épouse de treize ou quatorze ans ?). Absurde enfin, car si la série s'est fait une spécialité (d'aucuns parleraient de plaisir coupable) de présenter des corps nus, ceux-ci ne sont qu'en de très rares occasions filmés de façon érotique, et rarement dans leur plus grande intimité : ainsi, si l'on aperçoit quelques phallus cette saison, la caméra se borne à filmer les pubis féminins sans jamais chercher à descendre plus bas - pour ce qui est des torses, on en dénombre à peu près autant de chaque sexe.
L'autre principale critique faite à cette cinquième saison a été son déroulement global, souvent jugé ennuyeux, prévisible, sans rebondissement et dénué d'action, avant l'explosion des trois derniers épisodes, qui a été assimilé à une surenchère compensatoire un peu grotesque. Or, si la saison a effectivement adopté un rythme plus lent que les années précédentes, c'est pour mieux se charger en gravité : l'Hiver, longtemps craint, est enfin arrivé, et entre lentes déchéances (emprisonnement de Cersei, damnation de Stannis, incapacité à gouverner correctement de Daenerys) et chutes brutales (Jon assassiné, Jaimie témion de la mort de sa fille, Arya rendue aveugle), la plupart des héros se retrouve à un point de non-retour. La série étant prévue pour ne durer que sept saison, bien qu'une huitième ne soit pas à exclure, le terme se rapproche, et le récit prend de plus en plus l'apparence d'une danse avec la mort. Ainsi, alors que certains apparaissent clairement en sursis à l'heure actuelle, d'autres ont été moins chanceux, et non des moindres. Deux prétendants possibles au Trône de Fer ont ainsi été écartés a priori définitivement : le chef Mance Rayder, qui s'était fait proclamer Roi d'au-delà du Mur après avoir unifié l'ensemble des clans sauvageons, et bien sûr Stannis, victime d'un funeste épisode 10 qui a également vu les disparitions de Selyse, son épouse, de Myrcella Lannister-Barathéon, de Meryn Trant et bien sûr de Jon Snow. Plus tôt dans la saison, c'est Barristan Selmy, le plus proche conseiller de Daenerys, qui avait passé l'arme à gauche (épisode 4), imité en cela par Janos Slynt, ancien garde royal ayant rejoint le Mur (épisode 3), Aemon Targaryen, le plus ancien Frère Juré de la Garde de Nuit (épisode 7) ou encore Shôren Barathéon, la fille sacrifiée de Stannis (épisode 9). Chacun de ces décès a rebattu les cartes et permis à l'action d'avancer.
Car l'action, ce n'est pas seulement des types qui se foutent sur la gueule à coups d'épées (encore qu'on en a eu notre content cette saison, entre le combat furieux dans les rues de Meeren, la monumentale bataille entre sauvageons et Marcheurs Blancs ou la tentative de putsch contre Daenerys qui aboutit au retour de son dragon), c'est surtout une intigue qui avance. Chaque personnage a considérablement évolué, cette année, malgré les apparences. En fin de saison 4, on avait quitté Sansa dans le Val au bras de Littlefinger et cette fois-ci, c'est en pleine cambrousse nordienne et avec Theon qu'on l'abandonne ; on avait laissé Tyrion caché dans une caisse en route vers un futur brumeux et incertain, et on le quitte cette fois chargé d'assurer la régence de Meeren jusqu'au retour de Daenerys ; et je pourrais continuer la liste pendant longtemps. Ceux qui déplorent le manque de batailles ont vraisemblablement un souvenir biaisé des saisons précédentes, qui ont toujours accordé une place très large aux dialogues (avec des acteurs comme Peter Dinklage ou Lena Headey, ce serait dommage de se priver).
