Sans commentaire. |
En 2010, tout était très mal parti, dès le début, pour
l’équipe de France.
La qualification avait été laborieuse : deuxième de
leur groupe derrière la Serbie, les Bleus avaient dû passer par les barrages pour
rejoindre l’Afrique du Sud, et ils n’avaient alors dû leur salut qu’à un
but de William Gallas entaché d’une main grossière de Thierry Henry vue par tout le monde sauf l'arbitre, au cours
de la prolongation du match retour face à l’Irlande. Le sélectionneur, Raymond
Domenech, devenu la risée du pays après sa demande en mariage à Estelle Denis à
l’issue de l’élimination de l’Euro 2008, disputait à Sarkozy le titre d’homme
le plus détesté de France, le jeu pratiqué était médiocre, l’un des meilleurs
joueurs de l’équipe, Lassana Diarra, devait déclarer forfait pour le Mondial (pour cause de coliques à répétitions), et quelques
semaines avant le début de la compétition avait éclaté l’affaire Zahia :
une call girl avait révélé avoir eu des relations tarifées avec plusieurs
joueurs cadres des Bleus, dont Ribéry et Benzema, et ce alors qu’elle était
encore mineure. Pour ne rien arranger, la campagne de matches amicaux qui avait servi à préparer l'épreuve durant les semaines qui avaient précédé la Coupe du Monde s'était achevée sur une défaîte honteuse concédée contre... la Chine, même pas qualifiée pour le Mondial sud-africain.
Je vous ai compris. |
C’est donc dans un climat déjà très lourd que les Français
étaient partis en Afrique du Sud, pour disputer le Mondial - sans Lassana Diarra, forfait, donc, mais également sans Karim Benzema, ni Samir Nasri, jugés fauteurs de troubles en puissance, et donc écartés par Raymond Domenech. Les attendaient Knysna, où ils avaient décidé d’établir leur camp de base, et six semaine de
huis clos et de réclusion, avec pour seul contact avec l’extérieur la présence,
massive et sauvage, de hordes de journalistes prêts à tout pour mettre à feu et à sang le groupe et vendre leur papier.
Le premier match s’était soldé par un nul, zéro zéro, face à
l’Uruguay, et la presse avait fait ses choux gras de l’absence de jeu des Tricolores.
La seconde rencontre, face au Mexique, avait vu la défaite des Bleus, 2 – 0. La
faillite collective avait été encore plus criante : les joueurs ne
jouaient pas bien, pas ensemble, voire pas du tout. Alors que les médias commençaient à se faire l’écho
des dissensions au sein du groupe (Ribéry, Gallas, Anelka et quelques autres
auraient fait de Gourcuff leur bouc émissaire), L’Equipe frappe un grand coup,
en titrant « Va te faire enculer, sale fils de pute », propos
attribués à Nicolas Anelka à l’encontre de Domenech. L’affaire provoquera un
tollé en France, et la Fédération décidera, à la suite de cette révélation,
d’exclure Anelka de l’équipe.
L'objet du délit. |
La suite a fait le tour du monde : après des piteuses
explications de Domenech et Ribéry (en tongs) sur le plateau de Téléfoot, dans
une séquence à la tension palpable, les Bleus refuseront de descendre du bus
pour s’entraîner, pour protester contre l’exclusion de leur coéquipier, forçant leur sélectionneur à lire lui-même à la presse le communiqué expliquant que les joueurs de l'équipe de France étaient grévistes. Le
scandale deviendra national, les ministres présents sur place, Roselyne
Bachelot et Rama Yade, condamneront l’évènement, et l’Assemblée Nationale
consacrera un débat animé à la gestion du « fiasco de Knysna ».
Pour ne rien arranger, la France perdra son dernier match,
contre l’Afrique du Sud et sera éliminée. Thierry Henry sera personnellement
convoqué à l’Elysée par un Sarkozy avide d'explications, et tous les joueurs
présents dans le bus seront sanctionné d’un match de suspension, voire plus pour certains
d’entre eux (Evra, Anelka, Toulalan, Gallas). Tout touriste français parti
à l’étranger durant l’été 2010 s’en souvient : il a fallu, cette année-là, affronter nombre de "so you're French ? what happened in this bus ?", il a fallu assumer cet
évènement catastrophique face à l’incompréhension du monde entier. Et la question reste entière. What
happened in this bus ? Quatre ans plus tard, on ne sait toujours
pas.
Jean-Pierre Escalettes, le président de la Fédé, et Patrice Evra, visiblement pas sur la même longueur d'onde. |
On sait que les tensions dans le groupe étaient exacerbées,
qu’une guerre des clans faisait rage. On sait que Ribéry était jaloux de
Gourcuff et le traitait en souffre-douleur. On sait que Gallas était vexé qu’Evra lui ait été préféré pour le poste de capitaine. On sait que Thierry
Henry, devenu remplaçant, s’était mis en retrait du groupe. On sait que
Toulalan, traumatisé, ne révèlera jamais ce qu’il a vu à Knysna. On sait que
Robert Duverne, le préparateur physique, excédé, faillit en venir aux mains avec Patrice Evra et, de
rage, lança son chronomètre au loin. On sait que Domenech ne contrôlait plus
rien depuis longtemps mais faisait semblant du contraire. On sait qu’Evra,
devenu paranoïaque, était persuadé qu’une taupe sévissait dans le vestiaire des
Bleus. On sait que la phrase exacte d’Anelka, de laquelle tout était parti,
était en fait « Va te faire enculer avec ton système de merde ». On
sait que des vingt-trois français, aucun ne descendit du bus pour s’entraîner,
et que c’est Domenech qui dût lire le communiqué rédigé par l’agent de Toulalan
et qui expliquait que les joueurs refusaient de s’entraîner.
"Voici la liste des prochains morts de Game of Thrones. Si vous commencez à m'emmerder, je balance tout." |
Pourquoi, donc ? Parce que l’autarcie dans laquelle vivait
le groupe, retranché dans un hôtel de luxe et cerné par les journalistes, avait
transformé les Bleus en Lofteurs, et qu’il était insupportable, pour eux, de
voir les faits secrets d’un vestiaire étalés à la Une de la presse. Parce qu’il
y avait effectivement une Cabbale contre l’équipe, à ce moment-là, orchestrée
par la presse. Parce que personne, à part Domenech, n’était en droit de
demander l’exclusion d’Anelka, et que la Fédération, lâchant son équipe, avait
outrepassé ses droits sous la pression populaire. Parce que tout était déjà
vérolé, depuis le début.
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