lundi 9 juin 2014

Onze moments mythiques de la Coupe du Monde - 7 : Le doublé de Lilian Thuram contre la Croatie

Cet article est le cinquième d'une série de onze textes consacrés au moments les plus mythiques de l'histoire récente de la Coupe du Monde de football. Les autres sont consultables sur cette page.

Malcolm X se demandant où il a bien pu mettre ses lunettes.


« Vous avez peur ? De quoi ? Vous avez peur de qui ? Peur ? Vous allez perdre, les gars. Je vous le dis : vous allez perdre. Vous n’avez pas de souci à vous faire ». Immortalisée par la caméra de Stéphane Meunier dans le documentaire culte Les Yeux dans les Bleus, qui retrace, de l’intérieur, l’épopée victorieuse de l‘équipe de France au Mondial 98, la tirade, aussi mythique que celle de l'instructeur dans Full Metal Jacket, est d’Aimé Jacquet, sélectionneur de l'équipe de France durant cet été inoubliable. 



On est le 8 juillet 1998, nous sommes dans le vestiaire français, au Stade de France, pendant la mi-temps de la demi-finale opposant les Bleus à la Croatie, et le score est de zéro partout. La France s’est qualifiée en éliminant l’Italie au tour précedent, aux tirs aux buts, elle fait figure de favori, mais déjoue depuis le début de la rencontre : ses joueurs semblent tétanisés par l’enjeu. En face, la Croatie, l’équipe surprise de la compétition, qui a éliminé la Roumanie en huitièmes de finale, et surtout l'Allemagne, en quarts, humiliée trois buts à rien. Sur les épaules des Français, la pression est terrible : personne n’imagine sérieusement les Bleus, qui évoluent à domicile, perdre contre les Croates. Contre l’Italie, en quarts, c’était possible, cela n’aurait pas été honteux. Contre l’Allemagne, si celle-ci s’était qualifiée, pareil. Mais contre la Croatie… Impensable.

C’est pourtant ce qui est en train de se produire. Les Croates, emmenés par Davor Suker, du Real Madrid, ou Zvonimir Boban, du Milan AC, sont en train d’endormir l’équipe de France, et ça, Aimé Jacquet s’en rend bien compte, depuis son banc de touche. Même : il s’en rend compte, et il n’aime pas du tout ça. Alors il recadre ses troupes, profite de la mi-temps pour pousser une gueulante, pour parler aux tripes de ses hommes, à leurs couilles, pour en appeler à toutes ces valeurs guerrières, tradis et machos qui font l'ordinaire d’un vestiaire de footballeurs.

Les Bleux pris dans l'étau croate.

Dès le retour des vestiaires, pourtant, il semble qu’il a échoué à convaincre ses joueurs. A peine les Français ont-ils le temps de se replonger dans leur match, que la Croatie surprend l’arrière-garde française, et que Suker trompe Barthez. Suker aurait dû être hors-jeu. Il ne l’était pas, la faute à un placement hasardeux de Lilian Thuram, l’arrière droit des Bleus, qui a beau tenter de revenir, mais arrive trop tard. Ça fait un à zéro pour la Croatie. La suite appartient à la légende.

Le réalisateur n’a même pas fini de repasser les ralentis du but croate que Thuram combine avec Djorkaeff et se retrouve seul face à Ladic, le portier croate, qu’il trompe d’un plat du pied, à bout portant. Un un. Vingt minutes plus tard, Thuram, sur son côté droit, reçoit l’appui de Zidane, qui lui remet dans la course. Le Français semble en retard, mais réussit à reprendre le ballon à son vis-à-vis. Sans hésiter, il frappe, du gauche, et trouve le petit filet opposé. Deux un, score final. En trente-six matches avec l’équipe de France, Lilian Thuram n’avait jamais marqué. A la fin de sa carrière, il totalisera cent quarante-deux sélections avec les Bleus. Mais aucun autre but. Plus jamais.

On comprend mieux sa stupeur, immortalisée par cette main posée devant la bouche, dans une posture tant songeuse qu’interrogatrice, de celui dont le sélectionneur, Aimé Jacquet, avait déclaré le matin même qu’il avait les pieds carrés. Pour parfaire la légende, le joueur affirme ne se souvenir de rien, et avoir joué toute la deuxième mi-temps dans un état second, semi-conscient.


La légende en marche.
Lors de son discours à la mi-temps, Aimé Jacquet espérait la révolte de ses hommes, et le public attendait un héros. On pensait à Zidane, bien sûr, à Djorkaeff, au jeune Thierry Henry, pourquoi pas à Guivarc’h ou Trezeguet. Ce fut Thuram, un défenseur, et pour ça, il fallut d’abord qu’il se rende coupable d’une erreur de débutant. Le suite, c’est ce doublé synonyme de qualification pour la finale. Après trois éliminations en demi-finales (1958, 1982 et 1986), la France accédait enfin au sommet du foot mondial : se profilait alors le Brésil, et il fut temps pour Zidane de se mettre enfin en évidence. Mais c’est une autre histoire.

Les buts :





2 commentaires:

  1. Le dernier quart d'heure de ce match est dans mon Top 5 des moments de foot les plus stressants. Qu'est-ce qu'ils étaient bons ces croates !

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    1. Je m'en souviens, je l'avais vu sur un écran géant, personne n'en menait large dans le final, à part quand sur une contre attaque qu'on attendait plus, Zidane avait sorti une action personnelle de grande classe avant de tirer juste à côté de la cage de Ladic. Devant l'écran, tout le monde a cru qu'il avait marqué, c'était l'exultations. Avant le brusque retour sur terre, quand on a compris qu'il n'y était pas et le stress intense des tous derniers instants. On a aussi eu un grand Barthez, sur ce match.

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