D'autres critiques émergent ici ou là. Celles des lecteurs de George Martin, nombreux à déplorer les libertés prises par la série vis-à-vis des romans, ne sont pas recevables : Game of Thrones doit être jugé en tant que série, et uniquement en tant que série, en faisant totalement abstraction de l'oeuvre de laquelle le show a été adapté, aussi formidable que puisse être la saga de Martin. L'exemple, funeste et déjà évoqué, du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson est à méditer : avec un souci écrasant de fidélité littérale à la trilogie de Tolkien, le cinéaste néo-zélandais avait produit un salmigondis new age qui avait autant de personnalité qu'une photocopie couleur. D'autres reproches concernent la supposée tendance à la surenchère de la série : toujours plus de sexe (ce qui est purement faux sachant qu'il s'agit vraisemblablement de la saison la plus chaste de l'histoire du show), toujours plus de violence (ce qui sera difficilement démontrable, la longue torture de Théon en saison 3 et l'explosion du crâne d'Oberyn en saison 4 restant pour l'instant inégalés en matière d'envie de fermer les yeux en attendant que la scène se termine) et toujours plus de personnages clés qui décèdent alors qu'on ne s'y attend pas (malentendu originel, l'exécution de Ned Stark à la fin de la première saison était à ce propos moins un rebondissement qu'un programme). Selon ces mêmes détracteurs, le show serait devenu sa propre caricature. Il s'agirait davantage, selon moi, de dire qu'il ne s'est pas renié, et a conservé ce qui est son ADN véritable : 50% Macbeth, 15% Emmanuelle, 5% La Nuit des Morts-Vivants, 5% Jurassic Park et 25% Psychose. C'est-à-dire 100% la classe.
La première tient au caractère sexuel de la série, et on peut y déceler une certaine hypocrisie. Nombreuses, en effet, ont été les condamnations du viol de Sansa par Ramsay Bolton en conclusion de l'épisode 7 - or, comme déjà mentionné plus haut, tout a été figuré hors champ, sans image-choc ni voyeurisme de la part des réalisateurs. Au-delà de ce cas particulier, c'est l'accusation récurrente (et absurde) de misogynie qui est revenue s'abattre sur le show. Absurde, car comme beaucoup l'ont déjà souligné, Game of Thrones propose un nombre impressionnant de femmes fortes parmi ses principaux personnages, chacune à sa manière (la manipulatrice Cersei, la passionnaria Mélisandre, la guerrière Brienne, l'idéaliste Daenerys, la survivante Arya, la matriarche Olenna Tyrell...), surtout si l'on considère que le contexte du récit est, peu ou prou, celui du Moyen-Âge. Absurde, aussi, quand l'on considère que les hommes ne sont pas mieux lotis : trois des personnages les plus importants, Théon Greyjoy, Varys (présents l'un comme l'autre depuis la première saison) et Ver Gris ont ainsi été émasculés, et leur taux de mortalité est largement plus élevé que celui de la gent féminine... Absurde encore, si l'on admet, et cela demande un certain effort, qu'il n'est pas plus flatteur de présenter un personnage comme un bourreau que de le peindre en victime. Absurde toujours, quand on se souvient que le dépucelage pédophile du jeune roi Tommen par son épouse Margaery n'a, comme évoqué plus haut, absolument choqué personne (qu'en aurait-il été avec un roi de vingt-cinq ans forniquant avec son épouse de treize ou quatorze ans ?). Absurde enfin, car si la série s'est fait une spécialité (d'aucuns parleraient de plaisir coupable) de présenter des corps nus, ceux-ci ne sont qu'en de très rares occasions filmés de façon érotique, et rarement dans leur plus grande intimité : ainsi, si l'on aperçoit quelques phallus cette saison, la caméra se borne à filmer les pubis féminins sans jamais chercher à descendre plus bas - pour ce qui est des torses, on en dénombre à peu près autant de chaque sexe.
