L'homme qui rétrécit |
La Coupe du Monde 1998, organisée en France, s’est déroulée, à la surprise
générale, selon un scénario très prévisible : match clin d'oeil (USA - Iran), équipes surprise (Croatie, Danemark), grosses déceptions (Espagne), vedettes aux destins opposés (Bergkamp, Del Piero, Owen, Batistuta), duels acharnés (France - Italie, Pays-Bas - Argentine). Surtout, s’est tenue, en finale,
l’affiche idéale, celle dont tout le monde rêvait : le Brésil, alors
quadruple vainqueur du tournoi et tenant du titre, face à la France, le pays
organisateur. La rencontre permettait aussi l’opposition de deux hommes :
le Brésilien Ronaldo et le Français Zidane, c’est-à-dire le meilleur joueur du
monde et son dauphin officiel. Si, un peu plus tôt dans l'année, Zidane avait remporté un premier succès en étant sacré
champion d’Italie, avec le Juventus, au détriment de l’Inter de Ronaldo, le
vrai rendez-vous, tout le monde le savait, était prévu pour la finale du
Mondial, où l’on allait enfin voir si vraiment le Français était en mesure de contester
la suprématie du Brésilien.
Ronaldo, alors âgé de vingt-deux ans et déjà considéré comme
l’un des plus grands joueurs de l’histoire, avait fanfaronné avant le tournoi,
s’estimant capable de battre le mythique record de Just Fontaine (treize buts
en une seule Coupe du Monde, en 1958). La réalité avait été plus rude, mais le Fenomeno
n’avait pas démérité en étant l’auteur de quatre buts et de trois passes
décisives - il avait également répondu présent en réussissant son penalty lors de la séance de tirs aux buts de l'intense demi-finale face aux pays-Bas. La finale allait lui permettre de mettre les choses au point - du moins le croyait-on.
Mais une heure avant le début du match, la rumeur se répand
comme une traînée de poudre parmi les journalistes et s’étend vite à l’ensemble
de la planète : Ronaldo ne jouera pas la finale, il ne sera que
remplaçant, et Edmundo le suppléera à la pointe de l’attaque brésilienne. Panique mondiale pendant un quart d'heure, puis circule une seconde feuille de match, où Ronaldo est annoncé comme aligné à la pointe de l'attaque brésilienne. Bluff ? Couac ? Personne ne sait trop, et très vite, trop vite arrive l'heure du match. Ronaldo est bel et bien là, titulaire aux côtés
de Bebeto et Rivaldo. Lors des hymnes nationaux, il arbore un air légèrement absent. Lorsque le match commence, il lui faut presque un quart d'heure avant de toucher pour la première fois le ballon. Muselé par la défense française, impuissant face à
Barthez qui le mettra même littéralement KO après une sortie aérienne
autoritaire, il traverse tout le match comme un fantôme, observant de loin son rival
Zidane marquer deux buts et offrir la Coupe du Monde à la France.
Footballeurs à la sortie de l'hibernation. |
Dès le lendemain, le bruit commencera à courir et le scandale à enfler :
Ronaldo aurait été victime d’un malaise quelques heures seulement avant la
finale, alors qu’il jouait aux jeux vidéos avec Roberto Carlos. Celui-ci serait
sorti de leur chambre en criant « Il
est en train de mourir ! » et tous les Brésiliens se seraient
précipité auprès de Ronaldo, l’empêchant de s’étouffer avec sa langue avant de
le conduire l’hôpital où les examens ne
révèleront rien. Diverses théories ont surgi, parlant de crise d’épilepsie, de
malaise vagal ou de dystonie neurovégétative. Certains, même, évoqueront les
effets secondaires du dopage, s’appuyant sur l’impressionnante augmentation de
la musculature de Ronaldo durant les deux années qui avaient précédé et sur les
bruits de couloirs qui faisaient du championnat italien l’antichambre de la
recherche pharmaceutique et de l’optimisation de performance. On dira également
qu’il n’était pas en état de jouer la finale, mais que c’est Nike, sponsor du
joueur et de l’équipe du Brésil, qui avait insisté pour qu’il soit aligné.
Les versions contradictoires se succèderont, allant jusqu’à
provoquer une large enquête au sein de la Fédération brésilienne de football,
minée par la corruption et les pots-de-vin. Aujourd’hui encore, personne n’est
en mesure de dire ce qui s’est vraiment passé dans la chambre de Ronaldo,
quelques heures avant la finale contre la France. Ce qui s’est passé ensuite,
en revanche, est connu. Après la défaite, Ronaldo connaîtra quatre ans de
galère, quatre ans durant lesquels il ne jouera qu’une poignée de matches,
enchaînant blessure sur blessure, étant même déclaré mort pour le football
après une rechute de son genou, en 2000, six minutes seulement après avoir fait
son retour sur un terrain. Depuis ses différents lits d’hôpital, réduit à
l’impuissance, il regardera Zidane le déposséder de son titre honorifique de
meilleur joueur du monde et remporter la Coupe du Monde, le Championnat
d’Europe, la Ligue des Champions.
Quatre ans plus tard, Ronaldo réalise le plus grand retour de l'histoire du football, et, surtout, dévoile au monde la coupe de cheveux dite de la "vulvette". |
Et puis viendra la renaissance, en 2002, lors du Mondial
asiatique. Ronaldo n’a quasiment pas joué depuis la précédente Coupe du Monde.
S’il figure dans la sélection brésilienne, c’est presque une surprise. Son état
de forme est incertain, et personne ne s’attend à grand-chose de sa part –
après tout ce qu’il a traversé, c’est déjà bien qu’il soit là, se dit-on. Un
mois et huit buts plus tard, Ronaldo, meilleur buteur du tournoi avec huit buts
et vainqueur de la compétition, signera sa résurrection et refermera la
parenthèse de ces quatre années de galère. Le malaise de 1998 était oublié,
définitivement, et le Fenomeno était de retour, signature ultra-médiatique au Real Galactique à la clé. Mieux, encore : en 2006, un Ronaldo désormais trentenaire et largement bedonnant insrivait trois nouveaux buts, améliorant d'une unité le total de buts inscrits en Coupe du Monde (le précédent record, détenu par l'Allemand Gerd Müller, était de quatorze réalisations).
Le record : (qui sera peut-être battu par l'Allemand Klose dans les prochains jours...)