mercredi 11 juin 2014

Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 5 : Le fiasco de Knysna

Cet article fait partie d'un dossier consacré à onze moments mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Les autres sont accessibles sur cette page.


Sans commentaire.

En 2010, tout était très mal parti, dès le début, pour l’équipe de France. 

La qualification avait été laborieuse : deuxième de leur groupe derrière la Serbie, les Bleus avaient dû passer par les barrages pour rejoindre l’Afrique du Sud, et ils n’avaient alors dû leur salut qu’à un but de William Gallas entaché d’une main grossière de Thierry Henry vue par tout le monde sauf l'arbitre, au cours de la prolongation du match retour face à l’Irlande. Le sélectionneur, Raymond Domenech, devenu la risée du pays après sa demande en mariage à Estelle Denis à l’issue de l’élimination de l’Euro 2008, disputait à Sarkozy le titre d’homme le plus détesté de France, le jeu pratiqué était médiocre, l’un des meilleurs joueurs de l’équipe, Lassana Diarra, devait déclarer forfait pour le Mondial (pour cause de coliques à répétitions), et quelques semaines avant le début de la compétition avait éclaté l’affaire Zahia : une call girl avait révélé avoir eu des relations tarifées avec plusieurs joueurs cadres des Bleus, dont Ribéry et Benzema, et ce alors qu’elle était encore mineure. Pour ne rien arranger, la campagne de matches amicaux qui avait servi à préparer l'épreuve durant les semaines qui avaient précédé la Coupe du Monde s'était achevée sur une défaîte honteuse concédée contre... la Chine, même pas qualifiée pour le Mondial sud-africain.


Je vous ai compris.

C’est donc dans un climat déjà très lourd que les Français étaient partis en Afrique du Sud, pour disputer le Mondial - sans Lassana Diarra, forfait, donc, mais également sans Karim Benzema, ni Samir Nasri, jugés fauteurs de troubles en puissance, et donc écartés par Raymond Domenech. Les attendaient Knysna, où ils avaient décidé d’établir leur camp de base, et six semaine de huis clos et de réclusion, avec pour seul contact avec l’extérieur la présence, massive et sauvage, de hordes de journalistes prêts à tout pour mettre à feu et à sang le groupe et vendre leur papier.

Le premier match s’était soldé par un nul, zéro zéro, face à l’Uruguay, et la presse avait fait ses choux gras de l’absence de jeu des Tricolores. La seconde rencontre, face au Mexique, avait vu la défaite des Bleus, 2 – 0. La faillite collective avait été encore plus criante : les joueurs ne jouaient pas bien, pas ensemble, voire pas du tout. Alors que les médias commençaient à se faire l’écho des dissensions au sein du groupe (Ribéry, Gallas, Anelka et quelques autres auraient fait de Gourcuff leur bouc émissaire), L’Equipe frappe un grand coup, en titrant « Va te faire enculer, sale fils de pute », propos attribués à Nicolas Anelka à l’encontre de Domenech. L’affaire provoquera un tollé en France, et la Fédération décidera, à la suite de cette révélation, d’exclure Anelka de l’équipe.

L'objet du délit.
La suite a fait le tour du monde : après des piteuses explications de Domenech et Ribéry (en tongs) sur le plateau de Téléfoot, dans une séquence à la tension palpable, les Bleus refuseront de descendre du bus pour s’entraîner, pour protester contre l’exclusion de leur coéquipier, forçant leur sélectionneur à lire lui-même à la presse le communiqué expliquant que les joueurs de l'équipe de France étaient grévistes. Le scandale deviendra national, les ministres présents sur place, Roselyne Bachelot et Rama Yade, condamneront l’évènement, et l’Assemblée Nationale consacrera un débat animé à la gestion du « fiasco de Knysna ».

Pour ne rien arranger, la France perdra son dernier match, contre l’Afrique du Sud et sera éliminée. Thierry Henry sera personnellement convoqué à l’Elysée par un Sarkozy avide d'explications, et tous les joueurs présents dans le bus seront sanctionné d’un match de suspension, voire plus pour certains d’entre eux (Evra, Anelka, Toulalan, Gallas). Tout touriste français parti à l’étranger durant l’été 2010 s’en souvient : il a fallu, cette année-là, affronter nombre de "so you're French ? what happened in this bus ?", il a fallu assumer cet évènement catastrophique face à l’incompréhension du monde entier. Et la question reste entière. What happened in this bus ? Quatre ans plus tard, on ne sait toujours pas.

Jean-Pierre Escalettes, le président de la Fédé, et Patrice Evra, visiblement pas
sur la même longueur d'onde.

On sait que les tensions dans le groupe étaient exacerbées, qu’une guerre des clans faisait rage. On sait que Ribéry était jaloux de Gourcuff et le traitait en souffre-douleur. On sait que Gallas était vexé qu’Evra lui ait été préféré pour le poste de capitaine. On sait que Thierry Henry, devenu remplaçant, s’était mis en retrait du groupe. On sait que Toulalan, traumatisé, ne révèlera jamais ce qu’il a vu à Knysna. On sait que Robert Duverne, le préparateur physique, excédé, faillit en venir aux mains avec Patrice Evra et, de rage, lança son chronomètre au loin. On sait que Domenech ne contrôlait plus rien depuis longtemps mais faisait semblant du contraire. On sait qu’Evra, devenu paranoïaque, était persuadé qu’une taupe sévissait dans le vestiaire des Bleus. On sait que la phrase exacte d’Anelka, de laquelle tout était parti, était en fait « Va te faire enculer avec ton système de merde ». On sait que des vingt-trois français, aucun ne descendit du bus pour s’entraîner, et que c’est Domenech qui dût lire le communiqué rédigé par l’agent de Toulalan et qui expliquait que les joueurs refusaient de s’entraîner.

"Voici la liste des prochains morts de Game of Thrones. Si vous commencez à m'emmerder, je balance tout."

Pourquoi, donc ? Parce que l’autarcie dans laquelle vivait le groupe, retranché dans un hôtel de luxe et cerné par les journalistes, avait transformé les Bleus en Lofteurs, et qu’il était insupportable, pour eux, de voir les faits secrets d’un vestiaire étalés à la Une de la presse. Parce qu’il y avait effectivement une Cabbale contre l’équipe, à ce moment-là, orchestrée par la presse. Parce que personne, à part Domenech, n’était en droit de demander l’exclusion d’Anelka, et que la Fédération, lâchant son équipe, avait outrepassé ses droits sous la pression populaire. Parce que tout était déjà vérolé, depuis le début.





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