L'autre principale critique faite à cette cinquième saison a été son déroulement global, souvent jugé ennuyeux, prévisible, sans rebondissement et dénué d'action, avant l'explosion des trois derniers épisodes, qui a été assimilé à une surenchère compensatoire un peu grotesque. Or, si la saison a effectivement adopté un rythme plus lent que les années précédentes, c'est pour mieux se charger en gravité : l'Hiver, longtemps craint, est enfin arrivé, et entre lentes déchéances (emprisonnement de Cersei, damnation de Stannis, incapacité à gouverner correctement de Daenerys) et chutes brutales (Jon assassiné, Jaimie témion de la mort de sa fille, Arya rendue aveugle), la plupart des héros se retrouve à un point de non-retour. La série étant prévue pour ne durer que sept saison, bien qu'une huitième ne soit pas à exclure, le terme se rapproche, et le récit prend de plus en plus l'apparence d'une danse avec la mort. Ainsi, alors que certains apparaissent clairement en sursis à l'heure actuelle, d'autres ont été moins chanceux, et non des moindres. Deux prétendants possibles au Trône de Fer ont ainsi été écartés a priori définitivement : le chef Mance Rayder, qui s'était fait proclamer Roi d'au-delà du Mur après avoir unifié l'ensemble des clans sauvageons, et bien sûr Stannis, victime d'un funeste épisode 10 qui a également vu les disparitions de Selyse, son épouse, de Myrcella Lannister-Barathéon, de Meryn Trant et bien sûr de Jon Snow. Plus tôt dans la saison, c'est Barristan Selmy, le plus proche conseiller de Daenerys, qui avait passé l'arme à gauche (épisode 4), imité en cela par Janos Slynt, ancien garde royal ayant rejoint le Mur (épisode 3), Aemon Targaryen, le plus ancien Frère Juré de la Garde de Nuit (épisode 7) ou encore Shôren Barathéon, la fille sacrifiée de Stannis (épisode 9). Chacun de ces décès a rebattu les cartes et permis à l'action d'avancer.
Car l'action, ce n'est pas seulement des types qui se foutent sur la gueule à coups d'épées (encore qu'on en a eu notre content cette saison, entre le combat furieux dans les rues de Meeren, la monumentale bataille entre sauvageons et Marcheurs Blancs ou la tentative de putsch contre Daenerys qui aboutit au retour de son dragon), c'est surtout une intigue qui avance. Chaque personnage a considérablement évolué, cette année, malgré les apparences. En fin de saison 4, on avait quitté Sansa dans le Val au bras de Littlefinger et cette fois-ci, c'est en pleine cambrousse nordienne et avec Theon qu'on l'abandonne ; on avait laissé Tyrion caché dans une caisse en route vers un futur brumeux et incertain, et on le quitte cette fois chargé d'assurer la régence de Meeren jusqu'au retour de Daenerys ; et je pourrais continuer la liste pendant longtemps. Ceux qui déplorent le manque de batailles ont vraisemblablement un souvenir biaisé des saisons précédentes, qui ont toujours accordé une place très large aux dialogues (avec des acteurs comme Peter Dinklage ou Lena Headey, ce serait dommage de se priver).
Brienne au vert. |
D'autres critiques émergent ici ou là. Celles des lecteurs de George Martin, nombreux à déplorer les libertés prises par la série vis-à-vis des romans, ne sont pas recevables : Game of Thrones doit être jugé en tant que série, et uniquement en tant que série, en faisant totalement abstraction de l'oeuvre de laquelle le show a été adapté, aussi formidable que puisse être la saga de Martin. L'exemple, funeste et déjà évoqué, du Seigneur des Anneaux de Peter Jackson est à méditer : avec un souci écrasant de fidélité littérale à la trilogie de Tolkien, le cinéaste néo-zélandais avait produit un salmigondis new age qui avait autant de personnalité qu'une photocopie couleur. D'autres reproches concernent la supposée tendance à la surenchère de la série : toujours plus de sexe (ce qui est purement faux sachant qu'il s'agit vraisemblablement de la saison la plus chaste de l'histoire du show), toujours plus de violence (ce qui sera difficilement démontrable, la longue torture de Théon en saison 3 et l'explosion du crâne d'Oberyn en saison 4 restant pour l'instant inégalés en matière d'envie de fermer les yeux en attendant que la scène se termine) et toujours plus de personnages clés qui décèdent alors qu'on ne s'y attend pas (malentendu originel, l'exécution de Ned Stark à la fin de la première saison était à ce propos moins un rebondissement qu'un programme). Selon ces mêmes détracteurs, le show serait devenu sa propre caricature. Il s'agirait davantage, selon moi, de dire qu'il ne s'est pas renié, et a conservé ce qui est son ADN véritable : 50% Macbeth, 15% Emmanuelle, 5% La Nuit des Morts-Vivants, 5% Jurassic Park et 25% Psychose. C'est-à-dire 100% la classe.
Un très bon article, qui résume bien les tenants et aboutissants de cette saison. Et qui revient également sur les polémiques apparues un peu partout sur les réseaux (c'est devenu un fait social).
RépondreSupprimerMoi, ce que j'en retiens, c'est qu'il y a sûrement eu une incompréhension de base : la fantasy (genre assez large que je connais plutôt bien, et qui a le mérite, tout comme la science-fiction, d'être indéfinissable) est vue comme quelque chose de forcément manichéen, héroïque et dynamique.
Fantasy = Heroic Fantasy
Sauf que non : Game of Thrones, si on devait nécessairement le faire rentrer dans une case, relèverait plutôt de la Dark Fantasy, de la Political Fantasy, ou de la Court Intrigue Fantasy. Voyez : là encore, on hésite entre plusieurs sous-genres.
Second malentendu : le rapport de l’œuvre visuelle avec l’œuvre écrite.
1) Je ne suis pas d'accord quand tu écris qu'il ne faut absolument pas prendre en compte les deux supports. La série télé est une adaptation de la série originale : elle s'en inspire et la dépasse. Nous sommes d'accord. Mais comme je te le disais l'autre fois, je trouve peu crédible que les deux univers soient hermétiques : l'ami Martin, à mon sens, contrôle toute l'ingénierie. Ce n'est pas une sorte de complot visant à accroître la rentabilité de la franchise, mais juste une nécessité : les enjeux sont trop importants pour qu'il donne carte blanche aux scénaristes de son vivant. Je pense donc que tout ça est très contrôlé, mais en bonne intelligence (les deux parties sont honnêtes : ça se ressent dans le traitement des œuvres). Aussi, j'estime qu'il y a une certaine valeur ajoutée à comparer les deux supports : ça permet de distinguer les parti-pris.
2) Car justement, à l'inverse, beaucoup n'ont pas compris que l’œuvre visuelle était tirée de l’œuvre écrite. Et se sont mis à insulter les scénaristes en mode "vous nous faites le coup de Jon Snow pour l'audimat nia nia nia et puis vous vous foutez de vos personnages bla bla bla et puis les viols et les seins". Mais c'est dans le bouquin, putain ! Ce qui m'amène à un troisième point.
3) Nos sociétés contemporaines ont de moins en moins le sens du drame, du tragique, du terrible. Est-ce parce que notre époque est devenue réellement dramatique, tragique, et terrible ? Je laisse cette méditation pseudo-intellectuelle en suspens.
Un ange passe.
Non mais bordel de merde ! Qu'est-ce que c'est que ces conneries ! On n'a plus le droit de faire crever ses personnages ? De les faire se prendre mille et un coups de couteaux ? De leur trancher la tête ? Ce n'est pas parce que nos choix de citoyens sont bloqués de A à Z par la classe financière, et que nos individualités se perdent dans un déterminisme marchand, que certains hommes de bonne volonté, répondant au doux qualificatif d'auteur, n'ont pas le droit de prendre leur stylo, ou leur caméra, pour foutre dans la gueule du quidam cet acte d'autorité, à savoir : "je bute mes créations et je vous emmerde !"
Au final, je pense que ce sont ceux qui crient le plus fort qui ont eu voie de presse. Cette saison, même si elle n'a pas convaincu la majorité, a quand même fait souffler quelque chose de nouveau. Je suis persuadé qu'un grand nombre de gens ont eu quelques frissons. Se sont interrogés sur les notions de pouvoir et de politique. Et qu'un certain retour au mythe, une petite introduction au tragique, ressurgit.
En ces temps compliqués, c'est un bon début.